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Faire de la sécurité un enjeu pour l'insertion des jeunes

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L'Association de prévention du site de la Villette utilise les outils de l'insertion culturelle et économique pour permettre aux jeunes en difficulté des quartiers et communes proches de s'approprier cet immense parc culturel parisien. Et prouve ainsi que la sécurité ne signifie pas forcément la mise en place d'une politique sécuritaire.

« Que s'est-il passé dans les villes ?Stérile, fébrile, tu deviens débile. Trop de bruit. T'étouffes. Tu reprends ton souffle. » Ces quelques mots, Willy, 26 ans, les a jetés sur un bout de papier avant de commencer, comme tous les mercredis, samedis et dimanches, son travail d'animateur au jardin des dunes et des vents du parc de la Villette. Après avoir perdu son boulot et son logement, il a frappé à la porte de l'Association de prévention du site de la Villette  (APSV)   (1) lors d'une de ses nombreuses déambulations dans ce parc de 55 hectares situé au nord-est de Paris.

Absence de temps

Aujourd'hui, outre son travail à temps partiel, il participe à certaines activités culturelles et artistiques de la Villette et bénéficie de places gratuites ou de réductions pour les spectacles et les expositions programmés dans les différents établissements du parc. « Maintenant, j'ai envie de donner le meilleur de moi-même, de montrer de quoi je suis capable », confie le jeune homme. Ce processus d'insertion économique et culturelle est l'une des clés pour comprendre le calme qui règne sur ce gigantesque temple de la culture entièrement ouvert et entouré de quartiers et communes souvent qualifiés « difficiles ».

L'absence de tags sur les murs, les détériorations très faibles des différents équipements et l'impression générale de tranquillité sont à mettre au crédit d'une politique de prévention et d'intégration dont l'Association de prévention du site de la Villette est un élément central. Créée en 1986, cette association atypi- que (qui dispose d'un budget annuel de 762 245  € et d'une équipe de 14 salariés) prône une approche innovante et plurielle des questions de prévention et d'insertion des jeunes. Sa vocation ? « Eviter que la Villette soit un lieu qui aggrave l'exclusion sociale, un endroit réservé à une élite qui a de l'argent et viendrait écouter du Bach. Elle vise également l'insertion sociale via ses potentialités culturelles et d'emploi. La Villette, c'est environ 1 700 postes salariés permanents. On s'est dit que quelques-uns d'entre eux pouvaient bien aider des jeunes à s'en sortir », défend Christian Brulé, directeur général de l'association.

Dans le domaine culturel tout d'abord, il s'agit de développer chez les jeunes bénéficiaires du dispositif un sentiment d'appropriation du lieu via l'accès et l'accompagnement (un éducateur prépare et prolonge les sorties) aux différentes représentations. Et de leur permettre de restaurer leur image de soi par le biais d'ateliers et de la préparation de projets culturels et artistiques souvent audacieux. « L'association est un peu un laboratoire de recherche, offrant parallèlement à un travail social traditionnel, des moments d'expérimentation », soutient Christian Brulé. La mise en place, avec la Cité de la musique, d'ateliers d'écriture, de théâtre et de création de musiques traditionnelles a ainsi permis à une quarantaine de jeunes, âgés de 12 à 15 ans, de présenter un spectacle à la Villette en septembre 1999 (2) et à une quinzaine d'autres de s'initier aux techniques du son et du mixage en vue de réaliser leur propre CD. « Lorsque vous associez des jeunes en insertion chez nous et des étudiants du Conservatoire autour d'un projet, les bénéfices sont évidents en termes de mixité sociale, d'échanges, d'apprentissage et tout ça avec des moyens matériels extraordinaires », souligne Guy Orlandini, éducateur.

