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Echanges de savoirs et travail social

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Plus qu'un outil d'intervention sociale, les réseaux d'échanges réciproques de savoirs s'inscrivent dans une dynamique de projet collectif. Et, parce qu'ils supposent la parité entre les participants, ils invitent les travailleurs sociaux qui s'y impliquent à repenser leur pratique.

« Dans notre profession, on nous demande de rendre les gens autonomes sans nous donner d'outils », regrette Muriel Delannoy, assistante sociale à la caisse d'allocation familiale  (CAF) de Boulogne-sur-Mer. C'est pourquoi les réseaux d'échanges réciproques de savoirs (RERS) - qui tissent des liens entre des personnes qui se reconnaissent des compétences et s'apprécient - lui ont semblé le bon moyen pour sortir les personnes de leur isolement. Elle a suivi une formation au Mouvement national des réseaux à Evry (1), avant de créer, en 1997, un réseau accueilli dans une maison de jeunes.

Au départ, une vingtaine d'habitants se sont retrouvés, surtout des femmes. Les échanges, à deux ou en ateliers, ont tourné autour de la cuisine, des travaux manuels, de la remise à niveau en français. Des allocataires du revenu minimum d'insertion  (RMI) ont pu montrer ce qu'ils savaient faire. Rassurés, revalorisés, certains ont pu alors réenvisager une formation qualifiante et même un retour à l'emploi.

Participant au réseau à l'époque, l'assistante sociale a offert ses compétences en animation (explication de la démarche, médiation pour les mises en contact). En tant que receveuse, elle échangeait, à titre personnel, en dehors de son temps de travail. Comment les personnes à la fois « usagers » et membres du réseau faisaient- elles la part des choses ? « Si dans le cadre des échanges, les gens me sollicitaient en tant qu'assistante sociale, je leur donnais rendez-vous dans mon bureau », explique- t-elle. Par ailleurs, elle a dû refuser le rôle de chef qu'on voulait lui assigner. « Dans les réseaux, les membres sont à égalité : au début j'ai dû insister pour qu'on décide ensemble et amener les gens à prendre la parole. »

Et quand ils s'expriment, il faut accepter ce qu'ils ont à dire. La responsable d'un centre social raconte : « Parfois, j'arrive avec mes exigences de professionnelle, je veux que ça bouge, que leurs échanges débouchent sur des actions collectives mais eux me répondent : “Attends, tu veux aller trop vite”. »

Ce tutoiement par lequel se dit la parité, la confiance, est aussi le signe d'une proximité qui fait peur. Certains travailleurs sociaux ne souhaitant pas courir le risque d'être critiqués et de se laisser « embarquer par l'affectif », se contentent de la fonction d'animateur sans s'investir personnellement dans les échanges. Une manière d'instrumentaliser les réseaux qui, loin d'être un simple outil, proposent une nouvelle démarche : offrir à tous l'occasion de donner, donc d'être utile à la communauté. A condition d'être au clair avec leur rôle, les intervenants sociaux, qui ne se voient plus seulement comme apporteurs de savoir mais se mettent en état de recevoir, sont unanimes : cela change tout dans leur pra- tique d'aidant. « C'est une force d'attendre de l'usager qu'il cherche lui-même la solution à son problème en l'aidant à prendre du recul sur sa situation. Comme nous sommes essentiellement formés à la relation duelle, nous privilégions l'action individuelle. Je ne la rejette pas mais je crois qu'il faut inciter la personne en difficulté à aller vers un groupe de pairs qui l'écouteront et la soutiendront », analyse Yvette Moulin, assistante sociale, ancienne déléguée nationale du Mouvement des réseaux.

