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Martinique : conjuguer maintien à domicile et prise en charge de la dépendance

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Comme en métropole, le maintien à domicile, axe prioritaire de la politique gérontologique martiniquaise, doit s'articuler avec la prise en charge de la dépendance. Au moment de l'entrée en vigueur prochaine de l'allocation personnalisée d'autonomie et du bouclage du deuxième schéma départemental.

« En Martinique, l'aide sociale aux personnes âgées arrive en tête des dépenses départementales, alors qu'en métropole le premier poste est l'enfance ! », fait remarquer d'emblée Charles Barclay, directeur général adjoint de la direction des services sanitaires et sociaux  (Disses)   (1). Pour des raisons qui ne tiennent pas à la démographie mais aux particularités locales : la précarité des ressources de la population (2) qui contraint le département à prendre en charge 99 % des résidents, un prix de journée moyen élevé en établissement - de 350 à 400 F - lié aux surcoûts salariaux importants (3), le coût de la vie plus cher qu'en métropole, un ratio d'encadrement supérieur à la moyenne nationale (4). A quoi il faut ajouter la médicalisation tardive des établissements pour personnes âgées qui a fait perdre des plumes au conseil général. Les dépenses d'aide-soignantes devaient basculer sur le forfait soins de l'assurance- maladie ; lequel n'a pas suivi. Le département a donc réglé ces dépenses indûment sur son forfait hébergement. Soit une facture de 20 millions de francs qu'il ne s'est pas privé de transmettre à l'Etat à l'occasion de la réforme de la tarification.

Pourtant, la décrue de l'accueil en établissement s'est amorcée depuis le premier schéma gérontologique, en 1994, qui donnait la préférence au maintien à domicile. Et depuis l'entrée en vigueur de la prestation spécifique dépendance (PSD) que le département a poussée vers le domicile en la versant aux deux tiers des personnes en GIR 4 (moyennement dépendantes), anticipant en cela l'allocation personnalisée d'autonomie. Comme il n'a pas fait jouer non plus la récupération sur succession alors que les bénéficiaires sont souvent de petits propriétaires, plutôt habitués à recevoir de la collectivité qu'à lui donner. « On savait que les personnes âgées préféraient refuser la prestation plutôt que de ne pas pouvoir transmettre leur bien à leurs enfants », relate Nicole Cadrot, adjointe au service de l'aide sociale générale.

L'accueil familial dopé

Si les deux tiers des plus de 60 ans sont concentrés sur la connurbation de Fort-de-France-Schoelcher-Le Lamentin, (50 %) et au sud de l'île (25 %), la très grande majorité de la population âgée vit à domicile. Encore plus vrai pour les personnes dépendantes puisque les établissements d'accueil (maisons de retraite, foyers, hôpitaux locaux) ont jusqu'à présent, pour près de 40 %d'entre eux, sélectionné leur clientèle en acceptant seulement des personnes autonomes. « Paradoxalement, l'accueil familial à titre onéreux  (5) a été dopé, les familles acceptant, elles, de prendre en charge des personnes très dépendantes. Alors qu'elles étaient les moins qualifiées pour le faire, elles ont été séduites par une rémunération attractive : entre 6 000 F et 10 000 F par mois », explique Nicole Cadrot. Jusqu'à ce que le département, jugeant la situation malsaine, en freine le développement depuis 1994. 300 familles sont néanmoins en liste d'attente aujourd'hui.

Dans ce département, les solidarités familiales envers les anciens ont longtemps joué à plein. « Mais l'évolution des modes de vie défait peu à peu le soutien apporté par les générations plus jeunes qui décohabitent », remarque Eliane Hamman, assistante sociale d'une équipe médico- sociale chargée de la PSD. « Toutefois, lorsque la dépendance est là, les enfants ou la famille restent présents. Si bien que les plus valides sont aussi les plus isolés. Heureusement, le voisinage sert de relais, surtout dans le Nord, plus rural et moins habité. » « On observe deux types d'attitudes dans la population », ajoute Patricia Chevon, responsable de l'action sociale à la caisse générale de sécurité sociale  (CGSS)  : « Dépendantes ou non, les personnes âgées ne demandent rien. Mais les plus jeunes sollicitent toujours davantage, au-delà de ce à quoi ils ont droit. Cette dérive assistantielle nous oblige à un travail de recentrage permanent. »

