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L'éducation familiale, une priorité dans la lutte contre les exclusions

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Le soutien à la parentalité et l'accompagnement éducatif des familles illustrent la façon dont les services sociaux martiniquais tentent de prévenir l'exclusion. A la mesure de leurs moyens.

« Les difficultés économiques de la Martinique  (1) sont certes cruciales mais ne doivent pas obérer ce qui est tout aussi fondamental pour le fonctionnement d'une société :l'éducation et la citoyenneté. Nous sommes très attentifs à l'éducation familiale et à l'accompagnement de la parentalité. Si nous voulons lutter contre l'exclusion et ses conséquences, c'est en menant des actions de prévention le plus en amont possible que nous pouvons espérer être utiles », assure, d'entrée de jeu, Jacques Mérida, chef du service de l'animation et de l'action sociale  (SAAS) à la direction des services sanitaires et sociaux (Disses). Sans pour autant minimiser l'ampleur de la tâche qui se révèle au quotidien plutôt rude. « Nous sommes sur le devant de la scène, surtout depuis la loi de lutte contre les exclusions, même si le secteur associatif commence à se mobiliser. »

Mais ladite loi, appréciée dans son principe, manque de pilote dans l'avion. « L'Etat n'a pas les moyens de sa politique », estime Jacques Mérida. Malgré l'établissement d'une convention et de la charte de la commission de l'action sociale d'urgence, celle-ci n'est toujours pas opérationnelle. Les demandes d'aide - notamment d'accès au logement -au Fonds de solidarité logement sont exponentielles :plus de 1 000 familles concernées en 2000. Il faudrait en revoir le fonctionnement, souligne-t-il.

Pourtant, la commune du Marin (8 600 habitants), au cœur de la circonscription sud-atlantique de Vauclin, pays maritime et rural, a mobilisé une équipe de travailleurs sociaux de différents organismes (Disses, caisse d'allocations familiales, commission locale d'insertion, Association pour le logement social, centres communaux d'action sociale [CCAS]) pour accompagner 48 familles auxquelles ont été attribués des logements locatifs très sociaux (LLTS)   (2) dans la résidence Garifuna, intégrée dans une nouvelle cité de 220 logements dans le quartier Montgérald. « Une commission préparatoire d'attribution, qui regroupe autour du CCAS de la commune les différents partenaires locaux dont les services sociaux, permet d'analyser et de “prioriser” les demandes, et même de défendre nos dossiers. Comme nous connaissons les familles, nous pouvons les suivre plus facilement, une fois le logement définitivement attribué par la commission d'admission, explique Marlène Ortole, assistante sociale de secteur et chef du projet. Ces familles présentaient un profil à risque : plus de 80 % vivaient de prestations familiales ou du RMI, une majorité de mères était seules avec enfant (s), la plupart ne payant ni loyer ni charges. Pour les aider à gérer un budget et à s'investir dans l'éducation de leurs enfants, nous avons donc mis en place un projet d'accompagnement social dans un but préventif. Il a démarré en septembre 2000. »

Avant leur entrée dans le logement, les travailleurs sociaux ont reçu individuellement les familles pour cerner leurs difficultés et envisager les prêts nécessaires pour équiper le logement. Ensuite, celles-ci ont été régulièrement réunies sur des thèmes précis tels que le contrat de location, l'allocation logement, le démarchage à domicile, le crédit à la consommation, etc. « On ne se contente pas de les informer mais on fait venir un agent du ou des services concernés pour traiter sur place leurs problèmes qui sont souvent identiques », rapporte Mira Banaré, conseillère en économie sociale et familiale à la CAF. « Et les gens apprennent ainsi à se connaître. Cela crée du lien et devrait faciliter leur intégration dans la cité. »

