Dans les services d'action sociale des départements, l'heure est à la mobilisation générale. Avec la création de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) en juillet 2001 et la parution des décrets d'application en novembre (1), le délai était très court pour rendre ce nouveau droit effectif dès le 1er janvier 2002. Pourtant, de nombreux conseils généraux se sont fait un devoir de diffuser l'information et les dossiers de demande dès novembre, et de se préparer à les instruire rapidement. Sachant que les bénéficiaires potentiels de l'APA sont, en moyenne, quatre fois plus nombreux que les allocataires de la prestation spécifique dépendance (PSD) et l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) qu'elle remplace.
Ainsi, dans le Gard, où le président du conseil général, Damien Alary, a clairement inscrit la mise en place de l'APA parmi les priorités 2002, un directeur général adjoint, Yvan Ferrier, a été spécialement désigné pour faire avancer le projet. Dix postes ont été créés à la direction du développement social et de la santé. Bien au-delà des équipes qui instruisaient auparavant les dossiers de PSD, la totalité des 191 assistantes sociales polyvalentes de secteur a été, ou sera, formée pour participer à l'évaluation du degré de dépendance et du besoin d'aide des demandeurs. Les intervenantes des services de coordination gérontologique qui établiront les plans d'aide (voir encadré) vont passer de 7 à 13. Quant au budget de l'allocation proprement dite, il « sera alimenté autant que de besoin », assure le président. Il n'y a guère que l'informatique qui puisse un peu entraver le démarrage de cette belle machine, les programmes de traitement des dossiers risquant de n'être prêts qu'en mars...
Reste à se préoccuper de l'impact que la création de l'allocation personnalisée d'autonomie va avoir sur le monde de l'aide à domicile. Avec le triplement de l'aide aux personnes dépendantes annoncé sur trois ans, le secteur va en effet connaî-tre un formidable appel d'air. Les spécialistes émettent « l'hypothèse raisonnable » de 40 000 créa- tions d'emplois dans les services prestataires au plan national. Enorme pour un ensemble qui n'emploierait aujourd'hui que 80 000 équivalents temps plein. Et qui est déjà en proie à de sérieuses difficultés de recrutement et d' « évasion » des personnels. Sans d'énergiques mesures d'organisation et de développement des services, l'instauration de l'allocation personnalisée d'autonomie risque donc de booster la demande sans que la réponse suive.
Par lettre du 5 septembre 2001 adres- sée aux présidents de conseils généraux, Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d'Etat aux personnes âgées, proposait donc de saisir l'occasion pour dynamiser et structurer l'aide à domicile, par le biais de conventions pluri- annuelles engageant l'ensemble des intervenants- financeurs, prescripteurs et prestataires - assorties de quelques moyens. 12 millions d'euros sur les 53 du Fonds de modernisation de l'aide à domicile sont en effet réservés à l'accompagnement de cette démarche expérimentale pour 2002.
Vingt-deux présidents de conseils généraux - de l'Aisne à la Corrèze, du Finistère à la Haute-Loire et au Doubs - ont fait savoir qu'ils s'engageaient dans cette démarche. Les premières conventions pourraient être signées après la mi-janvier, à commencer peut-être par la Nièvre, Paris et le Val-de-Marne.
Quant au contenu proposé pour ces conventions, il laisse une « large initiative aux acteurs locaux », mais doit comporter au moins cinq rubriques touchant aux partenariats, à l'offre de services, à la professionnalisation des intervenantes, à la rationalisation des financements et à l'évaluation. Les projets de texte suivent souvent ce schéma, avec des accents différents selon les priorités locales.
L'amélioration de l'offre de services fait l'objet d'engagements forts. Dans de nombreux départements, comme en Ille- et-Vilaine, il s'agit d'abord d'une extension géographique aux zones aujourd'hui dépourvues de services d'aide à domicile ou de portage des repas. La couverture du territoire sera répartie entre les prestataires qui auront le devoir de répondre partout à la demande.
Souvent, c'est aussi une extension des horaires de service qui est à l'ordre du jour. Dans trop de cas, en effet, on voit des personnes impotentes levées et lavées tard et recouchées très tôt, uniquement en fonction des horaires de travail de l'intervenante. Et tant pis si la famille ou les voisins ne peuvent assurer le service le week-end. En Ille-et-Vilaine, l'objectif fixé est de parvenir à une prise en charge des personnes 24 heures sur 24 et sept jours sur sept . « A Rennes, explique Rémi Coudron, président de l'Union départementale des associations de services d'aide à domicile (Udassad), un service de “visiteurs de nuit” est assuré depuis janvier 2001 grâce à des emplois- jeunes. La demande des personnes âgées et handicapées se révèle à mesure que le service est mieux connu. Il s'agit donc de le pérenniser et de l'étendre à tout le département, même si certains services communaux se montrent réticents. Il s'agit de répondre à un besoin réel, que l'APA permet de solvabiliser. »
A Paris (qui compte 420 000 habitants de plus de 60 ans et accuse un gros retard dans l'aide au maintien à domicile), la convention prévoit d'assurer, hors de l'horaire obligatoire de 8 à 20 heures, une permanence de services de nuit, week-ends et jours fériés. Avec un délai de un an laissé aux 17 associations prestataires pour s'organiser.
