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« Nous ne sommes pas les clandestins de l'action socio-éducative »

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E n réaction à un article sur les éducateurs de rue, publié dans les ASH, Patrick Banneux et Bernard Heckel racontent l'évolution de la prévention spécialisée depu is les années 80.

« La prévention spécialisée aura 30 ans en 2002, si l'on se réfère à l'acte de reconnaissance officiel de cette forme d'intervention sociale qu'est l'arrêté interministériel du 4 juillet 1972.

Au cours de ces années, les clubs et équipes de prévention ont ouvert la voie à une diversité d'actions, de transformations et de rapprochements dans un champ hautement complexe, dans des réalités bien changeantes, aux aspects de véritables problèmes de société. Souffrances psychiques, toxicomanies, échec scolaire, difficultés d'insertion, errance, violences urbaines, précarité, discrimination... sont le lot des éducateurs de prévention, ceux dont l'activité de travail de rue est “au cœur du métier”. Régulièrement traversée par des questionnements internes et externes, la prévention spécialisée a évolué dans ses approches des publics, ses modalités d'intervention, ses modes de fonctionnement. S'il appartient de reconnaître dans ces évolutions la part liée aux choix stratégiques des conseils généraux, il ne faut pas mésestimer le rôle des associations et des regroupements qui accompagnent celles-ci dans les transformations qui se jouent dans cette forme originale d'action sociale.

A la suite de l'article “Les clandestins de l'action socio-éducative”  (1), nous sommes consternés que les éducateurs et éducatrices de prévention spécialisée puissent encore faire l'objet d'une telle représentation. Les conseils d'administration et les équipes éducatives ne peuvent pas se reconnaître dans cette métaphore. Et si tel fut parfois le cas, jusque dans les années 80, la décentralisation et les politiques sociales transversales territorialisées ont précipité l'obsolescence des fonctionnements sous-marins.

Il n'y a guère de conflit des anciens et des nouveaux. De façon pragmatique, les fondamentalistes de l'homochromie et de la tenue camouflée ont pour la plupart changé de métier quand les autres ont revêtu des vêtements distinctifs. Aujourd'hui la prévention spécialisée sait être identifiée par son public, ses partenaires et ses financeurs. Elle a gagné en transparence et en identification ce qu'elle a perdu en opacité et en identité, souvent en réaction à un certain travail social traditionnel.

La prévention spécialisée s'est structurée, professionnalisée, diversifiée, adaptée. Ses pratiques décryptées ont été “référentialisées”. Mature, tout en ayant gardé la fronde utile à son dynamisme et inhérente à son identité, elle ne saurait être ren- voyée à son adolescence par un regard excessif emprunté à la thématique générale de l'obscur ou de l'indifférenciation comme l'illustre la métaphore du  “caméléon”   (1)  ;images dont il serait bon de sortir.

Elle n'a pas à s'inquiéter sur sa capacité à déconstruire et reconstruire le sens de son action, de sa clinique de la relation éducative. Elle a, par contre, à mettre en forme des savoirs empiriques et encore trop éparpillés. Ceci sans rien négliger de la capitalisation de son histoire, ni renoncer à la richesse des expériences, de son travail en réseau, de sa solidarité avec les exclus.

Une démarche de présence sociale et éducative

Le travail des éducateurs s'est toujours défini par une pratique et un public. S'intéresser à l'ensemble des dimensions d'un jeune en souffrance en prenant en compte ses questions, son milieu de vie, nécessite d'aller vers, de vivre et de faire avec. Cette démarche de présence sociale et éducative doit disposer de temps, le temps de la confiance, de la reconstruction personnelle, de la médiation avec d'autres partenaires ou institutions. De ce fait, les éducateurs ne peuvent pas être sous les feux des projecteurs, rendre visible en permanence leur travail.

L'éducateur “va vers” à partir du “travail de rue”. C'est alors qu'il y a rencontre. Rencontrer, c'est respecter l'autre en tant que “personne”, c'est lui permettre d'être lui-même, un sujet désirant, différent de soi par son histoire familiale, son milieu, sa vie. Pour qu'il y ait rencontre, il faut une confiance partagée, une adhésion réciproque dans un système d'appartenance qui fait sens, dans la perspective de la triple obligation du don : donner, recevoir, rendre.

L'éducateur est en situation d'écoute, parfois de l'innommable, de l'inouï. Il reçoit une parole qui n'a de sens que dans la rencontre de personne à personne, dans ce qu'elle a d'intime et de partagé. Il partage des périodes de vie avec le jeune. Il “fait avec”. Il devient ainsi une personne significative, un adulte, qui crée des espaces frustrants, des lieux où le jeune peut se sentir compris et valorisé. Ce travail est à l'œuvre au quotidien, le plus souvent sans grand bruit. Dans les villes et les quartiers, les éducateurs ont du talent et agissent avec succès, sur la base de principes d'intervention dont ils ont besoin pour être efficaces. Actualisés et mis en perspective dans le contexte des enjeux sociétaux à venir, ils gardent toute leur pertinence.