Avant la remise des clés, la totalité des locataires est présente aux réunions, mais leur nombre chute dès l'entrée dans les lieux, reconnaissent les travailleurs sociaux qui s'interrogent sur cette démobilisation. L'accompagnement se poursuit néanmoins, grâce à des visites à domicile. A l'issue de la synthèse qui réunit les professionnels, « nous ciblons les actions à mettre en place : s'il y a,  par exemple, un problème d'entretien du logement, on demande le concours d'une travailleuse familiale », précise Céline Casimir, intervenante de l'Association pour le logement social. Cet accompagnement collectif n'empêche pas, en parallèle, un suivi individuel, si nécessaire, qui est lui-même facilité par cette mise en commun des compétences et apprécié des institutions partenaires : la CAF, qui a fait du logement une priorité, finance les LLTS et juge positive l'ouverture à des partenaires associatifs ; les bailleurs qui, via l'allocation de logement sociale, voient les impayés diminuer ; l'Agence départementale d'insertion, qui essaie de favoriser l'entrée de titulaires du RMI en LLTS (qu'elle finance aussi) tout en s'interrogeant néanmoins sur les risques de « ghettoïsation » d'une telle opération. Quant au département, il pousserait volontiers au développement de telles actions d'intérêt collectif, encore trop embryonnaires. « Mais on manque de moyens », avoue Danielle Charlery, conseillère technique adjointe à la Disses. « De plus, l'organisation actuelle des services départementaux ne s'y prête guère. Il faudrait la rénover », ajoute Jacques Mérida.

CHIFFRES CLÉ

 Aides attribuées par le conseil général via le service social :

  Secours exceptionnels du conseil général  : 1 750 000 F (3 000 F en moyenne).

  Fonds de solidarité logement  : 4,1 millions de francs.

  Allocations mensuelles  (aide sociale à l'enfance)  : 4 330 000 F.

Ce qui n'a pas empêché Chantal Adréa, assistante sociale de secteur à la circonscription de Fort-de-France, de mettre en place, avec les puéricultrices et les sages-femmes de la protection maternelle et infantile  (PMI), des ateliers de développement de la compétence parentale, en 1993 et 1996. A l'origine, les difficultés éducatives entachant le lien mère-enfant repérées dans la population accompagnée par les deux services et une formation suivie au Québec, qu'elle adaptera en Martinique avec la collaboration du centre de psycho-éducation de l'université du Québec. « Notre but est d'amener les mères à comprendre et à découvrir le développement de leur enfant et de préparer celui-ci à l'entrée en maternelle. Les ateliers se déroulent sur 12 sessions de deux heures sur des thèmes comme le corps, l'hygiène, la période du “non” de l'enfant... Ils reposent “sur de l'entraînement plus que sur du discours” à travers le bricolage, les jeux, des pauses santé et tendresse, le rangement, etc. » Les ateliers sont couplés à des visites à domicile pour observer le comportement de l'enfant dans son environnement et rassurer la mère sur ses capacités. Une douzaine de parents et d'enfants ont bénéficié, lors de chaque atelier, de cette initiative, soutenue par le conseil général, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, la ville et des associations locales.

Les effets ? « Les mères s'intéressent davantage aux progrès de l'enfant ; elles ont moins l'impression de perdre leur temps en sa compagnie », remarque Chantal Adréa qui regrette l'absence d'une véritable évaluation. Pourtant, l'action a été reprise en 1998 et en 2000 par les équipes de PMI des circonscriptions I de Fort-de-France et de Sud- Caraïbes, avec le seul soutien du conseil général, en direction, cette fois-ci, des très jeunes femmes enceintes, issues de milieu défavorisé. « Le nombre de grossesses chez les moins de 20 ans est quatre fois plus élevé qu'en métropole, indique Jang-Ting, médecin responsable de la PMI de Sud-Caraïbes. A court terme, on espère, sur le plan médical, réduire les risques de prématurité et d'hypotrophie. Et, sur le plan social, créer un lien entre la PMI et les parents et susciter l'attachement à l'enfant. » Puis, avec le temps, aider ces très jeunes parents- âgés en moyenne de 18 ans - à « rentrer dans la peau de leur rôle ».