Même réflexion chez Christian Mallinger qui resitue sa place d'éducateur auprès d'adultes handicapés mentaux : « Dans l'institution, la transmission des savoirs est unilatérale et maintient la personne handicapée dans la dette vis-à-vis de l'éducateur omniscient. En lui ouvrant le réseau, celui-ci perd son statut d'unique détenteur de savoir. »

Tisser des liens entre les habitants dans le cadre d'une réhabilitation de quartier, c'était l'objectif principal d'Odile Belgrand, éducatrice à l'accompagnement social lié au logement, quand elle a créé à Vitry-le-François un réseau en concertation avec les familles. Animateur à l'association lilloise PILES, Sébastien Boncourt, insiste quant à lui, sans renier la convivialité, sur l'efficacité des apprentissages qui doit pouvoir donner accès à l'emploi. C'est encore dans une autre optique que Nicole Albrecht, assistante sociale scolaire au lycée d'enseignement professionnel Turgot à Roubaix a souhaité, avec les infirmières du lycée, faire venir les parents dans l'établissement. Objectif : les inciter à échanger en se rappropriant le lycée comme lieu de savoir et faire changer le regard des jeunes sur eux. Un projet pilote qui démarre lentement.

LES RÉSEAUX : PRINCIPE ET FONCTIONNEMENT

Chacun sait quelque chose et peut le transmettre. Tout donneur de savoir doit également être receveur et tous les savoirs ont la même valeur (connaissances intellectuelles ou pratiques, expérience humaine). Concrètement, un médiateur, bénévole ou salarié du réseau, met en relation offreur et demandeur. Il va aider celui qui déclare ne rien savoir à repérer ses propres compétences pour les proposer à son tour. Les échanges se font en binôme ou dans un groupe animé par un offreur.100 000 personnes s'impliquent dans quelque 500 réseaux accueillant des participants de tous âges, milieux et cultures. Ils sont reliés entre eux, via des inter-réseaux départementaux, au sein d'un mouvement national dans le respect de leur charte qui revendique parité, réciprocité, proximité et gratuité. Créés à l'initiative d'habitants ou de travailleurs sociaux, ces réseaux sont constitués en associations indépendantes ou intégrés dans des centres sociaux. Ils se situent surtout en milieu urbain et fréquemment dans des quartiers dits sensibles. Les partenaires le plus souvent cités sont les municipalités, conseils généraux, caisses d'allocations familiales, Fonds d'action sociale, OPHLM, contrat-ville, missions locales...

Sujet de nombreux mémoires

L'approche de l'intervention sociale à travers les réseaux entre progressivement dans la formation initiale des travailleurs sociaux. « On ne compte plus les mémoires sur le sujet », remarque Colette Dumesny, animatrice et formatrice, qui intervient à l'Institut régional du travail social  (IRTS) de Rennes mais aussi à la faculté dans le cadre de la licence de sciences de l'éducation. A l'université de Tours, des professionnels expérimentés peuvent transformer leur vécu en projet de recherche dans le cadre du diplôme universitaire des hautes études de la pratique sociale.

« Les effets des réseaux vont bien plus loin que la simple acquisition de savoirs », constate Isabelle Moulinier. Assistante sociale au centre social Marbot à Bar-le- Duc, elle intervient à l'IRTS de Paris dans la formation des conseillères en écono- mie sociale et familiale et les a incitées à constituer leur propre réseau au sein de leur promotion. Avec, comme question : abolir la distinction enseignant-enseigné, qu'est-ce que cela remet en cause dans votre métier ?

Assumant une fonction pédagogique, les conseillères ont vite repéré l'intérêt des réseaux et beaucoup en ont créé. Comme Danielle Ecoles qui en coordonne et anime un à Meaux sur trois centres sociaux municipaux, un centre socio- culturel, la caisse d'allocations familiales et la maison des jeunes et de la culture (MJC). Missionnée par la municipalité, elle reconnaît la difficulté à être à la fois dans le réseau et dans l'institution.

