Les dispositions d'application immédiate
(Loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001, J.O. du 4-12-01)
Une réforme au milieu du gué. C'est ainsi que les sénateurs pourraient qualifier la loi du 3 décembre 2001, eux qui voulaient profiter de l'occasion de se pencher sur les droits successoraux du conjoint survivant pour refondre le droit successoral. Et qui finalement n'auront obtenu la révision que de certaines dispositions jugées archaïques du droit successoral.
Pour autant, cette loi relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins, issue d'un compromis entre l'Assemblée nationale et le Sénat, n'en comporte pas moins des innovations notables. D'ailleurs, bien que résultant d'une initiative du député socialiste, Alain Vidalies, elle s'inscrit dans la réforme globale du droit de la famille engagée par le gouvernement (1).
En premier lieu, le texte améliore le sort du conjoint survivant - cinq fois sur six l'épouse - « parent pauvre » du droit successoral. En effet, le conjoint non gratifié par donation ou testament n'accédait ab intestat qu'à un usufruit (2), qui portait le plus souvent sur un quart seulement des biens du conjoint décédé. Ce, en vertu d'une conception de la succession fondée exclusivement sur le sang et sacrifiant le conjoint survivant.
Aussi, c'est pour tenir compte de l'évolution de la société qui reconnaît l'amour du défunt et dans laquelle les biens familiaux sont le plus souvent acquis grâce à l'effort commun des deux époux que la place du conjoint survivant est revalorisée.
Cette loi devait concilier des objectifs parfois contradictoires : maintenir les conditions de vie du conjoint survivant tout en s'efforçant de différencier les solutions en fonction des situations familiales, notamment à l'égard des enfants de premier lit, préserver les droits de la famille par le sang et respecter, enfin, la liberté testamentaire du défunt.
Au final, elle s'articule, s'agissant du conjoint survivant, autour de deux axes essentiels. D'abord, une affirmation plus forte de ses droits dans l'ordre des successibles. Dans tous les cas de figure, le conjoint bénéficiera de droits en pleine propriété, là où il n'avait jusqu'à présent que des droits en usufruit. Ensuite, une protection particulière est accordée au conjoint à l'égard de la résidence familiale. L'idée étant de permettre à ce dernier de pouvoir, dans toute la mesure du possible, continuer à vivre le reste de sa vie dans le logement conjugal.
Par ailleurs, élargie au cours des débats, la loi met fin au traitement discriminatoire réservé aux enfants adultérins en matière de succession. Se mettant ainsi en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, déjà appliquée par certains tribunaux français, après la condamnation de la France en 2000 (3).
Pour l'essentiel, cette loi entrera en vigueur le premier jour du septième mois suivant sa publication, soit le 1er juillet 2002 et sera applicable aux successions ouvertes à cette date. Toutefois, une série d'exceptions est prévue par la loi. Ainsi, depuis le 6 décembre, le conjoint bénéficie du droit de rester temporairement dans son logement et les discriminations à l'égard des enfants adultérins sont supprimées. Il en est de même des droits du conjoint survivant en cas de suicide du défunt. Certaines autres dispositions sont également d'ores et déjà applicables (en matière de révision des prestations compensatoires, d'information sur le droit de la famille).
Nous ne présentons, pour l'heure, que les dispositions d'application immédiate. Nous reviendrons ultérieurement sur celles en vigueur à compter du 1er juillet 2002.
La loi supprime dans le code civil toute référence aux enfants adultérins. Et supprime ainsi le régime défavorable qui, malgré l'alignement du statut successoral des enfants naturels sur celui des enfants légitimes opéré par la loi du 3 janvier 1972, perdure envers les enfants adultérins, désignés dans le code civil par la périphrase : « les enfants naturels dont le père ou la mère était, au temps de leur conception, engagé dans les liens du mariage avec une autre personne ».
De ce fait, le législateur tire la conséquence de la condamnation, le 1er février 2000, de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme pour discrimination à l'égard des enfants adultérins (4).
Concrètement, une série d'articles est abrogée. A savoir, le dernier alinéa de l'article 334 qui dispose que les droits de l'enfant adultérin ne peuvent préjudicier aux engagements que son parent a contractés par mariage. Il en est de même de l'article 334-7 qui interdit qu'un enfant adultérin soit élevé au domicile conjugal sans le consentement du conjoint de son auteur. De l'article 908 qui interdit à l'enfant adultérin de recevoir aucune libéralité en plus de la part successorale qui lui revient légalement et de l'article 908-1 qui précise que cette interdiction vaut également dans le cas où la filiation n'a pas été légalement établie.
Enfin, il s'agit de l'article 915 qui réduit de moitié la réserve de l'enfant adultérin au bénéfice des enfants légitimes, de l'article 915-1 qui prévoit que les enfants légitimes et le conjoint auquel l'adultère a porté atteinte bénéficient d'une protection particulière à l'égard des enfants adultérins. Et de l'article 915-2 qui reconnaît une créance d'aliments contre la succession au bénéfice des enfants adultérins dans le besoin dont les droits successoraux ont été réduits en application des dispositions légales.