Seul département des DOM à avoir passé une convention avec la sécurité sociale pour la mise en œuvre de la PSD, la Martinique a mis en place trois équipes médico-sociales qui fonctionnent en binôme (assistante sociale ou infirmière pour le conseil général et une assistante sociale de la CGSS) pour évaluer et mettre en place le plan d'aide. Malgré la charge de travail qui, selon l'avis des assistantes sociales de la sécurité sociale, les a coupées de leur terrain d'intervention privilégié, le fonctionnement leur semble plutôt satisfaisant. « Les collègues ont pu expérimenter le travail social par objectif et s'apporter une expertise réciproque », constate avec le recul Carmen Fall, responsable du service social de la CGSS. Même son de cloche du côté du conseil général, à la nuance près qu'il doit pallier cette année le manque de personnel : la CGSS a décidé, en 2001, de récupérer un équivalent temps plein.

Effet positif pour le département, l'arrivée de la PSD a permis aux tierces personnes, recrutées dans l'entourage familial immédiat, de sortir de l'ombre : « 80 % sont, depuis, déclarées officiellement », se réjouit Nicole Cadrot. L'impact de cette prestation sur l'emploi étant non négligeable, la future aide personnalisée d'autonomie  (APA) inquiète paradoxalement les travailleurs sociaux. « Les services d'aide à domicile étant prioritaires pour intervenir, cela risque à la fois de casser les réseaux de solidarité et de supprimer des emplois en pénalisant les aidants naturels », souligne Lydia Balthaze, assistante sociale à la CGSS. « Face au manque cruel d'associations disposant de personnel qualifié pour intervenir au domicile », les personnes âgées devront demander expressément de maintenir leur aidant naturel auprès d'eux. Au risque de voir augmenter leur participation.

Certaines professionnelles intervenant à domicile sont parfois, aussi, rebutées par les conditions de vie précaires des personnes âgées (habitat hors normes, absence d'équipement ménager, etc.), par la distance et le manque de transports. De leur côté, les travailleurs sociaux regrettent qu'il puisse se passer plusieurs mois entre la décision d'attribution de l'aide-ménagère et son intervention. Mais un seul organisme - l'Association départementale d'aide aux personnes âgées - détient, avec le centre communal d'action sociale de Fort-de-France, le monopole des aides-ménagères sur l'île. « La couverture est suffisante, sauf sur le Nord-Atlantique », concède Charles Barclay qui juge inutile de multiplier les prestataires associatifs. « En Martinique, le développement des services se heurte à la capacité financière des bénéficiaires. Dès qu'on en crée, on est obligé de participer à leur développement », précise Louis Labonne, chef du service de l'aide sociale générale. C'est le cas d'ailleurs des associations mandataires qui n'ont pas percé, faute d'une clientèle peu solvable et d'un créneau occupé jusque-là par les familles.

Si l'on espère pourtant, sur le terrain, voir un jour se développer les services de base (accueil de jour, accueil temporaire, chèque emploi-service), les limites du maintien à domicile se heurtent à une spécificité antillaise : la vétusté et la précarité de l'habitat (6) surtout en milieu rural. Comment rendre des pièces accessibles alors qu'elles ont été rajoutées en dénivelé « au coup de main »   (7)  ? Comment faire une salle de bains ou poser un chauffe- eau si les personnes ne peuvent faire l'avance des fonds ? « Les aides à l'amélioration de l'habitat ne s'obtiennent que sur facture acquittée », explique Eliane Hamman. « Alors, soit on laisse tomber, soit les gens s'endettent, puis demandent des aides ; c'est un cercle vicieux. Et nous devons ruser sans être hors la loi. » Les cloisonnements entre services et le manque de partenariat ne sont pas sans inquiéter, par ailleurs, certains professionnels. Est-ce pour cette raison que d'aucuns espèrent tant dans la création d'un comité local de coordination gérontologique  (CLIC) à condition qu'il s'appuie sur l'existant ?

