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Guadeloupe : le casse-tête de l'habitat social

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Près de 50 000 logements sont précaires, insalubres ou manquent à l'appel. A Baillif, près de Basse Terre, les logements évolutifs sociaux demandent un accompagnement social structuré. A Boissard (Pointe-à-Pitre), les professionnels interviennent au cœur de la plus importante opération française de résorption de l'habitat insalubre.

Christian Célestine campe le décor : « 20 000 logements doivent faire l'objet d'opérations de résorption de l'habitat insalubre  (RHI), 10 000 autres dans l'habitat diffus auxquels il faut ajouter un déficit de 16 000 logements. Pour régler cette crise d'ici à 15 ans, il nous faut produire environ 7 000 logements neufs par an dont près de 3 000 logements sociaux, compte tenu de la pauvreté de la population. Nous y arrivons à peu près aujourd'hui. » Selon le responsable de la sous- direction de l'habitat et du logement social, récemment créée au sein de la direction des actions de solidarité départementale  (DASD)   (1), « devant l'ampleur des problèmes, la collectivité départementale doit s'investir dans le logement social en direction des personnes défavorisées. Même si celui-ci relève en priorité de l'Etat, ce dernier dépend de ses partenaires pour agir »   (2).

Depuis la loi Besson, le conseil général a dépensé environ 30 millions de francs par an dans le cadre du plan départemental, passés à 8,5 millions de francs depuis 1996, quand il a dû verser une partie de ses crédits à l'agence départementale d'insertion  (ADI). Laquelle investissait en quelque sorte indirectement pour son compte. Changement de cap à prévoir puisque l'agence doit désormais se recentrer sur le logement des seuls titulaires du revenu minimum d'insertion  (RMI). Ce qui oblige le département à remettre à plat sa politique (3).

Le visiteur mesure dès son arrivée la vétusté et l'insalubrité de logements qui ne sont pas implantés seulement dans les lieux les plus reculés de Grande Terre, ni dans les villages proches de la forêt tropicale de Basse Terre : la restructuration des centres bourgs est notamment l'un des chantiers prioritaires du département. « Il faut tenir compte des risques naturels majeurs qui exigent le respect de normes de sécurité particulières et de la frilosité des collectivités locales financièrement dans le rouge. Il est vrai que celles-ci sont très sollicitées, car les besoins sont énormes : électrification, canalisations, routes, traitement social du chômage, etc. », convient Max Théodore, directeur adjoint de la DASD.

Ce n'est pas tout. La recherche d'emploi, l'exode rural ont, pendant des années, conduit de nombreux habitants à transporter leurs cases à la périphérie des villes, en louant un bout de terrain. Au fil des années, ils ont « durcifié » leur habitation « au coup de main »   (4) et se sont appropriés le terrain, sans autorisation. Ces constructions se sont faites de façon anarchique, tant sur le littoral que dans des zones marécageuses, vite devenues insalubres. « La situation du foncier est un véritable imbroglio que les pouvoirs publics tentent de résoudre », commente France Lise Corvo, responsable de la circonscription de Basse Terre. De plus, la propriété étant souvent indivise sur plusieurs générations, il est très difficile de retrouver les propriétaires, donc d'entretenir le bâti et, en conséquence, d'obtenir des aides publiques. « L'île n'étant pas extensible, les Guadeloupéens vont devoir apprendre à vivre en logement collectif », pronostique sans mal Christian Célestine. « On a vraiment besoin des travailleurs sociaux pour accompagner ce changement culturel. »

