C'est mercredi à la Colline (1). Dans la grande salle de l'association parisienne, quelques enfants jouent calmement, sous le regard attentif de Margot et de Françoise, deux bénévoles chargées de l'accueil. Ici, chacun se tutoie et s'appelle par son prénom. Quelques dizaines de livres sur une étagère, un coin salon, une cuisine : le lieu se veut familial, convivial. Il sert de cadre aux rencontres parents-enfants. Elles ont lieu tout au long de la semaine, mais c'est ce jour-là que les familles sont les plus nombreuses. L'ambiance est un peu celle d'un centre de loisirs, mais le regard des professionnels présents est bien différent.
« Nous sommes placés en position d'observation, témoigne Marc Landry, bénévole et psychothérapeute retraité. Il ne s'agit pas seulement de jouer avec les enfants, de prendre le café avec leurs parents, mais de parler, de faire le point sur leur situation. D'écouter et de créer une relation de confiance. » Cette confiance est indispensable pour les parents qui poussent la porte de la Colline. Marginalisés, dans un état d'isolement extrême, ils sont parfois complètement perdus. Mères toxicomanes, prostituées, dépressives, victimes de violences conjugales, enfants béquilles - et quelques pères - parents qui, en grande difficulté, craignent de devenir maltraitants envers leurs enfants : ils sont souvent hostiles à toutes les structures sociales.
Le propos de la Colline aux enfants est alors de recréer un tissu social autour de ces familles, pour lesquelles l'aide sociale à l'enfance est synonyme de jugement ou de placement.
Ce constat est à l'origine même de l'association. Avant de la créer, sa directrice, Marie-Claude Caso, assistante sociale de formation, a travaillé 15 ans au sein d'une équipe de présence à la rue. Là, côtoyant une population en très grande difficulté, souvent de jeunes femmes avec des enfants, qui se retrouvaient dans des situations potentiellement dangereuses, elle a pris conscience des appréhensions de ce public envers l'aide sociale. « Ces jeunes adultes avaient une peur bleue des travailleurs sociaux. Nombre de jeunes femmes étaient passées par la direction des affaires sanitaires et sociales, avaient eu des démêlés avec la justice, et craignaient de se voir enlever leurs enfants. » En dirigeant ces mères vers des assistants sociaux, en leur proposant des mesures dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance, « celles-ci se rendaient compte que quand on les accompagnait, les écoutait, elles pouvaient trouver de l'aide ». Le temps de prendre connaissance des mesures et structures existantes en faveur de la petite enfance et Marie- Claude Caso mûrit son projet : une association de prévention axée sur la relation parents-enfants, destinée aux 3-10 ans, pour lesquels les réponses sont encore rares. Le projet intéresse les politiques et les administrations. Fin 1996, une convention est signée avec la direction de l'action sociale de l'enfance et de la santé. La Colline aux enfants est née.
Faciliter l'accès à l'institution sociale est l'une des préoccupations de cette structure relais. Pour son équipe socio- pédagogique pluridisciplinaire (2), le premier contact est donc une étape très importante. L'entretien d'évaluation est mené en binôme par un éducateur et une assistante sociale et permet à la personne d'exposer sa situation et sa demande. « Pour notre part, explique Danielle Seban, assistante sociale, tout en ayant le souci d'être accueillant et chaleureux, nous sommes là pour restituer un cadre, rappeler que les enfants ne peuvent pas tout vivre, et apprécier une situation : voir si l'association peut prendre en charge une famille ou si elle doit l'orienter vers une structure plus adaptée. » L'équipe se réunit alors pour définir une réponse à la carte. Le parent rencontre la psychologue, avec son enfant puis séparément. Selon la situation, ils sont orientés vers la protection de l'enfance ou vers un accompagnement dans le cadre de la prévention.
