Alors que la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) vient de publier les résultats de son enquête menée sur plus de 1 000 bénévoles (1), toutes les associations sont unanimes sur le sujet : un nombre croissant de cadres viennent proposer leurs services à l'heure de la retraite. « Comme les personnes qui arrivent sont de plus en plus compétentes, nous avons mis en place un nouveau type de bénévolat qui propose autre chose que des tâches de distribution », explique Véra Luciani, responsable du service bénévolat au Secours catholique.
Bien différents des dames de charité, ces « nouveaux » bénévoles sont motivés par une envie de se rendre utile face à la misère et la pauvreté. De plus, les progrès médicaux permettent d'être encore en forme à l'âge de la retraite et de se consacrer à une deuxième « carrière » choisie après la vie professionnelle.
A l'Union nationale ADMR (Association du service à domicile), on compte deux fois plus de bénévoles que de salariés. Ce sont eux qui encadrent les techniciennes de l'intervention sociale et familiale (TISF) et qui montent les dossiers d'aide et d'intervention pour les familles. « C'est un choix de l'association, explique Annie Morel, responsable de communication de l'Union nationale ADMR .La vision des bénévoles, qui vient se confronter à celle des TISF, provoque une dynamique supplémentaire et évite les situations où la famille se soumet au travailleur social. » Les « nouveaux » bénévoles peuvent assurer des missions précises en lien avec leur expérience professionnelle, bien que certains anciens dirigeants préfèrent devenir de « petites mains ».
Le bénévole apparaît encore aujour- d'hui comme un bon défricheur de nouveaux terrains d'action sociale et, dans ce domaine, les retraités ne sont pas les moins actifs. « Ils s'investissent souvent sur de nouveaux besoins, expli- que Marc Gagnaire, directeur adjoint à la FNARS. Ensuite, le besoin est reconnu et l'on embauche des professionnels. »
L'avantage des bénévoles réside aussi dans leur proximité. « Ils sont surtout dans un rôle d'accompagnement et de relation de personne à personne
qui permet de détecter non seulement les besoins, mais aussi les ressources de ces personnes, observe Michel Bouton, animateur départemental du Secours catholique à Versailles (2). Un bénévole est capable de s'adapter à des demandes auxquelles ne peut pas toujours répondre un travailleur social du fait des contraintes de son rôle. Il peut aussi proposer des compétences spécifiques comme l'aide à la création d'emploi. » Parrains bienveillants un peu à la manière des grands-parents, les retraités bénévoles n'hésitent pas à s'investir sur le terrain, souvent rompus aux contacts, pour avoir travaillé en équipe. « La notion même d'accompagnement les place du côté des usagers, explique Christian Chassériaud, directeur de l'Institut du travail social (ITS) Pau-Pyrénées. Avant, les bénévoles s'en tenaient aux œuvres caritatives. Maintenant, ils accompagnent les usagers jusque dans le bureau de l'assistant social et sont aussi les témoins des efforts qu'entreprennent les publics pour s'en sortir. » Enfin, le champ social apprécie ces représentants de la société civile qui, ayant « réussi », ne laissent pas tomber les autres. « Les publics sont très touchés de voir que des personnes aisées s'intéressent à eux et se soucient de leur sort de manière bénévole, rajoute Véra Luciani. Cela constitue déjà un grand pas dans le rétablissement du lien social. » Cette vocation solidaire fait-elle écho à une culpabilité sur le tard, à l'heure du chômage et des licenciements ?
Les retraités de l'entreprise ont aussi acquis certaines méthodes qui s'avèrent bien utiles au travail social. « Ils sont souvent pragmatiques, remarque Philippe Lyet, enseignant en sociologie à l'Institut régional supérieur du travail éducatif et social de Dijon. Quand ils rencontrent un problème, ils pensent immédiatement à le régler. Comme ils sont souvent dans une logique d'organisation, ils réfléchissent aux compétences et aux acteurs qu'ils peuvent mobiliser autour du problème rencontré. Cela favorise une mise en réseau très intéressante. »
Mais au-delà des bénéfices qu'apportent ces bénévoles, le champ social souffre parfois des maladresses de ces seniors à la fois ex-dirigeants d'entreprises et acteurs de la solidarité. Les cadres retraités ont rarement eu l'occasion de s'adresser aux services sociaux durant leur vie active. Du coup, ils connaissent très mal le système et réalisent sur le tard qu'il a ses dysfonctionnements. Ils vont s'impatienter des délais d'attente pour un rendez- vous chez l'assistant social, avoir l'impression que ce dernier ne fait pas son travail lorsqu'une aide tarde et s'irriter contre les services sociaux qui ferment à 17 heures.
