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Une écoute qui libère la parole des usagers

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Ecoute, information, orientation, soutien : dans la proximité paradoxale que permet le téléphone et l'intimité favorisée par le respect de l'anonymat, les praticiens de la téléphonie sociale aident les appelants à décrypter leurs difficultés. Cette ouverture à l'échange permettant à chacun de cheminer vers sa solution, semble répondre, de manière appropriée, aux attentes des usagers.

« Avant de vous suicider, appelez-moi »  : sous l'impulsion du révérend Chad Varah, auteur de cette annonce parue dans le  Times du 2 novembre 1953, le premier service européen d'aide téléphonique était né. Sept ans plus tard, 9 % de la population française possède le téléphone quand SOS Amitié voit le jour à Paris. Au bout du fil, un homme ou une femme prête l'oreille aux désespérés, aux isolés et à tous ceux qui ont besoin de trouver quelqu'un à qui parler. Depuis, parallèlement au développement de SOS Amitié qui a implanté de nombreux postes d'écoute à travers la France, les services d'aide par téléphone se sont multipliés, surtout au cours de la dernière décennie. Ils se sont aussi largement diversifiés. Diversité des origines, des statuts et des modalités de fonctionnement, et diversité, aussi, des thématiques proposées aux appelants. Lignes d'écoute à vocation généraliste, parmi lesquelles certaines s'adressent plus particulièrement à telle ou telle catégorie de populations (jeunes, familles, personnes endeuillées), lignes ciblées sur des problématiques spécifiques (discriminations, exclusion, violences, maltraitance), lignes également centrées sur des pathologies.

Au bout du fil, les praticiens de l'aide - psychologique, médicale, sociale, juridique - ont succédé aux seules bonnes volontés. Celles-ci restent bien sûr un vivier important où se recrutent, notamment, les nombreux bénévoles grâce auxquels fonctionnent les services dont l'offre d'échanges est la moins finalisée. Mais nulle part leur générosité ni leurs qualifications professionnelles ne dispensent les candidats de formations à l'écoute, puis de supervisions.

Faire métier de l'écoute ou écouter avec compétence : dans tous les cas en effet, c'est bien l'écoute qui est au cœur de la relation proposée. Autrement dit, même dans les services affichant une expertise pointue, communiquer une information ne se réduit jamais à énoncer un savoir. Outre le fait qu'une demande précise de renseignements peut être un mode simple d'entrée en matière masquant une détresse sous- jacente, « il ne s'agit pas de distribuer de l'information mais de permettre aux appelants de se l'approprier », explique Yves Ferrarini, directeur de Sida Info Service (1). De la même manière, on sait bien au 115 « accueil sans-abri » qu'il ne suffit pas de donner une adresse pour que l'intéressé s'y rende.

Cette ouverture à l'échange qui vise à identifier les besoins singuliers de l'appelant pour mieux l'accompagner dans sa démarche s'était vue épingler, en 1998, par l'inspection générale des affaires sociales  (IGAS)   (2). Sans mettre en cause la pertinence de la téléphonie sociale comme outil permettant « de libérer la parole et de faire émerger des questions qui n'auraient pas été formulées dans un autre contexte », les inspecteurs s'interrogeaient sur la réelle utilité de « l'écoute empathique », pratiquée sur les différentes lignes inspectées, eu égard à ses conséquences en termes de coût et d'accessibilité des services. « Il serait dès à présent opportun de disposer d'une étude sociologique précise susceptible d'améliorer la connaissance des usagers et de leurs attentes », concluait notamment l'IGAS. C'est aujourd'hui chose faite, grâce à la recherche effectuée par le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie  (Credoc) à la demande d'une quinzaine de services téléphoniques, en complément d'une enquête quantitative sur les utilisateurs (potentiels et avérés) de la téléphonie sociale (3). Particulièrement réconfortant pour toutes ces lignes qui font de l'écoute leur mode privilégié d'intervention, le constat d'Elodie David et de Marie-Odile Simon, auteurs de cette étude, est sans appel : ce que recherchent avant tout les usagers, ce sont des écoutants, pas des répondants (4).