Des logements  évolutifs sociaux controversés

Dans le bourg de Baillif (5 000 habitants), qui jouxte Basse Terre, 195 familles ont été relogées, à la suite de l'ouragan Maryline en 1995, dans le cadre d'un programme comptant une centaine de logements évolutifs sociaux (5), considérés par les techniciens eux-mêmes comme un produit au rabais, étant donné la qualité des matériaux et la dimension réduite des surfaces. Pour aider une quinzaine de retraités à achever leur logement, la SEMAG (6), opérateur chargé de l'aménagement du site, a mis en place avec l'ADI un chantier d'insertion avec des titulaires du RMI du quartier moyennant une convention avec la caisse de sécurité sociale. « Une solution qui a pallié, au moins partiellement, le refus des banques d'accorder aux personnes âgées un prêt complémentaire pour finir leur logement », souligne Christian Célestine. Pour d'autres familles, c'est tout simplement le paiement des échéances qui pose problème. Une fois le logement attribué et le montage financier réalisé, l'apport personnel s'élève à 15 000 F. « Si la famille ne respecte pas son échéancier de versements, nous sommes bien obligés de nous tourner vers les “partenaires” sociaux , comme le service social de secteur », indique Jean- Claude Carien, chargé du programme à la SEMAG. Les professionnels n'ont pas forcément la même approche. « Les gens croient que cet apport correspond au prix d'achat de leur logement alors qu'il va en réalité leur coûter 500 000 F. La SEMAG doit les informer avant de le leur livrer », s'irrite Jacqueline Gaspard, assistante sociale au centre communal d'action sociale de Baillif. « Nous avons fait des réunions d'information mais les gens profitent du système. Ils préfèrent changer un carrelage neuf qui ne leur plaît pas au lieu de régler leurs traites ! », rétorque Jean-Claude Carien.

Près de la moitié des familles n'avaient pas encore, début octobre, payé leur dû. « Trop souvent, celles qui sont dans des situations sociales inextricables flambent les aides reçues et sont prises au piège du surendettement », confirme France Lise Corvo. Ce qui conduit parfois les professionnels à chercher des moyens contestables pour les aider à en sortir. Comme l'utilisation des aides financières de l'aide sociale à l'enfance pour faire face à une entrée en logement évolutif social. « Beaucoup refusent de payer l'électricité dans leur nouveau logement sous prétexte qu'avant, n'ayant pas de compteur à leur nom, c'était gratuit, explique Marie-Eve Arnaud, assistante sociale à la caisse générale de sécurité sociale. Il faut que les gens fassent un effort ! » « Il ne faut pas généraliser, nuance Dany Houblon, assistante sociale sur le secteur de Baillif. Ce sont quand même en grande majorité des familles en difficulté économique auprès desquelles il y a, en effet, un travail éducatif important à faire. » Chacun de se renvoyer la balle : « Nous ne sommes pas chargés de l'accompagnement social des familles lorsqu'elles sont dans les lieux », avance Jean-Claude Carien. Entre toutes les institutions qui font de l'accompagnement social, on ne sait plus qui fait quoi ! » Ce que reconnaissent les professionnels, qui regrettent le manque de partenariat avec l'opérateur.

Pourtant, ce dernier avait installé un comité de suivi social, dès le départ, pour impliquer la population et les professionnels dans l'implantation d'équipements de proximité et la finition des espaces collectifs (clôtures, etc.). Une initiative sans suite, faute d'objectifs communs. « Rien n'est perdu », estime Jean-Claude Carien, qui propose de relancer le comité sur d'autres bases.

Une opération  de résorption magistrale

« Boissard est réputé dans toute la Caraïbe », plaisante Patrick Weirback, chef de projet à la SEMAG. En 30 ans, ce quartier, prisé par la bourgeoisie pointoise, est devenu un ghetto et le foyer de tous les trafics. Délimité par la rocade de Pointe-à-Pitre et le bourg des Abymes, il abritait à l'époque 1 700 ménages (5 300 personnes ) dans des conditions d'insalubrité extrêmes - logements en bois, absence de sanitaires, d'eau potable, de réseau routier, enchevêtrement des cases générant une forte promiscuité - qui n'ont pas toutes encore disparues. Des familles à dominante immigrée d'Haïti et de Saint-Domingue, vivant toujours de prestations sociales et du RMI, y ont transposé un mode vie rural (petits élevages de porcs ou de cabris, cuisine à l'extérieur de la case...).

