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« Contre les incivilités, une plus grande reconnaissance des particularismes »

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La question des « incivilités », atteintes diverses aux règles de la vie en société, considérées en général comme le terreau du développement de la violence et de la délinquance, a émergé dans le débat public en France dans les années 90. Un colloque au Palais du Luxembourg, organisé le 6 décembre à l'initiative de Jean-Louis Lorrain, sénateur du Haut-Rhin, leur était consacré. Quelles en sont les racines ? Eléments de réponse avec le sociologue Michel Wieviorka (1), l'un des intervenants.
Peut-on s'entendre sur une définition des incivilités ?

Si l'on s'en tient à leur aspect juridique, on rencontre déjà un problème, car les incivilités peuvent, pour certaines, être comptabilisées dans les actes de délinquance, mais ce n'est pas toujours le cas. Quelques jeunes qui chahutent dans un bus et mettent les pieds sur les sièges, c'est une incivilité, mais ce n'est pas passible des tribunaux, au contraire, par exemple, de la destruction de mobilier urbain. De plus, la notion d'incivilité est hautement subjective. Ce qui vous semble, à vous, une incivilité n'en sera pas une pour moi. Ce qui vous semble aujourd'hui une incivilité n'en paraîtra plus une demain. En fonction du temps, de l'espace, du groupe social auquel on appartient..., la perception varie considérablement. En outre, ce que l'on tolère chez certaines personnes, on ne le tolérera pas chez d'autres. Cette relativité est d'ailleurs propre à toute violence : quand José Bové démonte un restaurant McDonald's à Millau, certains considèrent que c'est un acte de violence, d'autres non. Du fait de ces raisons multiples, il paraît difficile de trouver une définition acceptable pour tout le monde. Elle est perpétuellement en débat.

Pourquoi les incivilités occupent-elles une place croissante dans les préoccupations des Français ?

Il existe, dans la société française, un très vif sentiment de menace, dû à la mondialisation, à la construction européenne, au chômage, à l'exclusion... Dès lors, on cherche à donner un contenu concret à cette menace, à l'imputer à quelque chose ou à quelqu'un, au plus près de son expérience vécue.

Où trouvent-elles leur origine ?

L'un des fondements les plus importants est à rechercher dans la crise des institutions républicaines. « Liberté, égalité, fraternité » est une devise superbe. Mais si au quotidien on ne rencontre que du racisme, on peut légitimement penser que la République ne tient pas ses promesses. En outre, il n'y a pas assez de respect des identités, des particularismes des individus et des groupes. Il ne suffit pas de dire : « Rentrez, rentrez dans la société »... Le modèle d'intégration « à la française » est en crise, et à mon sens, on ne peut même plus, aujourd'hui, parler d'intégration. Cette reconnaissance des individus et des groupes ne passe pas par moins de conflits, mais par plus de conflits. Notre société n'est pas structurée par les relations conflictuelles. C'est regrettable, car il faut au contraire institutionnaliser les points de vue opposés, encourager les associations à se constituer... et ne pas se plaindre si elles revendiquent et sont actives.

Peut-on aussi imputer les incivilités à la désertion de l'espace public par les adultes ?

Cela supposerait qu'elles soient exclusivement le fait des jeunes, ce qui n'est pas le cas. Cela dit, d'une façon générale, en France, les jeunes ne sont pas assez aimés, pas assez écoutés, pas assez reconnus. On ne leur fait pas confiance. C'est un vrai problème :on constate un véritable égoïsme des adultes. Bien plus que dans d'autres pays. Une de mes étudiantes qui a mené une étude comparative sur la délinquance juvénile dans deux quartiers des banlieues de Lyon et de Milan relevait très justement : « En France, on dit que les jeunes “sont” un problème ; en Italie, on dit les jeunes “ont” un problème »... Propos recueillis par Céline Gargoly

Notes

(1)  Michel Wieviorka est l'auteur, notamment de Violence en France (Ed. Seuil - 1999) et dirige le Centre d'analyse et d'intervention sociologiques à l'Ecole des hautes études en sciences sociales - EHESS : 54, boulevard Raspail - 75006 Paris - Tél. 01 49 54 25 25.

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