Comme il l'avait fait le 30 octobre dernier (1), le collectif associatif Urgence- Réfugiés, emmené par la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (FNARS), s'est mobilisé le 26 février pour témoigner des défaillances de l'accueil et de l'accompagnement social des demandeurs d'asile. Une journée d'action (2) marquée, dans toute la France, par la publication de « livres blancs », l'organisation de conférences de presse, de démarches auprès des préfectures et des élus... Il s'agissait, en ce début de campagne électorale, d'interpeller les « responsables administratifs de tous bords ».
Le collectif le reconnaît, « d'importants efforts budgétaires ont été réalisés » récemment pour les demandeurs d'asile. Ainsi, la loi de finances 2002 a entériné une augmentation d'environ 50 % du budget des centres d'hébergement spécialisés, passé de 61 à 94 millions d'euros. Mais les pouvoirs publics ne semblent guère vouloir aller plus loin que le seul traitement humanitaire. Les délais d'examen des dossiers - 21 mois en moyenne pour l'asile politique, entre 7 et 30 mois pour l'asile territorial -sont toujours excessifs, malgré des créations de postes à l'Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA). Quant à la restauration du droit au travail, aboli en 1991, les revendications associatives se sont heurtées à une opposition sans appel du gouvernement. Lequel, en définitive, n'aura pas eu l'audace de se saisir franchement de la question de l'accueil des demandeurs d'asile.
L'indispensable corps à corps politique avec le dossier aura-t-il lieu lors de la prochaine législature ? La pression européenne y sera sans doute pour quelque chose. Les textes en négociation en vue de l'uniformisation des procédures d'asile et des normes d'accueil poussent, par exemple, vers le rétablissement du droit au travail. En France aussi, la pression monte. Les associations ne sont plus seules à faire entendre leur voix. L'Eglise se mêle au débat, publiant, le 26 février également, un réquisitoire contre le système français (3). La haute fonction publique s'y met aussi. Ainsi, dans un rapport remis en janvier au cabinet d'Elisabeth Guigou, l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) décortique sans complaisance les aberrations du dispositif et propose des mesures fortes que les acteurs de terrain réclament depuis longtemps.
On le sait, le nombre de demandeurs d'asile a fortement augmenté ces dernières années, passant, asiles conventionnel et territorial confondus, de 23 700 en 1998 à 60 500 en 2001. Dans le « contexte actuel de délais démesurés d'examen de la demande », et malgré les 2 500 places créées en 2000 et 2001, la capacité du dispositif national d'accueil - centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), centres de transit, centres provisoires d'hébergement - « reste encore nettement sous-dimensionnée », avec ses 6 400 places réservées aux demandeurs d'asile conventionnel, confirme la mission. Ce qui contraint les services de l'Etat à mobiliser les structures d'hébergement de droit commun « au détriment de leur public traditionnel ». Les inspecteurs estiment donc nécessaire la création de 6 000 à 9 000 places. D'autant plus que « le CADA est non seulement la solution la plus adaptée aux demandeurs d'asile par la qualité de prise en charge mais aussi la solution la plus économique, comparée à l'engrenage de l'urgence répétée ».
Surtout, ils se montrent sévères pour le mode de régulation du dispositif, « excessivement centralisé, qui ne fait qu'aggraver les problèmes de fluidité sans parvenir à répartir équitablement les demandeurs d'asile sur le territoire ». Actuellement, en effet, les fichiers nationaux d'offres et de demandes d'hébergement, sur la base desquels la Commission nationale d'admission (CNA) prend ses décisions, ne sont mis à jour qu'avec beaucoup de retard (trois mois pour les demandes !). Toute gestion prévisionnelle est impossible. Quant aux admissions locales ou priorités d'admission exprimées par les acteurs locaux, qui, depuis 1999, disposent d'un quota de 25 % des places de CADA, elles sont validées par la CNA « sans aucun débat sur les critères[...] ni données objectives sur la situation des différents départements, puisqu'il n'existe pas de statistique nationale sur le nombre de demandeurs d'asile présents par département à un instant donné ». Le système dysfonctionne à un point tel qu'il arrive que des demandeurs d'asile soient affectés « d'un département saturé à un autre tout aussi en difficulté ». Le nombre de places et de demandeurs s'accroissant, les inspecteurs considèrent une gestion centralisée comme de plus en plus difficile à maîtriser et recommandent donc que la décision d'admission revienne à des commissions départementales ou régionales. A terme, « idéalement », un système d'information « efficace » devrait mettre directement en relation l'offre de certains départements et la demande des autres. Evidemment, cette réforme, « qui nécessite une expertise approfondie et des investissements conséquents », n'est pas pour demain. En attendant, « il appartient au niveau national de [...] proposer tous accords locaux de coordination (sous forme de jumelage entre départements par exemple) qui allégerons sa tâche ». La mission estime aussi que la décision au niveau national doit être prise par « un service administratif distinct tout à la fois de l'administration centrale et des associations gestionnaires » de centres d'accueil, par exemple l'Office des migrations internationales. Tel n'est pas le cas aujourd'hui puisque le dispositif national d'accueil est placé sous la responsabilité de la direction de la population et des migrations, qui en a confié l'animation et la coordination à l'association France Terre d'Asile, qui gère des centres.
