« Lorsqu'une famille traverse des difficultés, des conflits tels, qu'ils mettent ses enfants en péril, toutes les solutions envisageables doivent être conçues et imaginées avec et non contre elle, sur une base contractuelle », soutient Claire Brisset, défenseure des enfants, dans son dernier rapport annuel (1). Et l'idée de mieux associer les familles à la prise en charge éducative, défen- due également par le rapport Roméo (2), oblige les professionnels du placement familial à réfléchir à la qualité de ce dispositif institutionnel, sa place, sa reconnaissance et sa représentation dans les politiques sociales. Une question centrale tant le système est lui-même complexe.
Mais surtout, si tous les discours convergent sur le soutien à la parentalité, de quelle famille parle-t-on ?A quels représentations personnelles et idéaux renvoie-t-elle ? « Nous ne sommes plus dans une conception de bonne et de mauvaise famille comme il y a 20 ans, observe Véronique Mauer, juge des enfants au tribunal de grande instance d'Agen (3). Après avoir posé le problème de la double parentalité, pour un enfant partagé entre des parents naturels et des parents d'accueil, les acteurs du placement ont pris conscience des problèmes mais aussi des avantages que constitue ce lien familial. » Pour les acteurs du placement, la notion de parentalité sert donc souvent d'élément moteur à l'évolution de l'enfant, sans écarter la famille d'origine. « L'accueil familial est un extraordinaire moyen de travailler du lien familial défaillant avec le lien élaboré et supervisé de la famille d'accueil, rajoute Jean-Claude Cebula, directeur de l'Institut de formation de recherche et d'évaluation des pratiques médico-sociales . Ce travail suppose de réfléchir sur le lien parent-enfant afin de mieux se positionner par rapport aux autres protagonistes : enfant, famille biologique, famille d'accueil, justice. »
La complexité du travail de placement familial est aussi due aux changements des statuts et des textes, qui répondent à l'évolution des préoccupations. « La loi du 6 janvier 1986 oblige un juge à réviser le placement au moins tous les deux ans et impose d'autres modes de fonctionnement avec la famille, explique Pascal Roman, psychologue clinicien et maître de conférence de psychologie clinique à l'Université Lyon 2. Nous ne sommes plus dans l'idée qu'il existe un espace pour chacun dans un modèle de substitution. Aujourd'hui, l'approche est celle qui donne des places complémentaires entre parent d'accueil et parent biologique, avec une reconnaissance de ce dernier dans ses compétences, mais aussi dans ses défaillances. » Ce qui entraîne les professionnels du placement à explorer de nouvelles procédures.
« La bonne question est celle de la durée présumée des placements, affirme Michel Lerbour, directeur de l'aide sociale à l'enfance (ASE) dans le département du Lot-et-Garonne. Passé une certaine durée, on risque d'alimenter une logique de non-retour et de disqualifier la famille biologique. »
Par un prochain décret, la famille biologique aura accès au dossier éducatif de son enfant dans le cadre d'une procédure d'assistance éducative (4). Ainsi, elle devrait être mieux associée au placement, pour favoriser un retour de l'enfant dans son foyer d'origine. Suivant les institutions et les départements, le travail sur les causes du placement et la restauration du lien est plus ou moins développé. « Certaines associations cherchent à distinguer les professionnels qui interviennent auprès des familles d'accueil de ceux qui s'occupent de la relation avec les parents, note Véronique Mauer. En séparant ces rôles, on évite les confusions sur ce terrain du placement conflictuel, qui met en scène des intérêts contradictoires. »
Dans le Lot-et-Garonne, le sujet fait partie des orientations du schéma départemental enfance et famille. « Nous cherchons à constituer des groupes de parents dont les enfants sont placés pour aider les familles à faire face et les préparer à se réinvestir dans leur rôle », explique Michel Lerbour. Le travail éducatif auprès des familles reste insuffisamment développé et demeure encore trop souvent uniquement axé sur l'enfant.
Mais certaines initiatives cherchent déjà à « réparer » le lien pour envisager un retour de l'enfant et ne pas le laisser enfermé dans le dispositif de placement. « Dans notre établissement, nous mettons en place des entretiens avec l'ensemble de la famille et un psychologue, pour comprendre comment sont apparus les dysfonctionnements qui ont entraîné le placement, explique Jean-François Guibeaud, vice- président de l'Association nationale des placements familiaux (ANPF). Ainsi, on permet aux personnes d'apporter leurs propres réponses à partir de leur vécu. Mais cela suppose une représentation positive du parent, ce qui n'est pas facile lorsqu'il a été violent ou incestueux. »
Autour de ces interrogations, se pose aujourd'hui encore la question de la place de la famille d'accueil. Bien que la loi qui instaure le statut professionnel des assistantes maternelle date de 1992, certains travailleurs sociaux semblent encore s'interroger sur la manière de collaborer avec ces partenaires qui ne sont toujours pas à proprement parler des travailleurs sociaux. « Les familles d'accueil sont encore rarement considérées comme professionnelles, admet Michel Lerbour. Les travailleurs sociaux doivent les reconsidérer en référence aux aspects statutaires de la réforme de 1992. Chez nous, elles sont associées aux instances de bilan et d'évaluation pour les enfants qui leur sont confiés. Mais cela ne se pratique que depuis janvier 2000. » Pourvues d'une formation et d'un agrément, les assistantes maternelles sont censées participer au travail éducatif et non plus se contenter d'une mission de gardiennage et de « nourrissage » des enfants placés. Mais là encore, les pratiques varient beaucoup.
