Jusqu'à présent, le ministère du Logement n'a joué qu'un rôle assez effacé dans les politiques nationales et locales de sécurité. [...] La crainte de stigmatiser les “quartiers” en parlant d'eux sous l'angle de l'insécurité l'a jusqu'ici manifestement emporté sur l'idée que l'insécurité soit elle-même un facteur essentiel de stigmatisation. » Ce constat émane du magistrat Didier Peyrat, rédacteur d'un rapport sur « la sécurité dans le logement social » (1) que lui avait commandé en juin... la secrétaire d'Etat au logement. Preuve, incontestablement, que les temps changent.
Certaines de ses propositions ont même été reprises par Marie-Noëlle Lienemann dans la foulée de la présentation de ce travail, le 12 février. Ainsi, une mission « sécurité dans l'habitat » va être créée au sein du secrétariat d'Etat, qui devra repérer les infractions les plus fréquentes ou les moins signalées, développer les procédures de signalement, mettre au point des indicateurs pertinents à l'échelle d'un quartier, voire d'une cage d'escalier. Par ailleurs, les organismes locatifs sont encouragés à s'investir dans les contrats locaux de sécurité (CLS) (2). Des correspondants des bailleurs seront désignés pour chaque CLS qui ne les ont pas encore intégrés. Le ministère veut également encourager les offices HLM à généraliser la gestion de proximité pour améliorer le cadre de vie au quotidien, entretenir les locaux, réparer immédiatement les dégradations. Il prévoit d'établir des indicateurs de qualité à leur intention et d'aider ceux qui les respecteront, afin d'éviter que les coûts ne soient reportés sur les charges locatives. En outre, suivant ainsi le rapport Peyrat qui recommande de soutenir les gardiens, souvent en première ligne, le secrétariat d'Etat va revaloriser ce métier, dénigré ou redouté, de façon à favoriser les recrutements. Une urgence après le décret du 30 décembre 2001 instaurant, d'ici à 2003, dans les zones urbaines sensibles et les centres urbains de plus de 50 000 habitants la norme d'un gardien pour 100 logements (3). Une convention sera signée prochainement avec le ministère de l'Education nationale en vue de créer un nouveau diplôme professionnel. Contre la « crise de la cohabitation » décrite par le magistrat, une campagne nationale pour un « code de civilité » rappelant les règles de la vie commune va également être menée.
Au-delà des annonces qu'il a suscitées, le rapport vaut qu'on s'y attarde. Il a le mérite de défricher un domaine peu exploré, la sécurité dans les 300 000 immeubles et 3,7 millions de logements du parc HLM. Une tâche rendue difficile par la « distorsion entre la densité des instruments [de mesure] désormais disponibles sur le champ de la sécurité générale et le faible nombre des outils consacrés en propre à la sécurité dans le logement ». Ce qui conduit d'ailleurs l'auteur à préconiser que la « dimension logement-urbanisme soit prise en compte dans un futur observatoire national de la sécurité » et soit lancé un programme d'enquêtes périodiques de victimation (4). Des statistiques précises permettraient de combattre à la fois « les thèses dénégationnistes et catastrophistes » relatives à la sécurité.
Faute de données quantitatives et qualitatives globales relatives à l'insécurité dans l'habitat social- non seulement les troubles à l'ordre public produits par les infractions pénales, mais aussi les petits désordres sociaux, les incivilités, qui affectent la « tranquillité publique » -, l'auteur s'est fondé, pour en prendre la mesure, sur divers outils à sa disposition - statistiques de la police, de la gendarmerie, de la justice, quelques enquêtes de victimation et d'autodéclaration -, et sur un sondage réalisé pour l'occasion par l'institut IPSOS qui a interrogé 2 000 personnes, dont la moitié logée dans le parc social. Il trace, à partir de ces sources, les grands traits de l'insécurité dans le parc HLM. Laquelle n'est pas, par certains aspects, fondamentalement différente de l'insécurité générale. Les atteintes aux biens sont largement plus fréquentes que les agressions, certains « noyaux durs » sont à l'origine d'une grande partie des actes délictueux. Quant aux jeunes, au poids démographique particulièrement important dans le parc social (5), ils jouent « indéniablement », pour certains, « limités en nombre, mais parfois suractifs », un « rôle croissant[...] dans la croissance des infractions et des incivilités commises ». Mais, observe Didier Peyrat, « en concentrant observations et débats sur les jeunes “auteurs”, on est insensiblement conduit à faire l'impasse sur une donnée au moins aussi significative, celle des jeunes “victimes” ». De fait, il met en avant l'inquiétude grandissante, et souvent minimisée, des jeunes résidents de logements sociaux vis-à-vis de la montée de la violence, dont ils sont, comme ailleurs, les premières cibles. Ainsi, selon IPSOS, 57 % des 15-19 ans habitant dans le parc social déclarent avoir subi au moins un acte (agression, incivilité...) au cours des 12 derniers mois, contre 48 % de l'ensemble des résidents du parc.