Dans le Gard, c'est plutôt une réponse aux situations d'urgence qui a été recher- chée. Car trop de personnes âgées isolées sont hospitalisées à la moindre maladie parce qu'il faut huit jours pour trouver une aide-ménagère. Il s'agit donc d'instituer un tour de permanence hebdomadaire entre les coordinations gérontologiques et de prévoir du personnel d'astreinte dans chaque association.
Autre projet soutenu par les conventions : la diversification de l'offre de services. Dans la Nièvre comme à Paris, des postes d'ergothérapeutes seront créés pour évaluer les milieux de vie et proposer toutes les solutions permettant d'adapter le logement et l'environnement. En Ille-et-Vilaine, cette mission sera confiée par convention au Pact- Arim. Le Gard envisage aussi la création de services de bricolage et de petit dépannage. De même, le département réfléchit à de nouvelles formes d'accompa-gnement social. Il s'agirait d'aider les personnes âgées à sortir, à accomplir leurs démarches, à profiter parfois d'un spectacle..., bref à surmonter leurs problèmes de déplacement, donc d'enfermement et d'isolement. La demande va s'accroître, estime Yvan Ferrier qui trouverait légitime d'y répondre.
La lutte contre l'isolement pousse aussi à proposer une assistance psychologique. Et d'abord aux personnes âgées elles-mêmes. Dans le cadre du dispositif de télé-assistance qu'il a contribué à développer, le conseil général d'Ille-et- Vilaine a constaté l'existence d'appels qui traduisent une montée d'angoisse à l'orée de la nuit. Ils ne nécessitent pas d'intervention au domicile mais réclament une écoute et un soutien. La convention prévoit donc la création d'un poste de psychologue pour mieux assurer cette fonction de « réassurance » tous les jours de 20 à 24 heures, ce qui libérera en outre l'opérateur pour les autres appels à l'aide.
A Paris, l'attention se porte plutôt sur l'aide aux aidants. « Le soutien et le conseil apportés aux familles et à l'entourage de la personne âgée sont essentiels pour éviter l'épuisement et le découragement des aidants naturels, pour permettre de dédramatiser et de relativiser les situations et donner des points de repère », dit le projet de convention qui prévoit l'organisation d'une permanence d'accueil hebdomadaire, complétée de réunions trimestrielles d'information et d'échanges, et de rencontres thématiques.
Dans la même logique d'aide aux aidants, l'Ille-et-Vilaine comme le Gard sont décidés à développer les possibilités d'accueil de jour et d'hébergement temporaire. « En sachant que, pour cela, il faut accepter d'avoir des lits vides de temps en temps », précise Yvan Ferrier. Et « sécuriser » néanmoins les gestionnaires, écrit l'Ille-et-Vilaine.
Enfin, Paris se préoccupe aussi de l'accompagnement psychologique des personnels de l'intervention, confrontés à l'angoisse du vieillissement, « à la peur de la mort, à la souffrance, à la dépendance, à la démence ». Dès 2002, des psychologues seront mis à la disposition des associations afin de contribuer à la formation et au soutien des aides à domicile, notamment par le biais de groupes de parole.
Plus globalement, la formation consti- tue un autre grand volet de préoccupation. On le sait, au plan national, seuls 10 à 20 % des personnels d'aide à domicile ont reçu une formation dans leur domaine d'intervention. A Paris, où le pourcentage de titulaires du certificat d'aptitude aux fonctions d'aide à domicile (CAFAD) ne dépasse pas 12 %, la convention fixe un objectif de 30 % de personnes supplémentaires préparées au nouveau diplôme d'auxiliaire de vie sociale dans un délai de trois ans et de 100 %de diplômées dans les dix ans.
A l'échelle du Gard, l'objectif est de former de 450 à 500 personnes sur trois ans. Un engagement de développement de la formation (EDDF) est en cours de discussion avec les directions régionales et départementales du travail et des affaires sanitaires et sociales. Un volet de préformation ou d'adaptation à l'emploi est aussi prévu en amont, sur les crédits d'insertion, pour les personnes qui en auraient besoin en raison de difficultés culturelles ou sociales, au sortir d'un chômage de longue durée par exemple.