Lieu d'expérimentation, l'APSV l'est également dans le champ de l'insertion par l'activité économique, comme l'illustre le lancement en janvier 1999 d'Entracte, un dispositif qui permet aux artistes parisiens au RMI (qui représentent 13 % des titulaires de la prestation dans la capitale) de décrocher des missions dans des établissements culturels partenaires, comme Beaubourg ou le Centre national de la danse. Mais l'efficacité du volet insertion économique tient avant tout à la diversité des structures mises en œuvre pour s'adapter aux différents parcours des jeunes en difficulté. L'association a créé Villette Service Plus en 1990, une société à responsabilité limitée qui permet de proposer aux jeunes des contrats à durée déterminée à temps partiel pour s'occuper de la tenue des vestiaires, de l'accueil ou du contrôle dans plusieurs établissements du Parc de la Villette. Un an plus tard, elle a lancé l'Association Villette Emploi- jeunes (AVEJ), une association intermédiaire intervenant sur des missions de travail de courte durée. Ce dispositif a été complété en 1999 par la mise en place d'Intermis, une entreprise de travail temporaire d'insertion, qui a pris le relais de l'AVEJ soumise à des limitations d'heures depuis la loi de lutte contre les exclusions de juillet 1998 (3).

UN RÉSEAU RICHE ET DIVERSIFIÉ

Pour mener sa politique de prévention, l'Association de prévention du site de la Villette  (APSV) a développé, depuis une quinzaine d'années, un partenariat qui dépasse largement le cadre traditionnel. Outre les partenaires sociaux habituels, tels que les structures d'hébergement, les partenaires sollicités pour les recherches d'emploi ou de formation (missions locales, agences nationales pour l'emploi, etc.) et les acteurs institutionnels (caisses d'allocations familiales, aide sociale à l'enfance, centres médico-psychologiques, etc.), l'APSV bénéficie du soutien de tous les établissements du site de la Villette (Grande halle, Cité des Sciences et de l'Industrie, Géode, Zénith, etc.) et a tissé des liens avec des sites culturels extérieurs, tels que Beaubourg, l'Association Paris-Musée, Le Centre national de la danse ou la Bibliothèque nationale de France.

Une chaîne de réponses

« Grâce à l'articulation de ces trois structures, nous pouvons apporter des réponses adaptées à la situation de ces jeunes âgés de 18 à 30 ans, d'un niveau de qualification souvent équivalant à celui de 3 e et avec une très faible expérience professionnelle, explique Christophe Guérin, responsable de l'insertion par l'activité l'économique. Compte tenu de la fragilité de beaucoup de jeunes, on peut ainsi démarrer avec l'Association Villette Emploi-jeunes sur des missions très ponctuelles, pas très impliquantes et qui vont leur permettre de prendre confiance, de se stabiliser. » Par la suite, les deux autres structures seront sollicitées pour des périodes d'emploi plus longues facilitant par exemple, grâce au passage en contrat à durée déterminée, la recherche de logement. D'une durée maximale d'un an et demi, le passage dans le dispositif est conçu comme un temps destiné à lever certains freins à l'insertion et à créer le déclic pour définir un projet de vie, voire simplement une envie. Pas question pour autant de faire le travail à la place des jeunes. « Nous avons un contrat moral avec eux qui consiste à dire “on vous propose un emploi, on met à votre disposition des personnes pour vous aider dans vos démarches, mais c'est à vous d'avancer, de vous mettre dans une dynamique, dans un projet. Autrement dit, nous ne proposerons plus d'emploi à un jeune qui n'a rien entrepris au bout de six mois de présence dans le dispositif », avertit Christophe Guérin. Une idée défendue également par l'assistante sociale qui apporte, depuis 1999, un suivi éducatif et social aux bénéficiaires. « L'originalité de mon travail, c'est d'être un facilitateur. Je ne vais pas monter des dossiers, débloquer des aides financières, mais aider le jeune à s'approprier l'espace administratif, à décortiquer avec lui des procédures souvent complexes », soutient Gwenaëlle Le Scornet.

