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Les CHRS en danger ?

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Leur recours gracieux étant resté sans résultat, les instances de la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (FNARS) (1) devraient prendre demain la décision de déposer un recours contentieux, devant le Conseil d'Etat, contre le décret du 3 juillet dernier rénovant le cadre réglementaire de l'action des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS)   (2). Pour les acteurs de terrain, ce texte, malgré des avancées certaines, risque d'éteindre la dynamique de ces structures et de leurs gestionnaires.

« Nous avons travaillé longtemps sur ce décret. Quand il est paru, nous avons été figés. Puis assis. Avec l'impression de revenir 25 ans en arrière. » Gilles Pierre, président de la commission nationale CHRS de la FNARS, résumait bien, lors d'une journée d'étude organisée par la délégation francilienne de sa fédération (3), le sentiment général de ces structures. Celui d'une immense déception, à la hauteur de l'espoir suscité en 1998 par la loi contre les exclusions, qui en assouplit la définition, élargit et précise leurs missions (4). Ainsi, le statut de CHRS est désormais indépendant de l'activité d'hébergement, ce qui permet, entre autres, de prendre en compte les diverses structures d'accueil de jour créées depuis une dizaine d'années. Quant aux missions, est cité en premier l' « accueil, notamment en situation d'urgence ». S'y adjoignent le soutien ou l'accompagnement social, l'adaptation à la vie active et l'insertion sociale et professionnelle.

Que reste-t-il de cette ambition modernisatrice dans le texte paru trois ans plus tard ? « Le champ du décret, qui se focalise sur l'hébergement et l'adaptation à la vie active, est rétréci par rapport au champ de la loi », répond Marie-Magdeleine Hilaire, conseillère technique à l'Union nationale interfédérale des organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss) (5). Parmi les plus amers, les acteurs de l'accueil d'urgence, sur lequel le décret ne propose qu'un « ahurissant silence », note Patrick Rouyer, délégué régional de la FNARS Ile-de-France. Il traduit, pour Patrick Hervé, directeur des Œuvres de la Mie de pain, « le manque de reconnaissance de l'importante implication associative depuis 20 ans pour répondre à une demande croissante et créer de nouveaux outils »   : SAMU sociaux, accueils de jour, maraudes... « Nous nous sentons orphelins, d'autant plus que les associations ont beaucoup travaillé pour imaginer dans ce cadre un travail social adapté et complémentaire aux dispositifs traditionnels », renchérit André Lacroix, directeur général d'Emmaüs-France. Emblématique de cet oubli, le titre du décret :en faisant uniquement référence aux « centres d'hébergement et de réinsertion sociale », il donne à certains, qui n'hébergent pas, le sentiment de « ne plus exister ». « Il aurait mieux valu parler de “lieux de réinsertion sociale” », estime Yves Poupeney, président de l'association Développement, appui et coordination des accueils de jour et de solidarité en Ile-de-France. Cette dénomination aurait eu le mérite de rompre avec une vision « monolithique », selon le terme de Pierre Levené, secrétaire général de l'Association des cités du Secours catholique, et de rendre visible l'éventail des activités développées par les structures estampillées « CHRS »  : de la crèche à l'atelier de recherche d'emploi, en passant par la location ou la sous-location de logements éclatés.

Logique de protection contre logique de promotion

Sur ce dernier point, rien n'est dit non plus dans le décret. Alors qu'actuellement, de un quart à un tiers des places en CHRS sont associées à une location ou une sous-location, non à un hébergement. « Il ne faut pas, par des mesures techniques, [...]limiter [les usagers des CHRS] aux seuls hébergements collectifs, ni les exclure du logement normal », insiste la FNARS dans la demande de recours gracieux adressée à Lionel Jospin, le 31 août dernier. Pour les acteurs associatifs, cette omission marque aussi un recul par rapport à la loi contre les exclusions, qui met l'accent sur l'accès au droit commun, l'autonomie, la citoyenneté. « Ce n'est pas, hélas, la tonalité générale » du décret, déplore la FNARS. On touche là au cœur des reproches de fond adressés au texte. « On reste dans le schéma d'une aide sociale protectrice. La logique de protection n'a pas été abandonnée au profit de la logique de promotion », relevait Jean-Paul Péneau, directeur général de la fédération, au moment de la parution du texte.