Derniers articles abrogés : l'article 1097 (qui accorde au conjoint survivant le bénéfice d'une quotité disponible élargie s'il se trouve en présence d'enfants adultérins ne venant pas en concours avec d'autres enfants) et l'article 1097-1 qui interdit aux enfants adultérins de demander la conversion de l'usufruit du conjoint en rente viagère.
Signalons que, dans le même esprit, la proposition de loi sur l'autorité parentale, en cours de discussion devant le Parlement, prévoit également de supprimer toutes les distinctions entre les enfants légitimes et naturels sur le plan de la filiation.
A la différence de la plupart des dispositions de la loi, cette suppression de toute discrimination à l'égard des enfants adultérins est entrée en vigueur le 6 décembre 2001.
Il est en outre prévu qu'elle s'applique aux successions déjà ouvertes, lors de la publication de la loi au Journal officiel, soit le 4 décembre, et n'ayant pas donné lieu à partage avant cette date. Ce, sous réserve des accords amiables intervenus ou des décisions de justice irrévocables. Il s'agit de mettre fin à l'incertitude résultant des décisions de tribunaux de première instance ayant refusé d'appliquer certains articles actuels du code civil limitant les droits de ces enfants.
En application du deuxième alinéa de l'article 1527 du code civil, les enfants issus d'un mariage antérieur peuvent intenter une action dite « en retranchement ». Celle-ci leur permet de faire considérer les avantages matrimoniaux accordés par un époux à son nouveau conjoint comme des libéralités devant s'imputer sur la quotité spéciale disponible entre époux -c'est-à-dire la portion du patrimoine d'une personne dont elle peut disposer librement par donation ou testament, en présence d'héritiers réservataires. Il existe un taux ordinaire et une quotité disponible de faveur au profit du conjoint survivant. Et qui peuvent être réduites si elles viennent amputer leur réserve (portion du patrimoine d'une personne dont elle ne peut disposer par donation ou testament en présence de certains héritiers dits réservataires).
Afin d'harmoniser le traitement successoral des enfants naturels et légitimes, la loi étend cette action à tous les enfants qui ne seraient pas issus des deux époux. Cette modification permet donc de viser non seulement des enfants issus d'un précédent mariage, qui étaient auparavant seuls titulaires de cette action, mais également des enfants naturels.
A l'instar de la suppression des discriminations à l'égard des enfants adultérins, cette extension est applicable depuis le 6 décembre. En outre, sous réserve des accords amiables déjà intervenus et des décisions judiciaires irrévocables, cette disposition sera applicable aux successions déjà ouvertes au 4 décembre 2001 (date de publication de la loi) et n'ayant pas donnée lieu à partage avant cette date.
La loi du 3 décembre 2001 cherche à améliorer le sort du conjoint survivant en lui reconnaissant de nouveaux droits successoraux et d'autres sur le logement qu'il habitait avec l'époux défunt. Ils entreront en vigueur le 1er juillet 2002 et s'appliqueront également aux successions ouvertes à cette date. Toutefois, d'ores et déjà, la loi attribue au conjoint survivant un droit temporaire sur le logement.
Si à l'époque du décès, le conjoint successible - conjoint survivant, non divorcé contre lequel n'existe pas de jugement de séparation de corps devenu définitif - occupe effectivement, à titre d'habitation principale, un logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession, il aura de plein droit, pendant une année, la jouissance gratuite de ce logement, ainsi que du mobilier, compris dans la succession, qui le garnit (code civil [C. civ.], art. 763 nouveau).
Justification de cette disposition : « tempérer, par une transition, la brutalité de la séparation, mais aussi offrir au conjoint qui aurait été privé, par la volonté du défunt, de tout droit viager au logement une protection minimale » (Rap. A.N. n° 2910, février 2001, Vidalies). En effet, ce droit au logement temporaire s'étend à tous les conjoints survivants même ceux privés, par voie testamentaire, du droit au logement viager (5).
Si, de même, le conjoint habite dans un logement en location, les loyers lui seront remboursés par la succession pendant l'année, au fur et à mesure de leur acquittement.
En toute hypothèse, ces droits sont réputés effets directs du mariage et non droits successoraux. Autrement dit, ce droit au logement temporaire est indépendant du sort successoral du conjoint survivant et l'acceptation de ce droit au logement ne vaut pas acceptation de la succession.
En outre, ce droit est déclaré d'ordre public ce qui signifie que le défunt ne peut prendre de dispositions contraires. De même, les époux ne le pourront pas non plus dans leur convention de séparation de corps par laquelle il leur est possible de renoncer à leurs droits successoraux ( C. civ., art. 301 modifié ).
La loi prévoit plusieurs dispositions applicables depuis le 6 décembre 2001.