Une façon aussi de tenter de mobiliser les futurs pères, peu enclins à se sentir spontanément investis. Et qui continuent, comme le voulait la tradition esclavagiste (3), « d'être considérés et de se comporter comme des étalons. Les femmes disent souvent qu'elles n'ont pas besoin de père. Il y a un travail culturel à faire »,

relève l'une des sages- femmes, Marie-Léonard Villette. Difficile pourtant d'attirer la vingtaine de recrues, en majorité seules ou sans partenaire stable, qui ont finalement accepté la contrainte, grâce notam- ment à un support ludique - le Journal de ma grossesse  - simple et abondamment illustré, composé d'une partie informative sous forme de devinettes et d'une partie plus personnelle prenant l'aspect d'un journal intime. Pour coller à leur public, l'équipe a choisi d'utiliser une pédagogie très active, plaçant les jeunes femmes dans des situations virtuelles qui les obligent à conseiller plus qu'à être conseillées. « Les jeux sont utilisés sous diverses formes. On bricole aussi un objet pour la chambre du bébé ; on essaie de les rendre actives tout en les amenant à se préparer psychologiquement à l'arrivée de l'enfant. » Pour revaloriser le rôle d'accompagnement des grands-parents, en particulier des grands-mères dont elles avaient observé le détachement depuis l'annonce de la grossesse de leur fille, les équipes ont organisé un atelier « Rencontre avec les futurs grands-parents ». Lequel a permis parfois à certaines femmes de renouer ou d'amorcer d'autres types de rapports avec leurs parents. D'une façon générale, « nous nous sommes rendu compte que la plupart avaient modifié leur façon de voir et de vivre leur grossesse dans leur relation à leur bébé, leurs habitudes alimentaires, etc. », observe Marie-Léonard Villette. En tout cas, ce résultat a convaincu le conseil général d'étendre ces ateliers pré-natals à l'ensemble des circonscriptions, en s'appuyant sur des personnels volontaires qu'il faudra former et dégager d'autres tâches. Pas simple lorsque l'on connaît l'engorgement du travail social de secteur.

Modeste, ce type d'action constitue néanmoins une piste de travail qui correspond à la nécessité d'une prévention très précoce. Il s'inscrit dans le droit-fil des orientations de Ségolène Royal concernant l'accompagnement de la parentalité, dit-on fièrement au SAAS.

D. L.

« VOIR MAMAN SE LEVER LE MATIN »

« On voulait trouver un prétexte pour que les mères de famille les plus isolées sortent de chez elles et qu'enfin les enfants voient maman se lever le matin. La plupart d'entre eux ont l'impression qu'elle gagne de l'argent (prestations ou RMI) sans être jamais fatiguée ! », commente Monique Elie, assistante sociale au secteur rural de Gros-Morne, sur la côte atlantique de l'île. Avec ses collègues du CCAS et de la CAF, elle a lancé en 1996 un atelier d'éducation familiale et sociale devenu, depuis, un volet du contrat enfance de la commune. Pour pallier « l'inertie parentale » dans nombre de domaines (éducation, cuisine, gestion du budget, etc.), les ateliers qui regroupent régulièrement une quinzaine de femmes de la commune tentent à travers des activités cuisine et couture, de les redynamiser. « On essaie de partir de ce qu'elles savent faire, explique Marie Louemba, conseillère en économie sociale et familiale. Par exemple, utiliser les légumes de leur petit jardin et les accommoder différemment pour leur donner un air de fête, ou confectionner des vêtements pour elles et les enfants. » Un support efficace pour favoriser les échanges et « faire passer des messages ». En allant les voir à l'atelier, « je peux travailler avec elles sur leurs difficultés quotidiennes », assure Monique Elie. « On les voit évoluer : cinq ont trouvé une activité salariée, une est en formation, trois ont quitté leur logement vétuste pour une HLM et une autre, battue régulièrement par son mari, a décidé de le quitter. »

Notes

(1)  Voir le premier volet de l'enquête des ASH aux Antilles. « Spécial DOM : l'action sociale acculée »,  n° 2237 du 16-11-01.

(2)  Produit spécifiquement martiniquais à l'origine, le LLTS est à peu près l'équivalent des prêts locatifs aidés insertion en métropole. Pour ces familles très démunies, le loyer résiduel varie de 200 F à 500 F/mois.

(3)  Envoyés travailler par leur maître d'une plantation à l'autre, les esclaves créoles avaient tendance à se comporter envers les femmes comme des « reproducteurs » de passage.

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