Que des pas aient été accomplis dans le sens d'une plus grande reconnaissance de la citoyenneté des usagers, personne ne le nie. Par exemple, le directeur du CHRS - à qui revient désormais la décision, auparavant préfectorale, d'accueillir une personne ou une famille - doit « expressément » motiver tout refus. Et celui-ci peut faire l'objet d'un recours.

Autre avancée, le cadre réglementaire donné aux actions d'adaptation à la vie active - qui s'adressent à des personnes qui ne sont pas en mesure d'effectuer un travail régulier en raison d'un cumul de difficultés, sociales, professionnelles ou médicales - et à la pratique du pécule octroyé en contrepartie des tâches accomplies dans ce contexte. Ce nouveau cadre, qui remplace la circulaire dite « 44 » de 1979, à la valeur juridique contestée, donne aux personnes engagées dans ce type d'actions « un statut imparfait, mais clair, protecteur et contrôlable »   (6), estime la FNARS. Même si quelques questions restent en suspens, que relève Denis Le Baillif, directeur général adjoint de la Fondation de l'armée du salut : « Comment faire compren- dre que, pour des activités identiques, la rémunération puisse être différente, puis- que l'on prend en compte les autres ressources de la personne ? Et pour les CHRS qui attribuaient jusqu'alors un pécule inférieur à 30 % du SMIC, les financeurs seront-ils prêts à prendre en charge le complément de budget ? »

La participation financière des résidents aux frais d'hébergement et d'entre- tien s'inscrit également dans cette démarche citoyenne. La loi contre les exclusions, en reconnaissant ce principe, s'est fondée sur le postulat que « toute contribution, même modeste, de la personne en fonction de ses revenus disponibles, participe à son processus actif d'autonomisation ». Le décret en précise les modalités. Elle est établie, par le préfet, selon un barème qui tient compte, notamment, des ressources des personnes ou des familles et des dépenses restant à leur charge pendant l'accueil. Là encore, toutefois, la vigilance est de mise. « Si le montant est fixé par le préfet, comment prendre en compte les cas particuliers, comme la construction d'un capital pour un projet, l'envoi d'argent à la famille, le remboursement de dettes antérieures... ? », s'interroge Denis le Baillif.

Et pourtant, parallèlement à ces avancées, les associations dénoncent, avec les mesures concernant l'insertion par l'activité économique, un déni de citoyenneté aux usagers des centres d'hébergement et de réinsertion sociale. La FNARS, à la parution du texte, s'insurgeait contre « la tentative de l'administration, par le biais d'un article technique, d'écarter les titulaires de l'aide sociale de l'insertion par l'activité économique », et de les cantonner au pécule. Pratique qui, si elle est désormais pourvue d'un cadre réglementaire, n'en demeure pas moins en dehors du droit du tra- vail. En effet, si le décret, conformément à la loi de juillet 1998, rappelle que ces structures peuvent mener des actions d'insertion par l'activité économique, les contraintes budgétaires qu'il fixe à partir du 1er janvier prochain paraissent de nature à leur interdire de fait de s'engager dans cette voie. Ce pan d'activité doit en effet faire l'objet d'un ou de plusieurs budgets « spécifiques », c'est-à-dire non abondés par l'aide sociale de l'Etat. Résultat : « Il faudra équilibrer l'activité par de petits financements précaires », s'inquiète la FNARS, qui redoute un effet dissuasif pour les associations gestionnaires. Et l'étanchéité stricte des budgets ne concerne pas seulement l'insertion par l'économique. D'une façon générale, toutes les actions engagées dans un cadre autre que l'hébergement et la réinsertion sociale - par exemple l'accueil des jeunes enfants, que de nombreux CHRS ont mis en place - feront, elles aussi, l'objet d'un budget spécifique.

