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« De la culture de la contradiction à la culture de l'évaluation »

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L' accès direct des familles aux dossiers d'assistance éducative constitue une véritable révolution, estime Alain Charles, éducateur spécialisé à la Sauvergarde du Vaucluse (1). C'est, selon lui, l'occasion, pour les professionnels, d'engager une réflexion sur leurs écrits.

« La nouvelle donne qui vise le renforcement de l'information des justiciables en procédure d'action éducative, par l'accès des familles aux dossiers, représente une véritable révolution dans le secteur du milieu ouvert.

En conférant aux familles le droit d'être informées par la communication des éléments du dossier d'action éducative, les législateurs introduisent un nouveau principe fondamental. Ceux-ci garantissent le caractère contradictoire que tout justiciable est en droit d'attendre, cette modification annonce ainsi le retour de l'action éducative dans le droit commun des procédures civiles.

La culture judiciaire de l'action éducative, qui induisait jusqu'à maintenant une négociation menée par le juge des enfants qui recherchait l'adhésion des familles, évoluerait désormais vers une culture de confrontation.

Cette confrontation devra s'appuyer et se construire à partir de tous les éléments du dossier accessibles aux familles : signalement, enquête, rapport d'action éducative en milieu ouvert  (AEMO).

L'élaboration du rapport écrit par les éducateurs au magistrat soulève alors plusieurs problèmes. Leurs inquiétudes sur l'accès aux informations des usagers sur les logiques éducatives et sur les termes professionnels transcrits dans les comptes rendus est réelle. Une remise en question d'une transcription coutumière devra être opérée.

Ainsi, la tentation est grande de censurer les écrits jusqu'à gommer toute pertinence. Les obstacles sont nombreux :

 éviter le douloureux, le traumatisant que l'évocation peut faire naître est certainement louable, mais cela peut rendre insaisissable des écrits ;

 ne pas multiplier les réajustements discursifs qui cachent mal la difficulté de l'intervenant à exposer explicitement son intervention est problématique.

Egalement, il sera nécessaire de s'assurer de la cohérence entre la mise en œuvre décrite et ce que la famille aura perçu oralement. Le décalage pourrait alors déboucher sur une perte de confiance.

Ainsi, dès le départ, le travailleur social doit se situer dans un contexte nouveau à double finalité.

En effet, si le destinataire du rapport demeure le juge des enfants, la famille sera en mesure de prendre connaissance du contenu... et de contester. Il s'agit bien d'une modification de la culture judiciaire de l'assistance éducative.

Cela repositionne chacun à des places plus respectueuses aux droits des parents.

L'usager informé participera à un système, où le magistrat et le service éducatif devront l'intégrer obligatoirement dans une relation triangulaire.

Le compte-rendu intéressera, à des titres différents, autant l'autorité judiciaire que les titulaires de l'autorité parentale. Le rapport d'AEMO, qui expose une pratique autant qu'il l'interroge, doit donc être repensé.

Des efforts indispensables pour rendre lisibles les écrits

Il relèvera de l'exercice salutaire pour chaque professionnel de répondre aux objectifs fixés par le juge, tout en démontrant aux familles le bien-fondé de notre intervention, ainsi que sa légitimité.

La rédaction d'un écrit devra, pour le professionnel, être le moment de réinterroger son travail, son positionnement, ses méthodes, ainsi que l'utilisation de son travail et l'utilité de son intervention.

Un effort pour rendre lisibles et accessibles nos écrits est indispensable, trop d'entre eux véhiculent des présupposés qui sont porteurs d'autant de jugements.

Ce type d'écrit admet une toute-puissance préalable du travailleur social qu'il convient de questionner.

De même, les observations explicitées devront rendre compte de la chose observée plutôt que de l'observateur.

Le principe du contradictoire annonce un rééquilibrage fondamental dans le sens où, à son tour, la famille va pouvoir porter un regard sur ce qui focalise l'intervention : le rapport écrit.

Toute une réflexion sur cet écrit doit être menée. La culture de la confrontation entraînera sans doute la montée en puissance de la culture d'évaluation.

Sans vouloir réduire la complexité et la diversité des mesures d'action éducative à des modèles d'intervention normalisés ou standardisés, il est nécessaire d'évoluer vers une plus grande rigueur méthodologique dans nos écrits.

L'évaluation de son action par le travailleur social peut représenter une démarche structurante et réassurante.

Mené et défini par une équipe pluridisciplinaire, le travail d'évaluation est l'occasion privilégiée de revisiter, de critiquer, de réajuster ses pro- pres représentations, ses propres préconstruits, ses rigidités progressivement installées dans ses pratiques. Tout en sauvegardant les choix et les sensibilités de chacun.

Comment peut-on rendre compte des processus engagés, des résultats escomptés et obtenus ? Comment, et avec quels indicateurs, peut-on mesurer les risques encourus par des mineurs au sein de leur famille ? Avec quels indices doit-on évaluer les capacités parentales pour y répondre ? A partir de quelles observations, de quelles expériences, peut-on appréhender les dysfonctionnements familiaux ?

Ainsi la conduite de l'intervention, la prise de décision par l'éducateur sont soutenues par cet outil exigeant qu'est l'évaluation.

Elle représente une garantie certaine pour les familles de ne pas se sentir victimes de stigmatisations erronées.

En validant des pratiques, l'évaluation participe à une réassurance identitaire de l'éducateur et réaffirme sa compétence.

Au final, un rapport construit autour d'une démarche évaluative représente une base d'appréciation essentielle pour le juge.

Toutes ces interrogations autour de nos écrits sont désormais incontournables, car construire un rapport qui ne rendrait pas véritablement compte d'une pratique organisée, ne serait pas seulement contesté (ce qui serait une bonne chose), mais rejeté par les familles. En fait, ce sont les mesures d'action éducative en milieu ouvert qui pourraient être remises en cause à terme, dans ce nouveau contexte. »

Alain Charles Educateur spécialisé en AEMO : Lotissement 7 - Le Hameau des sources -84100 Orange -Tél. 04 90 51 80 33.

Notes

(1)  Un décret en ce sens est en cours de préparation. Voir ASH n° 2207 du 23-03-01.

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