C'est par une courte majorité de quatre voix contre trois que les juges de la Cour européenne des droits de l'Homme ont reconnu à la France, le 26 février, le droit d'interdire l'adoption d'enfants par des homosexuel (le) s (1). C'était la première fois que le débat sur l'homoparentalité était porté devant cette juridiction.
La décision des juges européens met un terme, sous réserve d'un éventuel appel, à une bataille juridique de près de dix ans menée par un enseignant homosexuel pour se voir reconnaître le droit d'adopter un enfant. Après avoir essuyé un premier refus d'agrément en mai 1993, en raison notamment « d'absence de référence maternelle constante », il avait formé un recours gracieux auprès des services de l'aide sociale à l'enfance, rejeté à son tour. Le motif : les « choix de vie » du requérant ne semblaient pas de nature à présenter les garanties suffisantes quant aux conditions d'accueil d'un enfant sur les plans familial, éducatif et psychologique. En janvier 1995, le tribunal administratif avait annulé ces décisions mais, sur recours du département de Paris, le Conseil d'Etat s'était finalement rangé aux arguments de l'administration : le requérant, « eu égard à ses conditions de vie et malgré [des]qualités humaines et éducatives certaines, ne présentait pas des garanties suffisantes sur les plans familial, éducatif et psychologique pour accueillir un enfant adopté ».
Considérant que cette décision violait la Convention européenne des droits de l'Homme, le requérant avait déposé un recours contre la France. Pour lui, le rejet de sa demande d'agrément s'analysait en une ingérence arbitraire dans sa vie privée et familiale, car se fondant exclusivement sur un a priori défavorable envers son orientation sexuelle. Cette décision avait donc violé, selon lui, les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 14 de la Convention (les droits reconnus par ce texte doivent être assurés sans discrimination). Et condamnait, de fait, toute demande d'agrément relevant d'un homosexuel, sans prendre en considération ses qualités humaines et éducatives individuelles.
Les juges européens auront eu beaucoup de mal à trancher. Ils ont tout d'abord reconnu qu'il y avait bien eu, en l'espèce, une différence de traitement reposant sur l'orientation sexuelle de l'intéressé. Sur cette base, la cour devait déterminer si cette distinction était discriminatoire, c'est-à-dire si elle manquait de justification « objective et raisonnable ».
Ils ont estimé, en l'occurrence, que la différence de traitement opérée par l'administration française poursuivait un « but légitime » - protéger la santé et les droits des enfants pouvant être adoptés -et résultait, « en l'état actuel des connaissances, des incertitudes pesant sur le développement d'un enfant élevé par une personne homosexuelle et privé de la double référence maternelle et paternelle ». Et d'ajouter que « les incidences éventuelles d'une adoption par un adulte affirmant son homosexualité sur le développement psychologique et plus généralement la vie future de l'enfant concerné ne font pas l'objet d'une réponse unique et divisent les spécialistes de l'enfance comme les sociétés démocratiques dans leur ensemble ».
La cour a donc préféré laisser à chaque Etat une marge d'appréciation importante pour « déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement juridique ». Elle a ainsi jugé que les autorités françaises avaient, en l'espèce, légitimement et raisonnablement pu considérer que le droit de pouvoir adopter dont l'intéressé se prévalait trouvait sa limite dans l'intérêt des enfants susceptibles d'être adoptés, « nonobstant les aspirations légitimes du requérant et sans que soit remis en cause ses choix personnels ».
Maigre consolation pour le requérant : la condamnation de Paris pour « procès inéquitable », l'intéressé n'ayant pu assister à une audience du Conseil d'Etat faute de convocation.
(1) Sur les réactions des associations, voir ce numéro.