Autre innovation proposée : le versement d'une prestation unique d'un montant comparable au revenu minimum d'insertion, tenant compte de la composition familiale. Elle serait la même pour les personnes hébergées en CADA et les autres, mais les premiers devraient s'acquitter d'une participation. Actuellement, en effet, les prestations sociales dont bénéficient les demandeurs d'asile apparaissent « insuffisantes et par trop fragmentées ». L'allocation d'attente destinée à couvrir les premières dépenses - 305 € environ par adulte versés en une seule fois - , est attribuée par le Service social d'aide aux émigrants (SSAE). Cette mission paraît d'ailleurs « détourner [celui-ci] de ce qui devrait être sa mission principale, l'accompagnement social, et le conforte dans un rôle de guichet ». L'allocation d'insertion, d'environ 282 € par adulte et par mois, concernant les demandeurs non hébergés dans le dispositif, est versée par les Assedic. Quant aux demandeurs hébergés, ils perçoivent une allocation sociale globale attribuée par les centres. Mais ces derniers prennent parfois en charge certaines dépenses (restauration, frais liés à la procédure...), ce qui est source d'inégalités entre les accueillis et les autres.
A cette réforme devrait bien évidemment s'ajouter - conformément aux orientations de l'Union européenne, au sein de laquelle la position de la France apparaît isolée -, l'ouverture du droit à un contrat de travail au plus tard six mois après la première demande d'asile. Ce qui « limiterait le recours à des activités clandestines et éviterait la déstructuration sociale des demandeurs, tout en allégeant les charges financières des collectivités publiques » (4).
L'urgence, souligne cependant le rapport, est de réduire les délais d'examen des demandes, « qui embolisent le système de prise en charge sociale ». Et qui attentent à la dignité des demandeurs d'asile. Le traitement des dossiers devrait prendre au maximum six mois, estiment les inspecteurs. Pour atteindre cet objectif, il convient de « simplifier et articuler les procédures administratives ». Ainsi, pour les demandes d'asile à la frontière, la délivrance de l'autorisation provisoire de séjour, accompagnée du dossier à déposer à l'OFPRA, devrait être « immédiate ». « Ce qui désencombrerait les préfectures et accélérerait considérablement l'instruction. » Autre simplification possible, l'intégration de l'asile territorial dans l'asile conventionnel par une interprétation plus large de la convention de Genève, ou, à défaut, l'instauration d'un dossier unique pour les asiles conventionnel et territorial.
Le système pourrait, en outre, être amélioré par l'organisation de permanences locales uniques d'accueil, comme il en existe à Paris et à Lyon. Elles offriraient, en un seul lieu, une domiciliation- à laquelle l'accès est aujourd'hui « inutilement complexe » -, une orientation vers un hébergement, une assistance pour les procédures et l'ouverture des prestations sociales... Cela apporterait peut-être un remède à l'hétérogénéité actuelle de l'accompagnement social des demandeurs d'asile, « généralement bien mené dans les CADA », mais nettement moins pour les personnes non hébergées qui, justement, en auraient le plus besoin. D'où des inégalités d'accès au statut de réfugié : le taux moyen de reconnaissance par l'OFPRA et son instance d'appel était de 17,1 % en 2000, mais atteignait 74 % pour les personnes hébergées en CADA.
S'agissant des mineurs isolés demandeurs d'asile, en particulier ceux qui entrent sur le territoire national par les zones d'attente aéroportuaires, ils « ne bénéficient pas systématiquement des dispositifs de protection de l'enfance ». Et certains se retrouvent dans la nature, proies faciles des réseaux de prostitution ou de travail clandestin. Les auteurs considèrent donc comme une « priorité » que ces mineurs soient accueillis dans les zones d'attente par des équipes médico-sociales de spécialistes de l'enfance et du traumatisme, capables d'expertiser la situation. Elles pourraient jouer le rôle d'administrateur ad hoc tel que prévu par la nouvelle loi sur l'autorité parentale (5) et permettre au juge des enfants d'être systématiquement saisi de l'arrivée d'un mineur isolé.
Quant au débat sur les compétences respectives des conseils généraux et de l'Etat en matière d'accueil de ces mineurs - certains départements au système de protection de l'enfance déstabilisé par un afflux de mineurs isolés (6) remettant en cause leur responsabilité -, les inspecteurs le tranchent. A l'Etat d'assurer à l'arrivée des mineurs une « mission d'évaluation et d'orientation » afin de déterminer si leur intérêt est de rester ou non en France, et de lutter contre les réseaux criminels qui les exploitent. Aux départements d' « assurer leur pleine responsabilité de protection » lorsqu'il a été décidé que l'enfant doit rester dans l'Hexagone.
Enfin, pour garantir au niveau national une meilleure gestion de l'action publique en direction des demandeurs d'asile en général, les rapporteurs préconisent l'instauration d'un comité de pilotage interministériel chargé d'établir un programme d'actions, de même que la création d'une commission nationale consultative des demandeurs d'asile et des réfugiés, associant aux ministères concernés le secteur associatif.
Céline Gargoly
(1) Voir ASH n° 2235 du 2-11-01.
(2) A laquelle ont participé, notamment, ATD quart monde, l'Association des cités du Secours catholique, la Cimade, la Croix-Rouge française, Emmaüs France, la FAPIL, la Fédération de l'Entraide protestante, la Fondation Armée du salut, Forum réfugiés, la Raison du plus faible, les Restos du cœur, le MRAP, l'Uniopss - FNARS : 76, rue du Faubourg-Saint-Denis - 75010 Paris - Tél. 01 48 01 82 00.
(3) L'asile en France. Etat d'urgence - Comité épiscopal des migrations, commission sociale de l'épiscopat, Justice et paix-France - Bayard éditions -Centurion/Fleurus-Mame/Cerf - 12 €.
(4) En comptant les dépenses d'hébergement, les prestations en espèces et les subventions aux associations, le coût de l'accueil des demandeurs d'asile est estimé par la mission à environ 203 millions d'euros en 2001, soit une progression de 137 % par rapport à 1998.
(5) Voir ce numéro.
(6) Voir l'exemple de la Seine-saint-Denis, ce numéro.