L'incompréhension et la méconnaissance du travail social peuvent engendrer des malentendus. « Il arrive que le bénévole, épouvanté par la situation de la personne aidée, cherche à faire accélérer la démarche en insistant auprès de l'assistant social, remarque Véra Luciani. Il ne comprend pas que tous les cas sont aussi urgents que celui qu'il accompagne. » De leur côté, les travailleurs sociaux ne sont pas non plus toujours tendres avec ces bénévoles, même si les incompréhensions se sont un peu atténuées. « Dans le champ social, ils pensent qu'ils sont seuls à être légitimes », remarque François Colin, bénévole à Pau. « Le professionnel considère généralement le bénévole comme un gentil amateur altruiste qui fait de la politique sociale à bon marché », reconnaît Michel Monbeig, responsable du secteur formation continue de l'ITS Pau-Pyrénées.
Parce qu'ils sont davantage dans le don que dans l'éducatif, les bénévoles ont moins de contraintes. « Ils ont beaucoup de bonne volonté, reconnaît Karine Py, éducatrice spécialisée à Point d'eau 64 (3). Du coup, ils occupent le beau rôle. Ils passent pour les “gentils” auprès des personnes accueillies alors que les travailleurs sociaux, qui doivent rappeler la loi et les règles, deviennent les “méchants”. »
La rencontre entre les travailleurs sociaux et les anciens cadres d'entreprises, souvent dans une logique de productivité et de rentabilité, peut provoquer des frictions. « D'un côté, les professionnels sont souvent convaincus que seuls les gens formés au social peuvent agir de manière correcte, constate Philippe Lyet (4). De l'autre, on voit des cadres retraités qui arrivent avec des idées très précises sur ce qu'il faut faire et qui ont du mal à admettre que les jeunes travailleurs sociaux les encadrent, qu'ils détiennent des compétences indispensables et qu'ils posent les problèmes d'une manière qui leur échappe. » La différence d'âge peut également gêner le rapport entre les bénévoles retraités et les jeunes travailleurs sociaux.
« Les bénévoles qui viennent de l'entreprise cherchent parfois à appliquer leurs méthodes au travail d'insertion, observe François Banizette, ancien responsable de circonscription Berlioz à Pau. Or, ces méthodes, qui se concentrent sur une notion d'efficacité quantifiable, ne sont pas toujours transposables au travail social. » Lorsqu'ils occupent des fonctions de dirigeants au sein du conseil d'administration, les retraités bénévoles peuvent provoquer des conflits alors qu'ils pensent bien faire. « Les cultures de l'entreprise et du social s'opposent, affirme Christian Laine, président du groupement d'intérêt public « Réseaux, information, gestion ». Sur le terrain, les travailleurs sociaux vont privilégier des actions par rapport à leur utilité pour les usagers. Mais à la direction, les retraités bénévoles sont souvent dans une logique de gestion. Ils se concentrent sur les actions qui leur rapportent des subventions, souvent au détriment de l'objet initial de l'association. »
Dans la mesure où ils ont fait leurs preuves durant leur vie professionnelle, les retraités ne sont pas toujours très réceptifs au changement et estiment souvent que leur bonne volonté suffit. La différence de culture peut engendrer des malentendus et nuire à l'efficacité des actions menées. « Le travailleur social intervient avec des références pédagogiques alors que le bénévole agit dans le don, rajoute Karine Py. Le fait que l'un refuse ce que le bénévole accepte entraîne un manque de cohérence et donc des tensions et de l'agressivité de la part des publics. » Enfin, bon nombre de bénévoles sont dépourvus de l'esprit militant de leurs prédécesseurs. Certains découvrent la solidarité sur le tard, sans en comprendre toujours les enjeux, manquent de recul et confondent parfois le désir des personnes aidées avec le leur.