Pour cela, il est essentiel :

 d'arrêter une fois pour toutes de définir la prévention spécialisée par ses principes ;

 de considérer les principes d'action et les valeurs de la prévention comme des éléments d'une méthodologie d'action éducative et sociale qui en comporte bien d'autres ;

 de les inscrire dans une dynamique de projet où l'on met en avant : une description des problématiques d'une population sur un territoire donné ; une analyse de ces dernières et un diagnostic avec des hypothèses d'action ; des objectifs dans le cadre d'une action éducative individualisée et une action collective.

Un référentiel méthodologique en cours de production

La prévention spécialisée n'a pas bénéficié de la même attention que d'autres formes d'action sociale ou de médiations placées sous les projecteurs. Proposant aux associations de s'inscrire dans un schéma départemental comme partenaire, les départements leur offrent la possibilité de travailler au niveau local, de rendre compte, d'être acteur dans les dispositifs, de contractualiser les objectifs.

Habilités à intervenir sur des quartiers, la plupart du temps en zone prioritaire, attentifs à l'action sur, par et avec le milieu, les professionnels de la prévention spécialisée ont pu constater l'intérêt porté par les politiques publiques pour la proximité, le local, l'urbain. Avec les décideurs, ils n'ont pu que mesurer les limites de la réhabilitation du bâti, l'oubli puis le regain d'intérêt pour un social à réarticuler avec l'urbain.

Ce n'est pas parce que les travailleurs sociaux peinent souvent à dire ce qu'ils font qu'il y a lieu de croire qu'aucune démarche d'évaluation sérieuse ne soit en place. Ce n'est pas par ce que l'éducateur de rue travaille sur et avec le langage, là où celui-ci fait défaut, que dans l'organisation des équipes, ce travail sur la rencontre, le risque, le projet, le changement, ne peut être consigné, analysé, capitalisé, enrichi d'une autre rencontre, prise de rendez-vous, orientation...

Dans quasiment tous les départements, au sein des associations, des services et des équipes, un véritable travail de fond sur la lisibilité de l'action est engagé depuis plusieurs années. Avec débats et solutions mises en œuvre, l'une des fenêtres ouvertes sur cette démarche est justement la question de l'évaluation. Il est possible de citer maintes initiatives. Par exemple celle du département du Nord. Ayant initié pendant une dizaine d'années l'évaluation systématique des pratiques et des modes d'organisation des structures, ce dernier engage aujourd'hui les associations regroupées en réseau au sein de l'APSN, à développer sur trois ans une compétence d'évaluation dynamique. Un référentiel méthodologique est en cours de production, dans un dispositif expérimental associant l'ensemble des acteurs.

L'intervention sociale requiert des compétences, l'utilisation de techniques, supports à une relation construite, éducative, dynamique. Etre éducateur de prévention et à ce titre être confronté de façon permanente à des situations limites, aux frontières du social et de l'humain, nécessite que le professionnel ait travaillé sur lui-même, sur la norme et la distance. Apprendre à supporter la souffrance, la différence, à l'accueillir et à s'en protéger est facilité par le travail en équipe. Pourtant ce travail entre individu et institution, cette pratique symbolique dont la dimension éthique est essentielle, relève d'une logique de l'expérience et sera toujours traversée par cette difficulté à faire passer la pertinence des projets des associations et la performance des activités des équipes auprès des élus locaux. Au travail de terrain, les municipalités doivent être associées, depuis l'enquête de création, aux réunions annuelles d'échanges formelles en passant pour les moments d'évaluation. Les éducateurs, l'encadrement comme les administrateurs des associations ont depuis les années 80 appris le langage de la décentralisation, des entrepreneurs, de la territorialité de l'action sociale, celui de la gestion des flux des difficultés sociales, pour ne pas dire aussi celui de la gestion des stocks. Pris souvent dans des commandes liées à l'urgence et dans des logiques contradictoires, la prévention spécialisée tente de maintenir un espace relationnel.

Il est essentiel de garantir la capacité de la prévention spécialisée à être en relation avec un public vis-à-vis duquel d'aucuns ont estimé que des médiateurs issus des quartiers et mandatés par les communes étaient plus aptes à intervenir. Elle sera alors véritablement en mesure d'assurer sa fonction d'analyse, d'expertise des réalités sociales et d'objectivation des problèmes posés. D'où la nécessité absolue de travailler tant sur le champ de la formation initiale que continue.

L'ère du soupçon qui a longtemps flotté sur un travail social naviguant entre psychanalyse et gauchisme ne semble plus être de mise, pas plus qu'il ne paraît opportun de construire avec les associations des relations plus empreintes d'instrumentalisation que de reconnaissance. Ces dernières apportent une contribution essentielle à notre vie collective, au renouvellement des pratiques, à la recherche et à la mise en place de solutions adaptées aux besoins. Les consulter dans la prise de décision politique, les soutenir dans leurs pratiques semble parfois être éloigné des habitudes administratives. A chacun sans doute d'évoluer. »

Patrick Banneux, Bernard Heckel et l'équipe technique de l'APSN Respectivement président de l'APSN : 100, rue de Lannoy - 59650 Villeneuve-d'Ascq -Tél. 03 20 91 80 80 ; et délégué général du CNLAPS : 2, rue de l'Avenir - 73100 Aix-les-Bains -Tél. 04 79 34 36 25.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2233 du 19-11-01.

TRIBUNE LIBRE

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