La réponse apportée peut alors être un accueil en famille relais ou chez une assistante maternelle - pour une fratrie ou une durée d'accueil assez longue - qui ne se prolonge pas plus de six mois. En évitant toute rupture. « Au début, témoigne Anne Magnié, mère de famille relais, les enfants sont très angoissés, jamais sûrs de voir leurs parents. Mais ils comprennent très vite que le lien n'est pas cassé, que nous ne sommes pas là pour les séparer. » Ainsi, lorsqu'un parent confie son enfant à une famille relais, il s'engage à le rencontrer au moins une fois par semaine. A l'image de cette maman dont la petite fille est accueillie chez une assistante maternelle, et qui la reprend tous les mercredis et tous les week-ends. Ou encore de cette mère malade, à laquelle son enfant rend visite régulièrement sur son lieu d'hospitalisation, accompagné d'un éducateur ou d'un bénévole. Tout est mis en œuvre pour que les parents puissent être acteurs de leur autorité parentale et trouver les moyens de se reprendre en main.
Accueil temporaire hors de la famille ou suivi dans le cadre des rencontres parents-enfants sont autant d'outils au service du maintien et du renforcement du lien. Toute activité est donc l'occasion d'y travailler. Mères, pères, enfants, bénévoles prennent ensemble leur repas. Ces déjeuners donnent lieu à des explications sur l'éducation, un travail sur la culture et permettent de prendre le pouls de la famille, de percevoir une difficulté au quotidien, une défaillance. « Le quotidien permet d'évaluer la réalité et d'affirmer des règles, avec l'adulte et avec le groupe », affirme Marc Landry.
Sauf exception, les salariés de l'association n'interviennent pas au cours des rencontres parents-enfants. La relation avec un bénévole peut en effet fonctionner comme une reconnaissance et une revalorisation du public concerné. Pour ces gens très isolés, très marginalisés, « voir que ce ne sont pas uniquement des gens payés pour s'occuper d'eux, mais aussi des gens qui sont bien, qui vivent bien, qui prennent le temps de le faire, leur redonne confiance, estime Marie-Claude Caso. Par ailleurs, les parents sont plus détendus, constate-t-elle ; avec les bénévoles, ils se sentent accueillis en tant que personnes et pas en tant que cas sociaux, même s'ils savent que nous sommes là avec un regard professionnel. » Car, en amont, l'équipe fait le point sur la situation d'une famille avec la psychologue : « Je donne des orientations, explique Alessandra Guerra ; par exemple, j'insiste sur le besoin d'un atelier dessin pour un enfant qui a du mal à décharger ses angoisses, ou d'un atelier pâte à sel pour un autre qui n'a pas acquis une motricité fine. » Ainsi, les activités sont adaptées à chaque enfant. Ses progrès le revalorisent aux yeux de ses parents et, à l'inverse, les ateliers cuisine ou peinture sont l'occasion de découvrir une mère ou un père « capable » de manier les couleurs ou de faire un gâteau. Le maintien du lien parents-enfants et la prévention passent ici par des actes basiques. « L'essentiel de notre travail, résume Marie-Claude Caso, est de remettre ces gens en confiance, de faire en sorte qu'ils soient heureux de venir ici, et qu'ils se rendent compte qu'ils ont la capacité d'être parents. »
Pour ces parents, la démarche doit être libre. C'est l'un des principes de fonctionnement de la Colline. Celle-ci est désormais une structure ressources pour un réseau de travailleurs sociaux qui connaissent la situation de la famille et l'orientent vers l'association. Mais dans tous les cas, la demande doit venir du parent lui- même. C'est ainsi que l'an dernier, sur 500 contacts, 290 parents seulement ont appelé. « Le parent vient parce qu'il sent qu'il a besoin d'aide. Le jour où il n'en veut plus, il arrête. C'est déjà une façon de le responsabiliser dans sa parentalité. »
L'accompagnement se fait donc, classiquement, en lien avec les assistants sociaux scolaires ou de secteur, les structures d'hébergement d'urgence si nécessaire, les centres de prise en charge psychologique ou psychiatrique. Mais toujours avec le consentement du parent, qui doit être au courant des démarches entreprises et à qui on explique le sens et leur intérêt pour l'enfant. Ce mode de fonctionnement constitue l'une des limites de l'action de l'association : les adultes sont libres de ne venir que de façon irrégulière, de disparaître, de renoncer ou de mettre en échec un travail mené parfois depuis plusieurs mois.