Réfléchir à haute voix

Pour les personnes qui contactent un service généraliste tout public (SOS Amitié et Croix-Rouge Ecoute, dans le cadre de cette enquête), c'est le besoin pressant de partager soucis ou angoisses qui soudain leur fait décrocher le combiné. Quelles que soient les circonstances - période de la vie douloureuse ou événement subit -, le déclic de cet appel correspond à un moment où l'on craque : c'est tout de suite, sans rendez-vous à prendre, identité ou justification à donner, que s'exprime la nécessité de parler. Neutre et bienveillante, l'écoute-écho réservée aux appelants correspond, très majoritairement, à ce qu'ils cherchent : une présence leur donnant l'occasion de se dire librement, alors que la formulation éventuelle des opinions ou de conseils par l'écoutant est ressentie comme une ingérence, « une intrusion au cœur d'une introspection en élaboration », notent les auteurs de l'étude.

C'est aussi la possibilité de trouver un espace de parole permettant d'éclaircir ses représentations personnelles ou ses informations qui constitue la principale attente des personnes téléphonant à Sida Info Service, Hépatites Info Service ou Drogues Alcool Tabac Info Service. Composer un numéro vert avec l'assurance de trouver un spécialiste capable de répondre immédiatement à ses interrogations est bien sûr l'atout majeur de ces lignes. Mais la simplicité de la démarche et le gain de temps, d'argent et d'énergie qu'elle permet ne sont pas les seules motivations des usagers. La qualité d'une écoute prenant en compte la singularité de leur demande en dehors de toutes considérations morales : voilà ce que recherchent et trouvent, le plus souvent, les appelants. Le taux de satisfaction de ces services est en effet remarquable :l'information cherchée est obtenue, cependant qu'à travers un dialogue sans tabous, on peut s'ouvrir de ses angoisses.

Si aller voir un médecin n'est pas toujours chose évidente, nombre de témoignages recueillis auprès d'usagers ayant appelé Ecoute Cancer, Ecoute Handicap Moteur ou Ecoute Mission SEP (sclérose en plaques) mettent également en avant le défaut d'écoute dont font preuve les professionnels de santé. La prise en charge de la maladie ou du traumatisme est réduite à la portion la plus congrue : ses manifestations physiques, et la personne souffrante pâtit du sentiment d'être « réifiée ». C'est pour pallier ce manque de soutien, expliquent les intéressés, qu'ils se sont adressés aux services téléphoniques spécialisés. Réconfort et information ont partie liée : il s'agit de retrouver le courage d'avancer, d'accéder à une information claire et précise sur sa maladie et de savoir aussi à qui s'adresser, par exemple pour être aidé dans ses démarches administratives et faire reconnaître son handicap. En l'occurrence, d'ailleurs, l'anonymat n'apparaît plus comme une nécessité, mais davantage comme un obstacle à la recherche d'une relation plus personnalisée, que les appelants souhaiteraient également pouvoir prolonger dans un espace physique de rencontre : c'est le seul bémol que mettent les usagers de ces services à une satisfaction largement partagée, précisent Elodie David et Marie-Odile Simon.

Fondamentale pour met- tre à jour ses difficultés et savoir comment s'orienter, cette écoute avertie est également essentielle lorsqu'il s'agit d'intervenir pour autrui. D'autant que le désir d'aider se heurte à la peur de s'immiscer mal à propos dans sa vie. Cela ressort clairement de l'analyse des entretiens relatifs aux lignes d'urgence - comme le 119 (enfance maltraitée), le 115 (accueil sans-abri) et SOS Violences conjugales -pour lesquelles, à la différence des divers services précédemment cités, le Credoc a uniquement recueilli le témoignage d'usagers indirects, c'est-à-dire ayant téléphoné, à titre professionnel ou personnel, pour prêter main-forte à un tiers. Ainsi, une psychologue confrontée à une situation d'inceste, dit s'être trouvée très désemparée parce qu'elle doutait de l'identité du parent maltraitant. Elle voulait agir, mais ne pas accuser injustement. Assurée quelque temps plus tard de la responsabilité de la mère, elle compose le 119, encore fragile et inquiète dans sa démarche : « Je voulais savoir ce que je pouvais faire, ce que je devais faire. J'ai pensé appeler une assistante sociale de la DDASS, mais ne l'ai pas fait, parce que je jugeais que contacter le 119 était plus discret, plus anonyme, plus efficace. [...] Le fait de pouvoir expliquer la situation, d'avoir quelqu'un qui puisse vous renvoyer des choses, c'est formidable. » Dans le même type de circonstances en revanche, une autre interlocutrice s'insurge de ne pas avoir été avertie, par le 119, des éventuelles conséquences qu'aurait, pour elle, le fait d'effectuer un signalement. « On fait appel aux citoyens pour qu'ils dénoncent des situations, et puis ça se retourne contre eux », explique cette femme poursuivie ensuite pour diffamation par la mère qu'elle subodorait maltraiter ses enfants.

