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Le parrainage, un outil de prévention ?

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S'il existe depuis plus de 20 ans, le parrainage est méconnu et suscite une certaine méfiance chez bon nombre de professionnels. Les conclusions du groupe de travail mis en place en septembre par Ségolène Royal, qui seront connues dans les jours prochains, devraient permettre de clarifier cette pratique.

« Le parrainage n'est pas un placement au rabais. Si la société s'occupait un peu plus des enfants des autres, il n'y aurait pas besoin de placement. » D'emblée, Lise-Marie Schaffauser met les choses au point. Juriste de formation, elle est présidente d'une association, le Comité de parrainage 17 (1). Elle est également membre du groupe de travail sur le parrainage mis en place le 6 septembre par Ségolène Royal afin d'établir un état des lieux des pratiques existantes (2).

Même si le parrainage existe depuis plus de 20 ans, la réticence à son égard persiste. « La méfiance, de la part de certains travailleurs sociaux, est toujours là, reconnaît Jean- Pierre Wetzel, bénévole à l'Association d'accueils et de parrainages d'enfants (3) et directeur d'une maison d'enfants à caractère social. Parce qu'il s'agit de bénévoles. Et parce que notre travail était un peu du bricolage, même si nous n'aimons pas ce terme. Mais il faut peut-être aussi faire confiance à ces personnes qui ont décidé d'aider. » « Nous souffrons d'une représentation qui vient des années 70, avec la circulaire Veil (4), qui le place dans le cadre de la suppléance parentale », analyse Lise-Marie Schaffauser. Ces textes, mais aussi certaines pratiques, ont sans doute participé à créer la confusion. « Le parrainage tel que le voulait Simone Veil se heurtait de plein fouet à quelque chose d'organisé. C'était presque faire injure aux services sociaux, leur dire qu'ils faisaient mal leur travail », ajoute Antoine Rebelo, cofondateur, avec son épouse Janine, de « Un enfant, une famille »   (5).

L'action de cette association a commencé il y a plus de 20 ans, en réponse à la sollicitation d'un établissement recevant des enfants placés par l'aide sociale à l'enfance  (ASE). Ils ne sortaient jamais le week-end, n'ayant plus de contact avec leur famille. « Les travailleurs sociaux de cet établissement avaient compris que, dans l'intérêt des enfants, il fallait qu'ils voient autre chose. Le parrainage était alors considéré comme complémentaire au travail social », explique Antoine Rebelo.

Aujourd'hui encore, les deux tiers des enfants parrainés par l'association relèvent de l'ASE ou de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). L'autre tiers est issu des relations de gré à gré : les enfants sont parrainés à la demande des familles - le plus souvent par l'intermédiaire d'un travailleur social (assistante sociale scolaire, d'entreprise, de secteur ou d'hôpital).

Le fonctionnement est, dans ses grandes lignes, toujours le même. Dans le cas d'un enfant placé en établissement, l'association prend connaissance de sa problématique et lui cherche un foyer parrain adapté. Suit une série de rencontres progressives entre les familles, les enfants, les membres de l'association et les travailleurs sociaux. L'enfant sera ensuite accueilli le week-end et une partie des vacances par ses parrains, parfois, à plein temps ; dans ce cas, même si l'action reste bénévole, les familles reçoivent une aide sous forme d'une participation aux frais.

Accueillir à la carte

Mais il peut aussi s'agir d'un enfant qui vit dans sa famille (parents isolés, en grande difficulté, malades, hospitalisés...), et qui est accueilli à la carte par ses parrains, tout en gardant toujours le contact avec ses parents. « Pour les travailleurs sociaux en milieu ouvert, affirme Jean- Pierre Wetzel, c'est une solution qui permet de dépanner dans certains cas. Sans procédure particulière, on fait tout simplement appel à la solidarité entre deux familles. Dans le cas d'enfants placés en institution, l'équipe éducative se prononce sur la nécessité d'un parrainage, définit le profil de la famille et fait appel à l'association avec l'accord de l'ASE. C'est un choix d'équipe à faire, dans la mesure où il ne faut surtout pas multiplier les échecs, changer de famille tous les trois mois parce que ça ne marche pas. » En relation avec les services concernés le cas échéant, une convention est établie entre les différentes parties (enfant, famille, famille de parrainage), qui définit les droits et les devoirs de chacun. Elle est spécifique à chaque situation.