L'Ille-et-Vilaine s'est unie avec les trois autres départements bretons pour solliciter de la région un grand plan de formation et parvenir, dans les cinq ans, à 50 % de diplômées (contre 15 à 18 % actuellement). Il s'agit de former 1 200 personnes par an (contre 150 aujourd'hui...), moitié en formation initiale, moitié en cours d'emploi, en y intégrant la validation des acquis de l'expérience (VAE). Un plan de financement de 2,9 à 3,2 millions d'euros par an a ainsi été dessiné, dans lequel chaque département apporterait sa quote-part, à côté de la région, des partenaires habituels (DRTEFP, FSE, employeurs, OPCA) et... du Fonds de modernisation de l'aide à domicile. Le contenu et les modalités de formation et de VAE font aussi l'objet d'une réflexion collective pilotée par la direction régionale des affaires sanitaires et sociales.
Plus encore que la formation, le recrutement est le premier souci de tous les employeurs. La profession est exigeante mais financièrement peu attirante. Elle est, de plus, mal connue, pas encore complètement dégagée de la gangue des vieilles représentations des rôles féminins, avec une image ménagère qui l'emporte encore sur celle du service polyvalent à la personne... et à la société. Dans le Gard, l'agence de l'emploi, qui avait tendance à considérer l'aide à domicile parmi les catégories fourre-tout, sans exigence de compétences particulières, s'est engagée à mettre en place un « fichier qualifié » pour l'aide à domicile, avec le souci d'identifier et d'informer les personnes susceptibles de se tourner vraiment vers le métier. L'ANPE et le département mèneront aussi ensemble une action spécifique en direction des titulaires du revenu minimum d'insertion et des chômeurs de longue durée susceptibles d'entrer en pré-qualification. Le pari est qu'un tiers des 450 personnes à former pourrait venir de cette filière. Dans de nombreux départements, on espère ainsi pouvoir faire d'une pierre deux coups en répondant à un besoin de recrutement tout en résolvant un problème d'insertion. Et en se disant attentif à ce que le second objectif ne nuise pas au premier.
Les chartes de qualité sont aussi au sommaire de nombreuses conventions. Le Gard est décidé à les généraliser... avec l'approbation des prestataires qui s'y conforment déjà. « Ce sera l'occasion de faire le ménage parmi les associations, car on y trouve le pire et le meilleur », juge Guillaume Natton, directeur de l'Association nîmoise d'aide à domicile (Anada). Certaines conventions fixent aussi des impératifs à la gestion des associations. « Il faudra mutualiser certains services et d'abord au sein d'un même réseau, reconnaît Rémi Coudron. Il faudra parfois regrouper des petites associations locales pour optimiser l'organisation et les coûts. Mais le problème concerne aussi des centres communaux d'action sociale : certains maires tiennent à leur autonomie plus qu'à la rationalité de leurs choix... » A Paris, quatre associations s'engagent à expérimenter la télégestion pour l'enregistrement et la facturation des heures d'aides à domicile, ce qui devrait permettre « des gains notables en productivité des services administratifs et en fiabilité des informations traitées », précise la convention.
L'actuel mode de financement, fondé sur un prix horaire de l'intervention à domicile, est unanimement décrié. « Avec ce système, nous en sommes encore au XIX e siècle pour la gestion des personnels », s'emporte Rémi Coudron. « Le taux unique, c'est un véritable laminoir. Tout le contraire d'une prime à l'amélioration de la qualité », constate Pierre Debons, responsable du développement à l'Union nationale ADMR (association du service à domicile). Mais alors, par quoi le remplacer ? Par un budget global ? un paiement à l'acte ? au poste ? au forfait ? La concertation est engagée dans nombre de départements sans que rien ne soit encore tranché, même si un système mixte va souvent, pour cette année, être institué, retenant le paiement à l'heure pour les interventions au domicile proprement dites, plus un forfait ou un paiement au poste pour les autres activités d'encadrement, de coordination, de conseil, de formation... « Avec ces dotations annuelles supplémentaires, les services disposeront de moyens leur permettant de mieux rémunérer leurs professionnels, y compris pour des tâches et des temps effectués hors du domicile des personnes (coordination, échanges en groupes de parole, formation...) », précise le projet de convention d'Ille-et-Vilaine.
