Il existe 5 000 à 10 000 places de station- nement accessibles aux gens du voyage pour 25 000 à 30 000 caravanes. Ce déficit de 15 000 à 20 000 places oblige les intéressés à s'installer dans des lieux non agréés, et souvent à s'imposer en grand nombre pour rendre l'expulsion plus difficile. Ce fait crée « une culture du rapport de force qui rejaillit sur l'ensemble des comportements. Tant que ce problème ne sera pas résolu, beaucoup de choses resteront difficiles. »
Au moment de rendre public le premier rapport de la Commission nationale consultative des gens du voyage (1), son président, Jean Blocquaux, inspecteur général des affaires sociales, a d'abord rappelé ce fait. Tout en se déclarant « raisonnablement optimiste », grâce aux effets attendus de la loi Besson de juillet 2000, qui oblige les départements à définir une politique d'accueil, dans des schémas départementaux qui doivent être remis le 1er janvier 2002 (2). Beaucoup auront un peu de retard, mais « l'horizon se dégage », estime le président. En tout cas, d'ici trois à cinq ans, des places devraient être créées par les départements - ou par les préfets qui pourront se substituer aux conseils généraux défaillants.
Autre signe encourageant : le fonctionnement de la commission nationale consultative elle-même. Installée en juin 2000, composée à parts égales de représentants des gens du voyage, des élus, des administrations et de personnalités qualifiées (essentiellement des associations humanitaires), c'est la troisième institution du genre. Mais les deux commissions précédentes ne se sont jamais réunies au-delà de la séance inaugurale. Celle-ci a été dotée de moyens de fonctionnement et a pu s'accorder sur un programme de travail et des méthodes de débat. Non sans « quelques turbulences » liées à la fragilité des mécanismes de représentation des gens du voyage. Après un an de travail, la commission a pu formuler des avis (écoutés) sur les textes d'application de la loi de juillet 2000 et arrêter une première série de conclusions, dans deux domaines.
En matière d'exercice de la citoyenneté, la commission s'est interrogée sur les moyens de faire entrer les gens du voyage dans le droit commun, malgré, ou plutôt avec, leurs spécificités. Elle propose notamment de simplifier et de moderniser les titres de circulation- 119 000 délivrés chaque année pour cinq ans et qui doivent être visés tous les trois mois... -, tout en continuant d'ailleurs à s'interroger sur leur nature. Moyen de « stigmatisation » des gens du voyage pour les uns, c'est au contraire « l'un des attributs du nomadisme, qui le rend encore possible », pour les autres. La commission demande aussi la suppression du quota de détenteurs de titres de circulation (fixé à 3 % maximum de la population d'une commune) et le libre choix du lieu de rattachement. Elle souhaite également que soit prise en compte l'évolution du mode de vie des gens du voyage, qui alternent souvent périodes de mobilité et de stabilité, certains déplacements n'ayant lieu que sous la contrainte de l'expulsion d'une place à une autre.
Les propositions sont aussi nombreuses en matière d'enseignement, de formation et d'insertion économique. La commission demande notamment que le temps maximal de stationnement sur une aire soit porté à neuf mois pour permettre une véritable scolarisation des enfants. Elle propose aussi qu'un livret scolaire spécifique permette un meilleur suivi d'école en école et que la double inscription en école et au Centre national d'enseignement à distance soit autorisée. Elle suggère aussi la mise en place et la formation de médiateurs au sein de la communauté.
La formation professionnelle des adolescents constitue, pour la commission, « le point noir du dispositif ». L'apprentissage en milieu scolaire lui paraît « irréaliste » et les dispositifs d'insertion proposés dans le cadre de la lutte contre l'exclusion sont « inadaptés ». La réflexion se poursuit donc sur les conditions d'une reconnaissance d'un « apprentissage familial » et sur la possibilité d'adapter les nouvelles modalités de validation des acquis de l'expérience aux compétences professionnelles des gens du voyage. Ce qui pourrait faciliter le passage de certains travaux réalisés au noir sous un statut légal.
Un autre groupe de travail réfléchit à l'accès aux droits sociaux et notamment au contenu de l'accompagnement sanitaire et social qui pourrait aller de pair avec la création des aires d'accueil. Les communes perçoivent en effet 1 536 € par place et par an au titre du fonctionnement (l'équivalent des allocations logement que les nomades ne perçoivent pas), rappelle Jean Blocquaux. De quoi entretenir les aires mais aussi pourvoir à un véritable travail social. La commission travaille également sur la notion d'habitat adapté (ou d'habitat-caravane), sur les problèmes d'assurances, d'hospitalisation et d'inhumation. « Nous n'avons pas voulu formuler des propositions maximalistes qui seraient restées lettre morte », souligne le président. La commission propose une « politique réaliste de petits pas » qui ont, pense-t-elle, toute chance d'entrer rapidement dans les faits.
M.-J.M.
(1) Commission nationale consultative des gens du voyage : 25/27, rue d'Astorg - 75008 Paris - Tél. 01 40 56 68 14.
(2) Voir ASH n° 2173 du 30-06-00 et n° 2225 du 24-08-01.