En effet, si les réseaux sont souvent hébergés par des centres sociaux, la plupart d'entre eux considèrent cette activité comme une parmi d'autres et n'ont pas réellement intégré dans leur projet la démarche participative qu'elle suppose. Comment éviter cet écueil ? En suscitant la création d'un centre social fondé sur les valeurs et la logique de fonctionnement horizontal des réseaux. C'est ce qu'a fait Michelle Bellavoine, agent de développement local de la CAF Nord- Finistère. Après avoir créé un réseau d'échanges de savoirs sur Morlaix, elle propose aux habitants de quatre quartiers déjà actifs dans diverses associations de se regrouper pour fonder un centre social. Ainsi est né Carré d'As, agréé par la caisse d'allocations familiales en 1999. Cette organisation, dotée d'un groupe de pilotage, veut donner toute sa place à l'initiative des habitants.

C'est une même volonté qu'affichent les réseaux dont l'ambition est de s'ins- crire dans une démarche de développement local. En Seine-et-Marne, le conseil général a nommé une assistante sociale polyvalente sur un poste expérimental à mi-temps de conseillère technique à l'action collective. Forte de son expérience des réseaux, Pascale Reverdy soutient des collègues qui souhaitent élaborer des projets avec des habitants. Croyant fermement à l'intérêt de mettre en œuvre la philosophie des réseaux, elle veut convaincre ses collègues de l'utilité de croiser des pratiques complémentaires. Au-delà des freins dus à leur manque de temps, et pour beaucoup, de maîtrise de l'animation de groupes, le projet se heurte à la stigmatisation des publics dits en difficulté qui peinent à se présenter comme force de proposition. Tout un travail de fond s'impose pour préparer les habitants à prendre la parole et former des bénévoles.

Un autre moyen pour les personnes de se prendre en charge :les groupes de santé qui se multiplient. Assistante sociale de la CAF à Bourges, Marie- Hélène Biguier commence par réunir quelques personnes souffrant d'insomnie. S'appuyant sur la pédagogie des réseaux d'échanges réciproques de savoirs, elle les invite à raconter leurs tentatives pour mieux dormir. A la deuxième réunion, elle fait venir un ami médecin qui répond à leurs questions. Petit à petit les gens se transforment, arrêtent les somnifères, bannissent la télévision de leur chambre. Autres questions abordées : la mémoire, le stress, les complexes...

La dynamique de l'échange de savoirs peut donner d'heureux résultats mais il ne s'agit pas d'y voir la panacée. Des personnes très abîmées ou au comportement instable n'y trouvent pas toujours leur compte et risquent d'avoir une demande affective démesurée vis-à-vis de leurs partenaires.

ÉCRIRE SUR SON VÉCU

Pour conserver la mémoire des réseaux, depuis 1995, le Mouvement a favorisé la création d'ateliers d'écriture et assuré la formation d'animateurs. Parmi ces derniers, des travailleurs sociaux proposent à leurs collègues d'écrire sur leur vécu. Les professionnels écrivent rarement sur ce qu'ils vivent et ressentent dans leur relation d'aide avec les usagers. Oser écrire sur soi-même exerçant son métier, c'est ce qu'ont fait une dizaine d'assistantes sociales issues de divers services du département d'Indre-et-Loire. Pendant un an, elles ont participé à un atelier d'écriture : une commande du Comité de liaison et de coordination des organismes et services sociaux d'Indre-et-Loire (2) qui vient d'être publiée sous le titre « Quand les assistantes sociales prennent la plume ». De leur côté, des assistantes maternelles de l'Essonne, accueillant à l'année des enfants en placement, ont voulu raconter comment, malgré les difficultés quotidiennes, elles élèvent et entourent ces jeunes peu gâtés par la vie. Ici, pas de commande institutionnelle, une animation bénévole par une formatrice du Mouvement et une prochaine parution du livre par souscription dans l'attente de subventions.

Françoise Gailliard

Notes

(1)  Mouvement national des RERS : 3 bis, cours Blaise- Pascal - BP 56 - 91002 Evry cedex - Tél. 01 60 79 10 11 - Site : www.mirers.org.

(2)  CLICOSS 37 : 15, rue Jean-Michel-Rougé - 37000 Tours - Tél. 02 47 05 52 71.

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