Au conseil général, on estime avoir donné un vrai coup de pouce au maintien à domicile en ayant installé gratuitement la téléassistance au domicile de 3 700 personnes âgées et lancé un service de portage de repas sur la commune du Lamentin. Une réponse trop timide pour certains travailleurs sociaux ou qui, au contraire, en laisse d'autres sceptiques. « Lorsque les personnes âgées sont très isolées, la présence d'une aide-ménagère est plus indiquée. Elle participe au maintien du lien social. » Sauf que le quota d'heures accordé par la caisse nationale d'assurance vieillesse en début d'année et attribué pour chaque GIR a phagocyté la majorité des heures disponibles. « On risque ainsi de privilégier la dépendance au détriment de la prévention », fait observer Patricia Chevon.

A l'évidence, la politique gérontologique va devoir trouver les leviers d'un équilibre subtil face aux multiples enjeux. « Le doublement des dépenses d'APA en 2002, qui devrait profiter à environ 3 300 personnes, va obliger les élus à faire des choix en recentrant les priorités », pronostique Charles Barclay qui voudrait aussi profiter de la réforme de la tarification pour recentrer la capacité d'accueil des établissements sur la dépendance. Si « le nombre de places est suffisant, ce que confirme le cabinet de consultants mandaté pour dresser un diagnostic de la situation, l'aide sociale doit désormais être réservée aux personnes âgées dépendantes (GIR 1 à 4) et non à celles qui peuvent vivre à domicile. Il faut que la solidarité familiale joue son rôle. » Un challenge inscrit au programme du deuxième schéma départemental, bouclé en février 2002, qui devrait également amorcer un rééquilibrage géographique délicat entre le nord, dépourvu de places, et le sud de  « l'île aux fleurs » qui concentre les accueils. Et prévoir de stimuler les aides au logement dans la logique, incontournable, d'une politique de maintien à domicile.

DES AUXILIAIRES D'ACCOMPAGNEMENT PSD

Devant l'impossibilité d'assurer un suivi de tous les bénéficiaires de la prestation spécifique dépendance  (PSD), le département a choisi de cibler ceux qui n'avaient pas déclaré leur aidant ou qui sont très isolés. Cette fonction a été confiée à quatre auxiliaires d'accompagnement recrutées sur des emplois-jeunes qui travaillent, elles aussi, en binôme, par mesure de sécurité. « Nous sommes chargées d'aider les personnes dans leurs démarches administratives », explique Catherina Sicot, l'une d'entre elles. Et de contrôler aussi l'effectivité de l'aide. « Au début, les gens qui se retrouvent employeurs de leur aidant ont du mal à établir une fiche de paie ou ont tendance à “oublier” de reverser les cotisations. On peut aussi les aider à rechercher une tierce personne. En cas de conflit familial ou avec l'aidant, on peut faire appel à l'équipe médico-sociale. » Compte tenu du nombre de personnes bénéficiaires de l'aide sociale et du faible niveau d'instruction de la population, le département encourage l'accompagnement des personnes âgées et handicapées. Par exemple, une cellule spécialisée au conseil général se charge d'aider les personnes les plus défavorisées à constituer leurs dossiers d'aide sociale, d'entrée en maison de retraite et s'occupe même de prospecter pour eux.

Dominique Lallemand

CHIFFRES CLÉ

 Aide sociale : 250 millions de francs

 Hébergement : 170 millions de francs

 PSD en 2001 : 100 millions de francs

 Montant moyen : 3 300 F

 Plus de 60 ans :63 300 

 Plus de 75 ans : 22 000

 Personnes prises en charge (8)  :

 1 100 en établissement

 1 300 bénéficiaires de l'aide ménagère

 2 300 bénéficiaires de la PSD

 250 en services de soins infirmiers à domicile

 140 en familles d'accueil

Notes

(1)  Disses : Centre administratif du département de la Martinique - Bd Chevalier-Sainte-Marthe - BP 679 - 97200 Fort-de-France cedex - Tél. 0596 55 27 11.

(2)  Selon la caisse générale de sécurité sociale, 60 % des retraités perçoivent le minimum vieillesse, soit environ 3 500 F.

(3)  Une prime à la vie chère majore de 40 % les traitements des fonctionnaires et de 20 % les salaires des personnels qui relèvent des conventions collectives de 1966 et 1951.

(4)  Le ratio global agent-lit est de 0,51 alors qu'en métropole, il s'élève à 0,35.

(5)  137 places actuellement.

(6)  Voir ASH n° 2237 du 16-11-01.

(7)  On rajoute des pièces en demandant un coup de main à la famille et aux voisins.

(8)  Hors prestataires libéraux.

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