Les projets de convention prévoient pour la plupart l'implantation ou la généralisation des centres locaux d'information et de coordination (CLIC) dont la députée Paulette Guinchard-Kunstler préconisait la création en 1999 (2) et que la ministre encourage désormais (3) . En Ille-et-Vilaine, à Paris comme dans le Gard fonctionnaient déjà des structures préfigurant les CLIC. « Le secteur des services à domicile aussi bien que celui des maisons de retraite et autres établissements d'accueil et de soins est très diversifié, peu lisible. Nous regroupons l'information et servons d'aiguillage, explique Danièle Deteix, présidente de Jonction, l'association de coordination gérontologique de Nîmes. Nous proposons une sorte de “guichet unique” (mais non obligatoire) aux plus de 60 ans et à leurs familles : un lieu d'accueil, d'écoute, d'information, d'orientation et de réponse aux besoins des personnes âgées. Le plus souvent, après une visite d'évaluation au domicile de la personne concernée. » Les coordinatrices sont d'anciennes infirmières, des assistantes sociales, une psychologue... La présidente de Jonction cherche aussi des conseillères en économie sociale et familiale, qui ont, estime-t-elle, « le bon profil pour évaluer les situations ». Car l'heure est au recrutement, le conseil général du Gard ayant confié aux coordinations l'élaboration des plans d'aide de l'APA. « Le plus important, le plus long aussi, c'est de créer des relations de confiance avec tous les acteurs concernés et de les amener à travailler en réseau, assure Laurence Robert, coordinatrice responsable du Point Vermeil, la coordination de Bagnols-sur-Cèze (Gard). Les plus difficiles à toucher sont les médecins libéraux. Mais une fois qu'ils connaissent notre existence et notre efficacité, ils sont les premiers à nous envoyer leurs patients. Certains nous demandent même de passer voir des personnes âgées à l'hôpital pour envisager avec elles des solutions facilitant leur sortie. » « A l'expérience, les coordinations gérontologiques - moins orientées sur la concertation institutionnelle, comme c'était le cas au départ, que centrées sur la réponse à l'usager -apparaissent bien comme un maillon indispensable d'une politique globale de la vieillesse, estime Yvan Ferrier, directeur général adjoint du conseil général du Gard, qui réfléchit sur ces questions depuis le début des années 90. Leur création a été l'une des priorités du département depuis 1993, bien qu'il ait dû assurer plus de 90 % du financement. Sachant que l'APA va augmenter fortement les sollicitations, la convention retient l'objectif de démultiplier les services en les rapprochant des usagers, car leur taux d'utilisation décroît à mesure de l'éloignement du domicile des demandeurs potentiels. » Au lieu de quatre services couvrant l'ensemble du département, la convention propose donc d'en créer dix, un par circonscription d'action sociale, et de solliciter le label CLIC... qui s'accompagne d'un financement de l'Etat. De quoi être assuré qu'à Nîmes comme à Rennes ou dans la capitale, le schéma départemental de coordination de l'action gérontologique - qui, aux termes de la loi APA, doit être arrêté par le président du conseil général et le préfet - existera autrement que sur le papier.
« Il n'est pas d'autre secteur où les employeurs sont aussi impatients que les salariés de voir augmenter les rémunérations », commente Guillaume Natton, bien conscient que c'est d'abord la faiblesse des salaires qui lui donne tant de mal à recruter, l'oblige à toujours gérer à flux tendus et hypothèque ses projets de développement. Il est le premier à regretter que l'obtention du CAFAD ne vaille actuellement aux aides à domicile qu'une augmentation mensuelle de 45 € ; juste quelques années de moins au SMIC... « Chez nous, même les titulaires du CAFAD partent chez Citroën, pour 300 € de plus par mois et moins d'astreintes », reconnaît de la même façon Rémi Coudron. « Heureusement, dans les quatre départements bretons, les politiques en conviennent désormais : pour réussir l'APA, il faudra assurer la rémunération, la formation et un véritable statut social au personnel. » « Pour la première fois, une dynamique globale est lancée », confirme Florence Leduc, directrice générale adjointe de l'Unassad, qui ne voit, cependant, les choses bouger « que dans un département sur deux ». Reste que les associations d'aide à domicile ne sont pas forcées à l'immobilisme même si leur conseil général hiberne. Le Fonds de modernisation de l'aide à domicile comporte aussi des lignes réservées à la formation et aux initiatives locales, accessibles via les préfets. A bon entendeur...
Marie-Jo Maerel
(1) Voir ASH n° 2226 du 31-08-01 ; n° 2238 du 23-11-01 et n° 2239 du 30-11-01.
(2) Voir ASH n° 2135 du 1-10-99.
(3) Voir ASH n° 2217 du 1-06-01. On comptait 140 CLIC à la fin de 2001, le ministère espère en voir 300 fonctionner à la fin de 2002 et un millier mailler tout le territoire en 2005.