La même enquête fait apparaître certains traits distinctifs de l'insécurité dans l'habitat social : son intensité et sa fréquence y sont « plus fortes ». 30 % des résidents de ce parc déclarent par exemple avoir été victimes d'une atteinte aux biens dans l'année écoulée, contre 24 % des non-résidents. Certains actes sont également plus fréquents en logement social qu'ailleurs : vandalisme, effraction sur véhicule, injures... Une situation globale qui aggrave l'inégalité sociale : cette insécurité accrue vient frapper des « populations déjà fragilisées, qui doivent, plus que d'autres, lutter pour la conquête des biens qu'elles possèdent ». Autre caractéristique, la vie associative est entravée. Ainsi, une enquête de la Confédération nationale du logement établit que 54 % des militants de ses associations de locataires ont personnellement été victimes d'un acte de délinquance à l'occasion de leur activité militante. Les locaux associatifs, les clubs de prévention sont souvent dégradés. « Tout se passe comme si les personnes exerçant une activité de type social au sens large étaient devenues, dans les ensembles HLM les plus marqués par la délinquance, des cibles privilégiées. » Peut-être pour éviter qu'elles deviennent gênantes « pour certains illégalismes organisés » ou pour « signifier à la cantonade qui décide vraiment de ce qui est possible et de ce qui est interdit dans le quartier ».
Cette insécurité mine non seulement les habitants, mais aussi les professionnels. Les gardiens, évidemment. « Mais on observe également l'existence de conduites d'évitement chez presque tous les intervenants amenés à travailler ponctuellement dans certains ensembles HLM : professions de santé, travailleurs sociaux... » De même, elle a des répercussions sur les politiques de logement. Ainsi certaines municipalités déclarent-elles préférer assumer les sanctions fiscales prévues par la loi « solidarité et renouvellement urbains » plutôt que d'augmenter le pourcentage des logements sociaux sur leur territoire.
Bien sûr, des réponses existent. Générales, comme les contrats locaux de sécurité, la police de proximité ou municipale, le réseau judiciaire de proximité, les contrats de ville et grands projets de ville... Ou plus centrées sur l'habitat, comme les agents de proximité et ou de médiation. Sans compter les pratiques spontanées, les initiatives associatives ou partenariales. Didier Peyrat en cite plusieurs en exemple, comme les correspondants de nuit, à Rennes. Mais de cet ensemble, il dresse un bilan très critique, dénonçant l' « attentisme », les « incohérences ». Ainsi, comme « la culture de la sécurité n'est pas encore entrée dans les mœurs » de tous les bailleurs, l'application de l'accord-cadre de mars 2000 entre le ministère de l'Intérieur et l'Union nationale HLM, qui vise d'une part à adapter les réponses de la police de proximité aux spécificités de l'habitat social et affirme, d'autre part, la contribution des offices HLM à la lutte contre l'insécurité et à la prévention de la délinquance, entre, par endroits, laborieusement en vigueur.
Surtout, le magistrat met en avant « une des raisons profondes de la crise actuelle de la citoyenneté qui redouble la crise de la sociabilité urbaine » : « la citoyenneté est, entre autres, minée par le formidable écart entre les victimations vécues et la faiblesse ou l'opacité relative des réponses et des réparations apportées par la collectivité ». Aussi considère-t-il comme une « priorité républicaine et sociale » de « traiter la question des victimes comme un élément de la “question sociale” ». Il demande, en premier lieu, que soit rendu effectif le droit à la plainte, renforcé par la loi du 22 juin 2000 sur les droits des victimes (6) mais souvent entravé dans les commissariats. Il souhaite aussi une protection spécifique sur le plan pénal contre les dégradations infligées aux locaux associatifs, ainsi qu'une meilleure protection juridique des gardiens des offices HLM en les rajoutant à la liste des personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public bénéficiant, aux termes du code pénal, d'une protection particulière contre les violences, au même titre que les agents des sociétés de transports, par exemple.
C.G.
(1) « Habiter, cohabiter. La sécurité dans le logement social » - Didier Peyrat - Secrétariat d'Etat au logement.
(2) En juillet 2001, ils étaient engagés dans seulement 66 contrats locaux de sécurité, sur les 546 existants.
(3) Voir ASH n° 2244 du 4-01-02.
(4) Proposition qui converge avec celle de la mission parlementaire conduite par Robert Pandraud et Christophe Caresche - Voir ASH n° 2248 du 1-02-02.
(5) Selon l'INSEE, en 1996, les 5-19 ans représentaient 20,4 % de la population française, mais 25,3 % de celle du parc HLM.
(7) Voir ASH n° 2172 du 23-06-00.