Certaines associations œuvrent ainsi main dans la main avec les travailleurs sociaux. Ceux-ci les sollicitent lorsqu'ils sentent qu'un parrainage peut être une aide occasionnelle pour l'enfant, ou quand les parents ne veulent pas avoir affaire à l'ASE. « L'intérêt du parrainage pour un jeune placé en institution, c'est de savoir comment fonctionne une famille “normale”. C'est un lieu neutre, où il peut se confier en sachant que ce qu'il dit ne sera pas récupéré, mais restera dans ce jardin secret », explique Jean-Pierre Wetzel. « Et l'expérience du parrainage lui permet d'accéder à une certaine autonomie ; il se rend compte qu'il n'aura pas toujours derrière lui un éducateur. »

Mais cette pratique a ses limites : si l'enfant décide de ne plus venir, tout est remis en cause. « La porte reste toujours ouverte », précise Antoine Rebelo. Sauf que, remarque cette assistante sociale d'une structure d'accueil des Orphelins Apprentis d'Auteuil, « une famille parrainante peut également à tout moment remettre en question l'accueil d'un jeune, et on se retrouve dans une impasse. Même si le parrainage est pour nous un plus dans la mesure où un jeune peut être accueilli à la carte. Ce que les assistantes maternelles ne peuvent faire, parce que ce n'est pas leur rôle. » Quant au suivi éducatif lourd, ce n'est pas non plus le créneau de ces associations. Chacun sa sphère d'action, disent-elles, refusant toute concurrence et toute confusion avec le travail social.

Où réside la différence essentielle ? « Dans l'attachement entre l'enfant et la famille », répond Janine Rebelo. Pour nombre de responsables d'associations, ce rapport affectif est la raison d'être du parrainage. Une relation qui, par définition, ne peut s'imposer à personne. « C'est un lien qui se crée. Qu'est-ce qu'un parrain a à apporter à un enfant ? De l'amour, point final. Pour nous, aucune structure institutionnelle ne peut apporter cela. Et ce n'est pas son rôle », affirme Catherine Enjolet, présidente de Parrains par mille (6). Conclusion : l'action

des associations de parrainage se situe en amont, dans une pratique complémentaire au travail social pour certains, dans un tout autre domaine pour d'autres.

Dans les faits, la pratique a évolué vers l'aide à la parentalité. Elle consti- tue une réponse à l'isolement des mères, un travail sur le lien parent/enfant, dans le cadre duquel le parrain a pour rôle d'aider l'enfant à faire avec sa famille, avec la réalité qui est la sienne. Sans avoir aucun droit sur lui, ni aucun jugement à porter.

« Il s'agit de tisser un réseau affectif autour de l'enfant, pour lui permettre de s'ouvrir au monde, de l'accompagner dans son éducation et son développement, dans une relation fondée sur la confiance », définit Catherine Brochard, responsable de la section parrainage de « Enfance et famille adoption » dans la Gironde (7). « Nous voulons vraiment nous inscrire dans la prévention, insiste Catherine Enjolet , et laisser aux travailleurs sociaux leurs compétences, sans empiéter sur leur domaine. » Elle défend un « parrainage libre », visant à créer des liens et à responsabiliser chacun. « L'idée est que, partout en France, un enfant qui a besoin d'exister pour un adulte puisse trouver cette personne. Avant que tout ne se dégrade, que ça tourne mal pour l'enfant, voir si nous, citoyens, n'avons pas un rôle à jouer. » D'autres formes de parrainage sont ainsi évoquées, qui consistent avant tout à recréer un réseau de solidarité autour de la famille et de l'enfant, en réimpliquant l'environnement (amis, voisins...) dans l'éducation de ce dernier. Même lorsqu'il n'est pas en difficulté. « C'est comme si on redécouvrait une pratique qui a toujours existé. En Afrique, par exemple, il faut un village pour élever un enfant », observe Lise-Marie Schaffauser.