On l'aura compris, les travailleurs sociaux et les retraités bénévoles doivent apprendre à travailler ensemble. L'enquête de la FNARS a mis en évidence, sur ce point, l'importance du rôle des animateurs de réseau de bénévoles. « Si le trav ail est bien défini et régulé, il s'i nstaure une complémentarité entre bénévoles et travailleurs sociaux et ils se reconnaissent mutuellement », affirme Marc Gagnaire. « Il importe de travailler dans un esprit de partenariat en respectant les spécificités de chacun, rajoute Michel Bouton. Cela implique de se connaître en ayant bien compris les objectifs, les compétences et le fonctionnement de chaque institution . D'où la nécessité aussi de former les béné vol es. » Au Secours catholique, comme dans bien d'autres associations, des formations internes sont proposées aux bénévoles sur des thèmes comme « la relation d'aide et d'accompagnement », « la protection sociale » ou « la gestion des situations délicates ». Ces formations permettent de dépasser la simple bonne volonté, mais aussi de comprendre la complexité du travail social et donc, de mieux respecter les interventions des professionnels. Des actions qui favorisent un partenariat constructif au service de l'usager.
Florence Pinaud
Parce qu'ils devaient faire face à un public de plus en plus difficile, plusieurs retraités bénévoles, issus de différentes associations de Pau, ont monté Cléophas (5) , centre de liaison et de formation pour les acteurs de la solidarité. Ils ont fait appel à l'Institut en travail social (ITS) de Pau-Pyrénées (6) pour concevoir et organiser des soirées-formation. Ainsi ont débuté les sessions de formation en 1999 au rythme de deux séances par mois, les jeudis soir, dans les locaux de l'ITS. Elles sont ouvertes à tous les bénévoles contre une participation de 30 F. Animées par des formateurs de l'institut, elles invitent des professionnels locaux des institutions pour parler de leur expérience. Alors que les bénévoles sont généralement formés uniquement par l'association caritative pour laquelle ils interviennent, Cléophas leur propose une initiation globale. Après une série de cours sur la loi contre les exclusions, les rendez-vous de Cléophas ont abordé des thèmes autour de l'accompagnement social et de ses modalités. « Nous souhaitions acquérir un minimum de bases sociales et mieux comprendre qui fait quoi dans le secteur, explique Emmanuel Delfour, président de Cléophas. Aujourd'hui, nous touchons une population d'une centaine de bénévoles sur une vingtaine d'associations locales. » Pour Michel Monbeig, responsable du secteur formation continue, l'intérêt est de former des bénévoles avertis, capables de dépasser la simple activité de charité. François Colin, vice-président de l'association Vivre debout (7) , accompagne des personnes sans domicile fixe de manière quotidienne. Les formations lui permettent de passer du ressenti de terrain à la compréhension des enjeux et des situations. « Le bénévole doit acquérir des connaissances dans le social pour trouver sa place aux côtés des professionnels et ne pas être entièrement dépendant de son association », affirme-t-il.
(1) La FNARS vient de publier « Des bénévoles dans le réseau de la FNARS : enquête, portraits, expérience d'animation », dans la collection Recueils et Document - N°16 - Octobre 2001.
(2) Auteur d'un mémoire sur « Le suivi des bénévoles comme ressources humaines d'une organisation caritative », au CNAM. Consultable au service documentation du siège national du Secours catholique : 106, rue du Bac - 75007 Paris - Tél. 01 45 49 73 00.
(3) Point d'eau 64 : 5, rue Saint-François-d'Assise - 64000 Pau - Tél. 05 59 27 18 45.
(4) Auteur de L'organisation du bénévolat caritatif - Ed. L'Harmattan - 1997.
(5) Cléophas : 1, rue de Ségur - 64000 Pau - Tél. 05 59 13 87 09.
(6) ITS Pau-Pyrénées : 17, av. du Doyen-Poplawski - 64000 Pau - Tél. 05 59 84 93 97.
(7) Vivre debout, Le kiosque : 15, rue de la République - 64000 Pau - Tél. 05 59 82 98 38.