« On se croirait sur le pont d'un navire négrier », dit Louis Mermaz, député de l'Isère, en parlant de certaines zones d'attente où sont parqués les étrangers à l'aéroport de Roissy (point d'arrivée de la grande majorité des demandeurs d'asile). Lui qui avait dénoncé « l'horreur de notre République » dans un rapport accablant sur les centres de rétention et les zones d'attente (1) ne peut que constater, un an plus tard, que « la situation s'est encore aggravée ». « Elle est même franchement catastrophique », estime Véronique Costamagna, au nom des avocats du barreau de Paris.
Tous les témoignages concordent en effet. A Roissy, des étrangers de plus en plus nombreux sont maintenus dans la zone dite « internationale », empêchés de franchir le premier contrôle de la police de l'air et des frontières (PAF) qui, ainsi, n'enregistre pas leur demande. « Ni refoulés, ni admis », ils sont ignorés au point qu'on ne leur apporte même pas le repas quotidien servi dans les zones reconnues. Une fois ce barrage passé (par ceux qui ne se sont pas laissé remettre dans l'avion), certains sont dirigés vers les centres d'hébergement officiels, censés assurer « des prestations de type hôtelier ». Mais comme ils sont saturés- environ 500 étrangers sont actuellement retenus, contre 300 en mai -, des personnes de plus en plus nombreuses sont regroupées dans des salles de correspondance ou d'embarquement récemment réquisitionnées à cet effet. Les visiteurs des associations agréées (2) multiplient les comptes rendus alarmistes : 60 hommes, femmes et enfants entassés dans une pièce de 35 m2 au terminal 2A dans une « promiscuité hallucinante » ; des personnes empêchées de se laver pendant des jours ou d'aller aux toilettes ; des téléphones en panne plus souvent qu'à leur tour ; des enfants maintenus plusieurs jours dans ces zones où ils ne devraient jamais entrer ; des récits récurrents de brutalités... Les personnels de l'aéroport, et c'est nouveau, sont de plus en plus nombreux à témoigner dans le même sens : des femmes de ménage obligées d'évacuer les bouteilles d'urine, des employés des compagnies aériennes qui ne veulent plus fermer les yeux ou même certains policiers. « Cela dépasse l'entendement de découvrir des faits pareils sur notre lieu de travail », insiste par exemple Ian Roth, militant CFDT d'Air France. « Un jour, il y aura un accident grave », redoute même un responsable de la PAF.
Après un rapport sur le fonctionnement des zones d'attente remis au Premier ministre en avril 2001 (3) - et resté sans effet - l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) (4) tire de nouveau la sonnette d'alarme, avec un document circonstancié. Elle rend aussi publique une lettre adressée au Premier ministre le 17 octobre, où les associations humanitaires et les organisations d'avocats demandent ensemble - pour la première fois - des améliorations réglementaires précises. Qui visent, pour l'essentiel, explique Hélène Gacon, présidente de l'Anafé, à obtenir un accès permanent des associations et des avocats aux zones d'attente. Pour faire simplement respecter le droit. Et obtenir que les demandes d'asile soient normalement enregistrées, que les personnes retenues puissent communiquer avec l'interlocuteur de leur choix, recevoir des soins médicaux si nécessaire, prendre conseil d'un avocat, être assistées d'un interprète dans leur langue, ne pas être harcelées ni brutalisées ni ballottées d'un terminal à un autre sans que nul ne puisse même les localiser...
La seule réponse du Premier ministre a été, pour l'heure, une réception par des conseillers de Matignon, le 10 décembre, qui ont renvoyé l'association... vers le ministère de l'Intérieur. « La seule politique visible semble être de décourager les demandeurs... et de couvrir les plus violents des policiers », dénoncent les visiteurs qui ne voient pas d'autre parade que de « multiplier les spectateurs ». Du moins, des spectateurs prêts à témoigner. A cet égard, Laurent Giovannoni, de la Cimade, interroge l'Office des migrations internationales (sous tutelle du ministère de l'Emploi et de la Solidarité) ou la Croix-Rouge française, dont « les intervenants sur le terrain ont sans doute des conditions de travail très difficiles », mais dont le silence des dirigeants est assourdissant. « Tout cela, parce que, contrairement à l'Allemagne, au Canada, ou aux Etats-Unis, la France n'a pas de politique d'immigration », regrette Louis Mermaz, de retour de Sangatte, qui estime que « nous ne sommes pas menacés d'un appel d'air. »
M.-J. M.
(1) Voir ASH n° 2189 du 17-11-00.
(2) Au compte-gouttes, avec huit visites autorisées par personne et par an. Et seulement dix représentants par association, et huit associations agréées, la Ligue des droits de l'Homme ou Médecins du monde, par exemple, attendant toujours une autorisation.
(3) Voir ASH n° 2209 du 6-04-01.
(4) Collectif qui regroupe 17 associations et syndicats. Anafé : c/o Cimade - 176, rue de Grenelle - 75007 Paris - Tél. 01 45 55 15 77.