Faire (re) connaître le parrainage

Convaincues que leur démarche citoyenne est utile, les associations aspirent aujourd'hui à la reconnaissance. « Quand un parrainage est mis en place, soutient la présidente du Comité de parrainage 17, les liens créés doivent être respectés par tous, et ce n'est pas toujours le cas. » « On a trop souvent considéré que le parrainage était là pour boucher les trous du système. C'est une vision étriquée », estime pour sa part Antoine Rebello, même s'il reconnaît que son association a longtemps été « à la remorque » des services sociaux. C'est avant tout une clarification qu'attendent les associations des travaux du groupe de travail mis en place par Ségolène Royal. Même si certaines expriment quelques réserves. « Actuellement, le parrainage se développe : c'est très bien, mais les décideurs n'ont pas permis aux associations de se développer par rapport à la demande », regrette Catherine Enjolet, qui plaide, avec d'autres, pour un vrai partenariat entre citoyens et pouvoirs publics, sous forme notamment d'une aide au fonctionnement.

Reste que ce n'est pas en développant le parrainage qu'on résoudra les problèmes de fond du manque de moyens des services de l'aide sociale à l'enfance. Et l'on peut comprendre l'irritation de certains professionnels, comme la Fédération des personnels des services des personnels des départements et des régions CGT-FO, de voir encourager cette forme d'accueil bénévole, même si elle a son utilité. Alors que « les services de l'ASE n'ont plus les moyens de traiter les cas pathologiques ou d'aider les enfants à comportement difficile » avec « des listes d'attente qui s'allongent pour la prise en charge médico-éducative »   (8).

LE PARRAINAGE, UNE NOTION MULTIPLE

Qu'est-ce que le parrainage ? Sa définition n'est pas unique, et ses pratiques sont diverses. La tâche du groupe de travail qui s'est réuni sur la question a notamment consisté à tenter de clarifier cette notion. Les différents participants, parmi lesquels les représentants d'une dizaine d'associations de parrainage, se sont accordés sur trois points communs à toutes leurs pratiques, aussi variées soient-elles : volontariat, bénévolat, souplesse. Le principe : une famille accueille, de façon bénévole, à temps partiel - mais parfois à temps plein - un enfant ou un adolescent. Celui-ci peut relever de l'aide sociale à l'enfance, être placé ou non en établissement, mais il peut aussi bénéficier d'un parrainage à la demande de sa propre famille, de gré à gré. Dans tous les cas, le parrainage se fait avec l'accord de toutes les parties. Il est, selon Pierre Verdier, directeur de la La Vie au grand air, « une attention portée à l'enfant »  : une attention, parce que le parrain n'a pas la responsabilité permanente de l'enfant, parce qu'il l'accueille bénévolement, et parce que, en la lui accordant, il s'engage dans la durée.

 Sandrine Pageau

Notes

(1)  Comité de parrainage 17 : 32, rue Charles-de- Gaulle - 17800 Pons - Tél. 05 46 90 45 83 - Site : www.cp17.fr.fm.

(2)  Voir ASH n° 2228 du 14-09-01.

(3)  Association d'accueils et de parrainages d'enfants - Maison de la famille : 1, avenue Leclerc-de-Hauteclocque - 57000 Metz - Tél. 03 87 50 61 46.

(4)  Circulaire ministérielle n° 30 du 30 juin 1978, qui définit pour la première fois la nature du parrainage et ses implications administratives.

(5)  Un enfant, une famille : 110, rue de Fleury - 92140 Clamart - Tél. 01 46 42 12 18 - Site : www.unenfantunefamille.free.fr.

(6)  Parrains par mille : 25, rue Mouffetard - 75005 Paris - Tél. 01 43 31 11 12.

(7)  Enfance et famille d'adoption 33 - Section parrainage : 2, rue Paul-Bert - 33000 Bordeaux - Tél. 05 56 44 61 48.

(8)  Voir ASH n°2219 du 15-06-01.

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