S'agirait-il d'une simple question de vocabulaire ? « Ce que les CHRS appellent “étanchéité” des budgets est un nécessaire effort de clarification des financements. Ce qui n'est pas illégitime », relève Corinne Tichoux, directrice adjointe de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) de l'Essonne. Les acteurs associatifs ne contestent pas qu'il faille parfois mettre un peu d'ordre dans les budgets. Mais ils redoutent que, sous prétexte de rendre plus visibles les activités à caractère économique de ces structures, on en vienne à une rigidité excessive allant à l'encontre de l'intérêt des publics accueillis. « Le schéma proposé témoigne d'une pensée un peu mécanique de l'insertion, supposant que nos usagers passent de façon linéaire d'un dispositif à un autre, puis à un autre... Or il faut de la souplesse, des possibilités de retour en arrière, pour arriver à des résultats », commente Gilles Pierre.

Une «  colonne vertébrale » brisée ?

Plus encore, c'est la stérilisation des associations gestionnaires que l'on craint. Car, fréquemment, la dotation globale d'Etat des CHRS constitue une base financière pour créer d'autres outils. « Ces structures forment souvent la colonne vertébrale d'une association. Il faut qu'elles puissent continuer à donner du temps, de l'argent, aux actions périphériques qui, sans elles, n'existeraient plus », relève un directeur d'association. Dans le cas contraire, les acteurs du secteur prévoient un frein brutal à la dynamique des associations. Toutes ne drai- neront pas les fonds suffisants pour prendre en charge les actions soutenues auparavant par le budget des CHRS et les abandonneront. Dommage, souligne en substance Gilles Pierre. « Nous avons créé des outils répondant bien à la loi de juillet 1998, permettant de passer de l'exclusion à l'insertion, au moins de la rue à une vie autonome. Et maintenant, on nous dit : “C'est bien, mais nous voulons y voir plus clair.” Et au nom d'un éclaircissement, on casse ces outils ». Il ajoute : « Les DDASS, en aparté, expriment les mêmes craintes que nous. »

« Un CHRS ne fait pas tout, n'est pas financé pour tout faire. Il s'inscrit dans un réseau de partenariats », défend pourtant Corinne Tichoux. Elle souligne que les services déconcentrés de l'Etat vont devoir aider ces établissements à passer des conventions - avec les conseils généraux, les hôpitaux, les structures de prévention de l'alcoolisme... - pour assurer un financement stable et pérenne aux activités qui devront sortir du budget principal.

Au final, les centres d'hébergement et de réinsertion sociale ne sont « pas contre la diversification des financements, mais l'étanchéité va à l'encontre de la forte incitation, contenue dans le projet de réforme de la loi de 1975, à développer une palette de services », résume Bruno Coste, directeur de l'Uriopss Ile-de- France. Et de réclamer « une cohérence au message des pouvoirs publics en direction des associations ».

Céline Gargoly

Notes

(1)  FNARS : 76, rue du Faubourg-Saint-Denis - 75010 Paris - Tél. 01 48 01 82 00.

(2)  Voir ASH n° 2222 du 6-07-01 et n° 2227 du 7-09-01.

(3)  Intitulée « Publics diversifiés, CHRS en mouvement : effets d'un décret », elle s'est tenue le 23 octobre à Paris à l'initiative de la FNARS lle-de-France et de l'Union régionale interprofessionnelle des organismes privés sanitaires et sociaux (Uriopss) d'Ile-de-France - Contact : FNARS Ile-de-France - 70/72, rue Orfila - 75020 Paris - Tél. 01 43 15 80 10.

(4)  Voir ASH n°2084 du 11-09-98.

(5)  L'Uniopss a appuyé la démarche de recours gracieux engagée par la FNARS.

(6)  Les intéressés reçoivent une rémunération horaire comprise entre 30 et 80 % du SMIC compte tenu de leurs autres ressources et du caractère de l'activité pratiquée selon qu'elle est à dominante productive ou à dominante occupationnelle. La durée mensuelle de l'action ne peut excéder 80 heures. La participation à ces actions ne peut dépasser six mois, sauf accord du préfet pour la même durée renouvelable.

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