En 1988, démarre la plus importante opération de résorption de l'insalubrité de France sous la forme d'un projet urbain qui doit restructurer l'environnement en traitant à la fois le développement social et économique. En clair, démolir l'habitat traditionnel et reconstruire 3 000 logements neufs dont la moitié sont achevés ou en cours.10 % de la population a été délocalisée, notamment à Caduc. Mais on a investi dans la qualité des matériaux, mixé collectif et maisons individuelles et conçu le bâti, en empruntant, selon les dires des promoteurs, à l'architecture créole. Ce vaste programme réunit tous les financeurs, opérateurs et institutions à des degrés divers (7). Très lourd à gérer, il a nécessité la mise en place d'une équipe opérationnelle, l'aide d'une conseillère sociale au sein de la SEMAG et des travailleurs sociaux des diverses institutions pour garantir la faisabilité du plan de relogement. Témoins du passé, confrontés au présent, ces derniers s'interrogent. « Souvent les personnes âgées ne veulent pas être relogées. Elles ont peur de ne pouvoir payer et tiennent à leur mode de vie. On les force à en changer, mais doit-on faire leur bien contre leur gré ? En même temps, on ne peut laisser des gens vivre dans des bidonvilles... », se demande Josèphe Treil, assistante sociale de secteur. « Paradoxalement, il y avait tout de même une certaine forme d'hygiène dans les cases. Les gens ont perdu leurs repères lorsqu'ils se sont retrouvés en collectif, note Martine Nanette, sa collègue. Mais dans l'ensemble, la population est satisfaite. »

Néanmoins, la mixité sociale n'a pas atteint son but. Les personnes qui travaillent s'en vont du quartier qui garde une image de ghetto. Ce n'est pas faute pourtant d'avoir consenti des efforts pour attirer des investisseurs privés. Malgré l'inscription de Boissard en zone franche urbaine, seuls de petits artisans ont pu régulariser leur situation. Quelques notables ou commerces se sont implantés pour bénéficier des avantages fiscaux, mais la création d'emplois n'a pas profité directement à la population du quartier. L'installation récente d'activités commerciales dans un nouvel immeuble redonne pourtant de l'espoir.

Pour renforcer l'accompagnement social mené par la CAF et le secteur, la SEMAG fait appel à l'Association guadeloupéenne du logement social créée par les bailleurs sociaux et financée par le Fonds de solidarité pour le logement. Et depuis peu à des conseillères en économie sociale et familiale. « Mais on manque de coordination », reconnaît Patrick Weirback. Pas simple lorsqu'il faut, en outre, s'articuler avec les acteurs de contrat de ville des Abymes si l'on veut améliorer les équipements. « Il y a eu un volant d'actions spécifiques à Boissard dans le contrat de ville. Mais depuis cinq ans, il s'agit d'actions thématiques qui ne touchent pas forcément le quartier. »

Le dernier « décasement » sera effectué en 2006 et l'opération achevée en 2008. Pour un coût de un milliard de francs sur 20 ans ! La ville a fait, dit-on, un choix difficile : celui de la qualité et de la durée.

D.L.

LES AIDES DU DÉPARTEMENT À LA CONSTRUCTION DE LOGEMENTS SOCIAUX

 Aides à la construction de logements évolutifs sociaux (plus de 2 000 familles concernées pour 100 millions de francs entre 1991 et 1999) et de logements locatifs très sociaux.

 Aides d'urgence à l'amélioration de l'habitat : environ 20 000 F par famille depuis 1999.

 Participation au fonds de garantie de l'habitat social.

 Garanties d'emprunts accordés aux bailleurs sociaux.

Notes

(1)  DASD : rue Lardenoy - 97100 Basse Terre - Guadeloupe FWI - Tél . 0590 99 76 80.

(2)  Les dépenses de l'Etat concernant le logement social s'élèvent à 400 millions de francs environ ; celles du département se montent pour 2001, à 10,5 millions de francs. Le Fonds de solidarité pour le logement, abondé pour moitié par le département et l'Etat, atteint plus de 5 millions de francs dont 300 000 F versés par la caisse d'allocations familiales.

(3)  Un rapport sur la politique du conseil général dresse l'état des lieux et propose des orientations pour la prochaine décennie

(4)  On rajoute des pièces en demandant un coup de main à la famille ou aux voisins.

(5)  Produit d'accession destiné à des personnes à faibles ressources. Ce logement est non fini (pas de cloisons...), le futur propriétaire s'engageant à faire les travaux.

(6)  Bailleur social ayant le statut de société d'économie mixte.

(7)  Région, direction départementale de l'équipement, ville des Abymes, conseil général, bailleur social, CAF, agence départementale d'insertion.

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