Si cet accompagnement pluriel favorise la mise en place d'une dynamique chez nombre de jeunes, il atteint en revanche ses limites pour une petite partie des bénéficiaires. « On constate chez certains une absence de désir qui est hallucinante. On se retrouve ainsi au bout d'un an avec des jeunes pour qui la question de l'avenir ne fait même pas sens », reconnaît Guy Orlandini. Le dispositif se révèle également inopérant pour des jeunes toxicodépendants ou éprouvant de lourdes difficultés psychologiques. Pour ces derniers, cet éducateur regrette de ne pouvoir trouver facilement des relais extérieurs adaptés : « Un des problèmes les plus importants, c'est qu'on ne dispose pas de sortes de sas pour des mômes un peu “border line” et qui, souvent, ne vont pas accepter l'idée d'aller directement dans un centre médico-psychologique. »

Les travailleurs sociaux déplorent enfin les limitations d'heures fixées par la réglementation de juillet 1998 qui entravent l'efficacité du travail d'articulation des différentes structures d'insertion par l'activité économique. Cette contrainte qui touche l'association intermédiaire provoque parfois des ruptures dommageables dans le parcours d'un jeune, obligé d'attendre, après avoir atteint son quota légal d'heures au sein de l'AVEJ, qu'un emploi soit disponible via les deux autres structures. « En plus, ceux qui ont atteint les 240 heures dans le cadre de l'association intermédiaire sont souvent restés sur des missions de courte durée parce qu'ils n'étaient pas encore capables d'embrayer sur des périodes d'emplois plus longues. Le quota d'heures épuisé, on se retrouve donc un peu dans l'impasse », déplore Guy Orlandini.

Reste que ces difficultés n'occultent en rien les résultats positifs engrangés par l'association ces dernières années, comme en témoignent les 37 000 heures de travail réalisées en 2000 (dont la moitié par le biais de l'association intermédiaire) sur les établissements du site ou des lieux culturels extérieurs. Parmi les 206 jeunes ayant travaillé l'an dernier, près d'un tiers d'entre eux détenaient toujours un contrat à la fin de l'année et un autre tiers bénéficiait d'un contrat de travail, d'une activité indépendante ou d'une formation. La politique d'ouverture des activités culturelles du site aux jeunes a également prouvé son efficacité en matière de prévention (respect d'un lieu auquel les jeunes sont associés) et d'insertion, comme le montre par exemple le prolongement des pratiques culturelles au-delà des activités de l'association. « Quand des jeunes d'Aubervilliers ayant participé au projet Poèmes pour l'an 2000 me passent un coup de fil pour me dire qu'ils se sont inscrits à la Maison de quartier pour continuer à faire du théâtre, ou qu'un autre m'appelle pour voir comment le service municipal de la jeunesse de Pantin et l'APSV pourraient s'associer pour monter un projet culturel, je me dis qu'on a fait notre boulot », note avec une lueur de satisfaction Guy Orlandini.

L'approche globale de l'insertion est en outre saluée par les bénéficiaires eux- mêmes, à l'exemple de Kadidja, 21 ans, qui a déjà derrière elle plusieurs boulots dans les établissements du parc et prépare une formation pour travailler dans l'accueil ou le secrétariat : « Ici, tu trouves pas seulement un boulot, mais aussi des gens derrière toi pour t'aider dans tes démarches administratives, te conseiller et ça évite qu'il y ait un laisser-aller. En plus, j'ai découvert plein d'activités et j'emmène mon petit garçon voir des spectacles. On est entre collègues ou avec des gens de l'APSV et c'est une ambiance que j'aime bien. » Quant à Willy, à qui l'éducateur vient de glisser des indications pour venir assister à un spectacle, son regard sur le parc a changé depuis qu'il ne le traverse plus comme un simple passant. Son regard sur l'avenir a, lui aussi, évolué : « Maintenant que j'ai vu ce qu'on pouvait faire ici, je me dis que je pourrais voler de mes propres ailes et faire quelque chose moi-même, sans patron, dans l'animation, ou dans le théâtre. »

Henri Cormier

Notes

(1)  APSV : Site de la Villette - 211, avenue Jean-Jaurès - 75019 Paris - Tél. 01 40 03 77 76.

(2)  Ce spectacle a débouché sur la publication d'un ouvrage collectif abordant des sujets comme l'an 2000, le quartier, le collège, le métro encore le regard des autres : Poèmes pour l'an 2000 - Publication APSV et Cité de la musique - 7,62  €.

(3)  La loi du 29 juillet 1998 stipule que la durée globale des mises à disposition auprès d'un ou de plusieurs employeurs d'un même salarié ne peut excéder 240 heures.

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