Confrontés à l'intolérable, les usagers qui cherchent avant tout à se rendre utiles - directement ou en passant le relais à une structure ad hoc  -se déclarent néanmoins, dans leur majorité, soulagés d'avoir téléphoné. « On a tout de suite quelqu'un au courant qui peut répondre dans l'urgence, ce qu'on n'a pas forcément dans les autres services où il faut souvent rappeler, prendre rendez-vous, bref : où c'est plus compliqué », témoigne une interlocutrice ayant contacté SOS Violences conjugales pour une proche.

Pourtant, en dépit du large satisfecit décerné par les appelants aux différents numéros étudiés, ces derniers s'avèrent très sous-utilisés : seules 6 % des personnes interrogées lors de la phase quantitative de l'enquête du Credoc ont effectivement contacté, au moins une fois, un service d'écoute. L'une des raisons principales expliquant cette absence de recours tient au défaut d'information du public. Spontanément, 16 % seulement de la population déclare connaître, au moins de nom, une ligne d'écoute et se montre capable d'en citer une (en donnant son intitulé ou en faisant référence à sa thématique).

Les 40 à 59 ans - et les femmes -connaissent, au moins de nom, un plus grand nombre de lignes que les plus jeunes et les plus âgées des personnes interrogées. Mais c'est surtout en fonction des revenus que les écarts de notoriété sont les plus nets : plus ces revenus sont faibles, plus la méconnaissance des services est grande. Autrement dit, la téléphonie sociale a encore du pain sur la planche pour mieux « se vendre » auprès du grand public, et particulièrement des personnes les plus démunies.

Caroline Helfter

UNE NOTORIÉTÉ DES SERVICES TRÈS VARIABLE

 Cinq des 15 numéros étudiés par le Credoc sont connus d'au moins la moitié de la population : 119 Allô Enfance Maltraitée, Sida Info Service, SOS Amitié, 113 Drogues Tabac Alcool Info Service et SOS Violences conjugales.

 Cinq autres sont connus par un quart à un tiers des personnes interrogées : Ecoute Cancer, Ecoute Mission SEP, 115 Accueil Sans-abri, Croix-Rouge Ecoute et Allô Maltraitance Personnes Agées.

 Sont connus par moins d'une personne sur cinq : Ecoute Handicap Moteur, 114 Discriminations, Hépatites Info Service, Fil Santé Jeunes et Inter Service Parents. Source : Credoc.

Notes

(1)  Lors d'un colloque sur « la téléphonie de la santé et du social », organisé à Paris les 13 et 14 novembre, coordonné par Sida Info Service :190, boulevard de Charonne - 75020 Paris - Tél. 01 44 93 16 16.

(2)  Voir ASH n° 2124 du 18-06-99.

(3)  Enquête par téléphone effectuée entre mi-juin et mi-juillet 2001 auprès d'un échantillon représentatif de 2059 personnes de 12 ans et plus. Cf. Credoc : Consommation et modes de vie n° 154 - novembre 2001 -Voir ASH n° 2237 du 16-11-01.

(4)  25 entretiens approfondis ont été réalisés, par téléphone, auprès d'usagers de services d'écoute recrutés parmi les personnes consultées lors de la phase quantitative de l'enquête du Credoc, et à la suite d'appels à témoin.

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