La couverture du risque décès en cas de suicide (art. 5 à 7 de la loi)
L'article L. 132-7 du code des assurances prévoit que l'assurance en cas de décès est de nul effet si l'assuré se donne volontairement et consciemment la mort la première année du contrat. Pour résoudre la difficulté de la preuve du caractère conscient du suicide, la loi donne une nouvelle définition juridique du suicide. Lequel intervient lorsqu'un assuré se donne volontairement la mort (et non plus volontairement et consciemment).
En outre, la loi impose aux assurances d'apporter leur couverture en cas de suicide intervenu à l'expiration d'un délai de un an après la signature d'un contrat d'assurance décès. La même solution est applicable en cas d'augmentation des garanties en cours de contrat (6) (code des assurances, art. L. 132-7 modifié) .
Un dispositif similaire est adopté pour la couverture du risque décès en cas de suicide par les contrats d'assurance gérés par des mutuelles (code de la mutualité, art. L. 223-9 modifié) .
La délivrance d'une information sur le droit de la famille (art. 22 de la loi)
Désormais, une information sur le droit de la famille et notamment les droits du conjoint survivant sera donnée, au moment de l'accomplissement des formalités préalables au mariage. En outre, une annexe au livret de famille délivré au moment du mariage, devra comporter des informations pratiques sur le droit de la famille et, en particulier, sur les droits du conjoint survivant.
Cette information, applicable à compter du 6 décembre, sera précisée dans son contenu et ses modalités par un décret en Conseil d'Etat.
La révision des prestations compensatoires (art. 23 et 24 de la loi)
Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000 relative à la prestation compensatoire en matière de divorce (7) , plusieurs jugements rendus par des tribunaux de grande instance ont écarté l'application des dispositions relatives à la révision de la prestation compensatoire au motif que la convention de divorce entre les époux homologuée par le juge ne comportait aucune disposition sur ce point.
C'est pour résoudre cette difficulté que la loi du 3 décembre 2001 précise explicitement que les époux ayant fixé une prestation compensatoire dans le cadre d'un divorce sur requête conjointe peuvent demander sa révision, non seulement sur le fondement des clauses de révision qu'ils auraient éventuellement prévues dans leur convention, mais également sur le fondement des articles 275-1,276-3 et 276-4 du code civil qui prévoient les différentes hypothèses dans lesquelles une prestation compensatoire peut être révisée (C. civ., art. 279 modifié) .
Par coordination, la loi du 30 juin 2000 est complétée afin de préciser que les procédures de révision des prestations attribuées avant son entrée en vigueur concernent l'ensemble de ces prestations, qu'elles aient été fixées par le juge ou par convention entre les époux et que ceux-ci aient ou non fait figurer dans leur convention une clause de révision.
Ce droit est entré en vigueur le 6 décembre. Il est également applicable aux successions déjà ouvertes le 4 décembre 2001 (art.25 de la loi). En conséquence de sa mise en œuvre, l'article 1481 du code civil est abrogé à compter du 6 décembre (art. 15 de la loi). Cette abrogation s'applique également aux successions ouvertes au 4 décembre.
Pour mémoire, cette disposition prévoyait, pour le conjoint survivant marié sous le régime de la communauté légale, la prise en charge pendant 9 mois par la communauté de ses frais de nourriture et de logement ainsi que des frais de deuil. La nouvelle mesure est ainsi plus large : elle bénéficie à tous les conjoints survivants, sans considération de la nature du régime matrimonial qui le lie au défunt et instaure une jouissance gratuite du logement qui tient lieu d'habitation principale aux époux pendant un an au lieu de 9 mois. De plus, les frais engagés pour assurer le logement gratuit du conjoint survivant sont prélevés sur la succession, et non sur la communauté. En revanche, le droit au logement temporaire oblige le conjoint à habiter dans le logement au décès de son conjoint, contrairement à l'article 1481 du code civil.
Sophie André
(1) Voir ASH n° 2219 du 15-06-01.
(2) L'usufruit confère à son titulaire le droit d'utiliser la chose et d'en percevoir les fruits (revenus) mais non celui d'en disposer, lequel appartient au nu-propriétaire. Ainsi, l'usufruit ajouté à la nue-propriété forme la propriété.
(3) Voir ASH n° 2153 du 11-02-00.
(4) Voir ASH n° 2153 du 11-02-00. En revanche, la loi ne résout pas le cas des enfants incestueux qui continuent à subir une inégalité en matière de succession puisqu'il reste impossible d'établir leur filiation à l'égard de leurs deux parents.
(5) A compter du 1er juillet 2002, le conjoint pourra également, s'il le souhaite, disposer d'un tel droit d'habitation et d'usage du mobilier jusqu'à son décès.
(6) En cas d'augmentation des garanties, la garantie supplémentaire ne joue que dans le cas où le suicide est intervenu plus de un an après la souscription de cette garantie. L'assuré reste couvert pour le montant prévu au contrat initial en cas de suicide intervenant plus de un an après la signature du contrat mais moins de un an après l'augmentation de la garantie.
(7) Voir ASH n° 2172 du 23-06-00.