Car la souplesse est l'un des chevaux de bataille de la Colline aux enfants. Souplesse des réponses apportées, mais aussi souplesse de l'accueil. Parents, enfants
et familles relais disposent d'une écoute téléphonique disponible 24 heures sur 24 et d'un permanent de garde. « Il y a ici une capacité d'accompagnement extra- ordinaire, affirme Jean Malbos, jeune éducateur spécialisé ; on a les moyens
d'accorder du temps aux familles, et c'est lié notamment à la présence des bénévoles. » Parmi la soixantaine de ces bénévoles, beaucoup sont des professionnels :psychothérapeutes, pédopsychiatres, instituteurs, assistants sociaux, avocats, qui offrent une partie de leur temps à l'association. Tous signent un contrat d'engagement, et suivent une formation mensuelle avec l'ensemble de l'équipe, sur des questions comme la maltraitance et la résilience, la violence et l'agressivité, ou la communication parents-enfants...
Pourtant malgré l'effort de formation, ce travail en complémentarité avec les bénévoles dérange et fait réagir, quelquefois violemment, les travailleurs sociaux. Au centre de leurs préoccupations, la question de la compétence, remise en cause, mais également de la place même des professionnels au sein de l'action sociale. « J'entends bien leur discours, répond Marie-Claude Caso. Mais pour moi, nous avons une équipe de professionnels salariés et bénévoles. Et parce que ceux-ci travaillent différemment, ils nous forcent à nous laisser bousculer, et donc à évoluer : c'est une richesse extraordinaire. En revanche, il ne faut pas, parce que nous fonctionnons avec du bénévolat, dont le coût est moindre pour les pouvoirs publics, que ces derniers démissionnent de leur rôle qui est de subventionner ces structures. » La fondatrice de l'association défend donc fermement cette démarche, qui permet, selon elle, de développer de petites structures similaires, d'en assurer la souplesse et la facilité d'accès.
L'an prochain, une annexe devrait être créée dans le XIXe arrondissement de Paris ; une autre « Colline » est en cours d'étude à Lille, et d'autres associations semblables pourraient voir le jour à Montpellier, Marseille et Nantes. « Nous sommes entre la rue et les institutions. Nous sommes là, au milieu, dans le cadre de la prévention, comme une passerelle. Nous interpellons les institutions sur leur fonctionnement. Et au bout de cinq ans d'existence, nous constatons que nous correspondons à un besoin. »
La Colline aux enfants accompagne les enfants de 3 à 10 ans dont les parents se trouvent en situation de grande précarité sociale, psychologique et médicale. L'an dernier, 180 enfants et 114 parents - en grande majorité des mères seules - se sont adressés à l'association, où ils ont rencontré les travailleurs sociaux de l'association lors d'un entretien d'évaluation. Parmi ces enfants, 42 ont bénéficié d'un accueil temporaire chez une assistante maternelle ou en famille relais. 115 enfants sont restés dans leur famille, parfois avec un suivi d'action éducative en milieu ouvert administrative (neuf) ou judiciaire (quatre), ou la mise en place d'un parrainage (deux). Deux d'entre eux ont fait l'objet d'un signalement. Source : la Colline aux enfants - Rapport d'activités 2000.
Sandrine Pageau
(1) La Colline aux enfants : 13, rue Curnonsky - 75017 Paris - Tél. 01 56 21 11 00 - E-mail :
(2) Elle est constituée de 11 salariés, parmi lesquels une assistante sociale, deux éducateurs spécialisés, une psychologue et deux assistantes maternelles.