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L'Observatoire de la pauvreté dessine les cartes de l'exclusion

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« C

ertains territoires créent-ils de la pauvreté ? Peut-on isoler l'effet territoire ? » C'est cet aspect méconnu de la pauvreté, à savoir son approche territoriale, qu'explore l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, dans son deuxième rapport annuel qu'il a remis le 6 février à Elisabeth Guigou (1). Lequel, comme l'an dernier, a le mérite, chiffres et informations à l'appui, de revisiter les discours et représentations sur la pauvreté, et par là même d'interpeller l'action publique.

Afin d'éclairer la diversité géographique des situations de pauvreté, il a donc mené des travaux spécifiques à partir d'un découpage du territoire en 348 zones d'emploi. Premier constat : la proportion des ménages à bas revenus fiscaux varie de un à sept (2). Très faible dans les zones d'emploi d'Alsace, de Rhône-Alpes, d'Ile-de-France, la pauvreté touche parfois des régions entières comme le croissant nord allant de la Seine- Maritime aux Ardennes, le croissant sud allant des Pyrénées- Orientales au Var et incluant la Corse, et les zones de la diagonale, de la Charente aux Ardennes. Deuxième observation, les formes de la pauvreté sont également très différenciées sur le territoire. La part du chômage de longue durée dans l'ensemble des actifs fluctue de un à dix avec une surreprésentation dans le Nord et le Sud. Par ailleurs, une approche focalisée sur la pauvreté des familles monoparentales met en évidence de fortes oppositions suivant les zones d'emploi ; mais le chômage et le temps partiel des femmes élevant seules leurs enfants s'observent souvent aux mêmes endroits  (littoral méditerranéen, sud de la Drôme, bassins d'emploi de Roanne, Romans ou Troyes). Enfin, les conditions de logement sont très inégales. Développé dans la moitié nord, le logement social l'est beaucoup moins au Sud. Et la carte du logement des familles pauvres met clairement en évidence les difficultés de l'Ile-de-France :loyers élevés de l'agglomération parisienne, suroccupation, manque de confort de l'habitat.

Il n'y a pas de modèle uniforme d'action

Pour éclairer les relations entre territoires et pauvreté, le rapport identifie quatre mécanismes  : le niveau de développement économique, ses formes, ses moteurs, les dynamiques migratoires. Mais si ces variables croisées semblent expliquer les plus ou moins bonnes performances au niveau local, il n'y a pas de relation simple ou univoque entre elles. « Certains territoires, très dynamiques en création d'activités et d'emplois, ont pourtant un taux de pauvreté élevé, [par exemple, Saint-Denis en Ile-de- France] d'autres, moins performants dans la création d'emplois, sont plutôt épargnés », souligne l'observatoire. Il n'existe donc pas une carte mais de nombreuses cartes de la pauvreté - selon que l'on s'attache à l'une ou l'autre de ses dimensions (logement, chômage...) ou au périmètre géographique - qui ne se croisent pas toujours. Ce qui exclut tout modèle uniforme pour réduire les écarts territoriaux, conclut le rapport. Voilà qui invite à la réflexion sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion et sur la répartition des rôles entre les échelons nationaux ou locaux (voire locaux entre eux). Les politiques de discrimination positive à l'égard des territoires en crise ne supposent-elles pas une meilleure connaissance des territoires ? Faut-il décentraliser ou déconcentrer davantage ? Quel est le bon niveau d'intervention ?

Si l'approche territoriale de la pauvreté est l'aspect le plus novateur du rapport, l'observatoire revient aussi sur la complexité des liens entre la pauvreté, l'activité économique et l'emploi, trop souvent ignorée. La France a connu une période de reprise vigoureuse de 1997 à 2000 ; puis, à partir de 2001, une décélération de la croissance. Or la reprise ne s'est fait sentir sur les mesures de la pauvreté qu'avec retard et dans une proportion moindre que celle de la réduction du chômage. La pauvreté dite « monétaire » est restée stable de 1997 à 2000. 7 % des ménages (4,5 millions d'individus) seraient ainsi en dessous du seuil de pauvreté (en 2001, 564  € par mois pour une personne seule)   (3). Toutefois, l'analyse des taux de pauvreté en termes de condition de vie (4) traduit une légère diminution entre 1997 et 2001. Si les restrictions de consommation et les retards de paiement touchent moins de ménages, on constate en revanche peu d'améliorations au niveau des difficultés budgétaires et de logement. Enfin, le nombre d'allocataires de minima sociaux a baissé de 3 %en 2000, grâce à la diminution du nombre des titulaires du RMI et de l'allocation de solidarité spécifique.

Le chômage ne recoupe pas la pauvreté

Comment expliquer le faible impact immédiat de la reprise économique ? Outre les imperfections des indicateurs, le rapport rappelle quelques vérités trop souvent oubliées. D'abord, le chômage n'est pas la seule cause de la pauvreté : de nombreux ménages situés en dessous des seuils de pauvreté monétaires sont des retraités, des petits agriculteurs, des travailleurs à temps complet ayant une famille nombreuse. De plus, l'emploi ne signifie pas nécessairement la sortie de la pauvreté si l'on tient compte du développement des bas salaires, des formes d'emploi discontinu. Enfin, certaines situations de grande exclusion - phénomène difficile à appréhender par les statistiques - s'aggravent, comme le montrent les données d'associations nationales.

Autant de nuances qui réinterrogent les politiques sociales centrées avant tout sur le travail, comme le rappelle très justement le rapport. Même s'il se défend de remettre en cause la pertinence de cette orientation, il précise qu'elle « ne doit pas interdire de mettre en œuvre des solutions différentes pour les personnes très éloignées de l'emploi, et particulièrement celles qui, désocialisées, en situation extrêmement précaire sur le plan de la santé, de l'équilibre familial et social, relèvent d'autres solutions ». Reste que l'amélioration de la conjoncture constatée jusqu'en 2001 a entraîné un durcissement des discours dans l'opinion sur les personnes en difficulté, hypothéquant finalement le développement d'actions fortes contre la pauvreté. L'analyse des représentations de l'exclusion dans la population et les médias semblerait ainsi montrer que «  c'est précisément quand la situation économique s'améliore que la compassion, l'indulgence diminuent tandis que la sévérité des jugements et la mise en cause de la responsabilité individuelle des personnes [...]se développent  ».

Enfin, l'observatoire a continué de travailler sur le thème de l'accès aux droits fondamentaux. Outre l'accès à la santé, il a étudié plus précisément deux populations particulièrement exposées aux risques de pauvreté : les personnes sans domicile et les étrangers.

I.S.

Notes

(1)  Rapport 2001-2002 - La Documentation française : 124, rue Henri-Barbusse - 93308 Aubervilliers cedex - Tél. 01 40 15 70 00.

(2)  En 1997, 2, 4 millions de ménages (10 %) ont déclaré un revenu annuel inférieur à 50 % du revenu médian par unité de consommation.

(3)  Chiffre de 1997, dernière année où l'on dispose de données complètes.

(4)  Selon cet indicateur, de 11 à 12 % des ménages auraient des difficultés du fait de contraintes budgétaires, de restrictions de consommation, de retards de paiement et de problèmes de logement.

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