Mariette Lambourg, vice-présidente de l'association des assistantes maternelles de Lot-et-Garonne (5) observe une différence de pratique entre les institutions privées et l'ASE. « Dans le privé, j'ai l'impression de travailler en équipe avec les éducateurs, explique- t-elle. Mais les assistantes maternelles de l'ASE se plaignent de ne pas être assez soutenues, de ne voir les travailleurs sociaux que deux fois dans l'année, de devoir emmener elles-mêmes les enfants dans leurs familles d'origine le week-end. » Pour mieux intégrer les assistantes maternelles au travail éducatif, les services envisagent différentes solutions, comme leur ouvrir leurs bureaux, leur demander des petits rapports éducatifs, ne pas recevoir à la dernière minute des bilans d'évaluation, comme le dénonce Mariette Lambourg.
« Certains départements comme la Drôme créent des lieux neutres qui ne laissent jamais l'enfant seul entre l'assistante maternelle et ses parents afin d'éviter cette situation de rivalité, souligne Jean-Claude Cebula. La présence de professionnels encadrant ces rencontres est essentielle pour gérer cette scène de famille élargie qui oppose famille naturelle et famille d'accueil dans l'esprit même de l'enfant. Mais pour ce faire, il faut du temps pour que les éducateurs soient présents pendant ces visites. »
Pour les familles d'accueil, l'enjeu de la professionnalisation est aussi un facteur d'évolution positive par rapport à la question de la parentalité. Car dans la représentation, leur rôle induit une certaine confusion. « Pour chaque famille, l'enjeu est constitué par sa capacité à être parent, souligne Pascal Roman. Le métier de famille d'accueil est tout à fait particulier car il vient faire résonner des sentiments spécifiques au cœur d'une dimension générationnelle, alors qu'on se trouve dans un cadre professionnel. » Pour l'assistante maternelle, il n'est pas toujours aisé de rester neutre face aux sentiments de l'enfant pour ses parents biologiques. « Certaines ont été recrutées avant les nouveaux textes de 1992, rappelle Véronique Mauer. Elles sont encore dans une logique d'appropriation de l'enfant et elles ont du mal à accepter les parents. » « Elles ont arrêté de dire à l'enfant “ton père est un salaud”, affirme Jean-François Guibeaud. Mais certains gestes comme laver l'enfant ou mettre tout son linge au sale sans le trier dès qu'il rentre de week-end dans sa famille révèlent des sentiments négatifs par rapport aux parents. Il faut les aider à aborder ces parents d'une autre manière. »
La formation professionnelle semble indispensable pour amener l'assistante maternelle à mieux se situer en famille complémentaire et non en famille de substitution. Sa reconnaissance par le travail social doit l'aider aussi à sortir d'une simple logique de bonne famille en opposition à une mauvaise. Deux évolutions essentielles pour améliorer les pratiques du placement familial.
Quel est votre sentiment à l'issue des états généraux de la protection de l'enfance (7) ? - Nous sentons un infléchissement du discours de Ségolène Royal qui résulte sans doute des échos qu'elle a reçus de la part des professionnels du secteur. A travers les états généraux, nous avons senti une prise en compte de certains placements nécessaires. Dans la philosophie générale, il nous semble important d'articuler droit des parents et protection de l'enfance. Il faut reconnaître un minimum de savoir-faire aux professionnels et veiller à ce que la mise en place du droit des parents ne viennent pas défaire le travail construit. La protection de l'enfance reste notre mission prioritaire. Nous nous étonnons aussi de la contradiction entre un discours familialiste qui dénonçait trop de placement et la volonté de développer les internats et le parrainage qui instituent d'autres modes de séparation. Comment avez-vous accueilli les propositions du rapport de Claude Roméo ? - Globalement, nous sommes en accord avec ses propositions, mais où sont les moyens nécessaires à la mise en place de ces mesures ? Le carnet de vie nous semble intéressant, mais il faut qu'il devienne un document éducatif à la disposition de l'enfant et non un nouveau document administratif et stigmatisant. Les mesures de parrainage posent la question du statut juridique du parrain. Une majorité des enfants placés se trouvent en grande difficulté et la bonne volonté d'un parrain non professionnel ne nous semble pas suffisante. Que proposez-vous pour améliorer le dispositif ? - Il convient de préciser l'articulation entre protection judiciaire et administrative et de redéfinir la place et le rôle de l'aide sociale à l'enfance et du juge des enfants. Nous constatons avec regret que le secteur associatif garde une place marginale dans l'élaboration des politiques d'aide sociale à l'enfance. Les associations ne sont pas conviées au travail d'élaboration et leur rôle se borne encore à l'application des mesures décidées. D'autre part, alors que le bilan de la loi de 1992 est en cours, nous préconisons une limitation de la précarité des assistantes maternelles, dont le salaire est encore trop soumis au nombre d'enfants accueillis.
Propos recueillis par F. P.
(1) Voir ASH n° 2238 du 23-11-01.
(2) Voir ASH n° 2236 du 9-11-01.
(3) Véronique Mauer intervenait lors des Xe journées nationales d'étude sur « Le labyrinthe du placement familial : places, représentations et idéaux », organisées par l'Association nationale des placements familiaux les 27 et 28 septembre à Agen.
(4) Voir ce numéro.
(5) Association des assistantes maternelles du Lot-et- Garonne : Sainte-Foy-de-Penne - 47140 Penne-d'Agenais - Tél. 05 53 40 99 04.
(6) Christian Mesnier est président de l'Association nationale des placements familiaux qui tiendra ses prochaines journées d'études en septembre 2002 à Lille, sur le thème « Protection de l'enfance et droit des parents » - ANPF : 63, rue de Provence - 75009 Paris - Tél. 01 42 80 21 21.
(7) Voir ASH n° 2238 du 23-11-01.