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Economie sociale et solidaire : la future loi-cadre doit-elle tout (en) cadrer ?

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L e projet de loi, qui devrait être soumis au conseil des ministres en décembre par le secrétaire d'Etat à l'économie solidaire, risque d'imposer une logique de régulation du secteur par l'Etat, déplore Jean-Luc Charlot, de la mission locale de l'agglomération caennaise. Il plaide plutôt pour « la mise en œuvre de dispositifs locaux, où producteurs et usagers décident ensemble de ce qui est socialement utile ».

« La future loi-cadre sur l'économie sociale et solidaire est en gestation (1). Nombre d'acteurs de ce “champ spécifique”, ses militants bénévoles et professionnels, se réjouissent, à juste titre, de cette reconnaissance institutionnelle de leurs activités.

Pourtant, un peu curieusement, comme si ces acteurs, un peu harassés par plus de 20 années de débats et d'expérimentation, avaient décidé de céder finalement à la voie de la raison pragmatique, deux interrogations fondamentales pour la compréhension de ce débat paraissent occultées des commentaires qui accompagnent cette gestation. Au point d'être considéré, lorsque l'on tente cette mise en discussion dans les milieux autorisés, avec une certaine ringardise, conjuguée sur le registre du “vous en êtes encore là !”. Au risque d'être relégué définitivement au rang de “militant pré-historique”, je voudrais revenir cependant sur ces deux questionnements.

Que sont  les activités d'utilité sociale ?

La première de ces interrogations concerne l'apparente homogénéité du champ d'activités qu'encadre ce projet de loi. Il est en effet loin d'être avéré que la notion “d'utilité sociale” soit un dénominateur commun suffisant pour rendre compte, et finalement trancher définitivement, de la parenté des secteurs qui s'y trouvent intégrés : économie sociale, économie solidaire, économie de l'insertion, etc.

Pour tout dire, à l'appréciation de cette conception des choses, j'ai pensé à Alfred Binet, l'inventeur du fameux test mesurant le quotient intellectuel. Qui répondait, en toute bonne foi, à ceux qui lui demandaient ce qu'était l'intelligence : “Mais voyons, c'est ce que mesure mon test !” De la même manière, à cette question qui a mobilisé tant de chercheurs, de praticiens, de bénévoles, alimenté tant de numéros de revues, d'ouvrages et de colloques, et qui est de savoir ce “que sont les activités d'utilité sociale”, sera-t-il répondu définitivement : “Mais voyons ce sont celles qui entrent dans le champ de la loi-cadre !”  ?

Je demeure, pour ma part, circonspect que l'on assimile ainsi, d'une certaine manière, une association gestionnaire d'établissements socio-éducatifs, remplissant une forme de délégation de service public, et un système d'échange local, par exemple. Comme je m'étonne que l'on persiste, par effet d'assimilation là encore, dans l'entretien d'une certaine confusion entre économie d'insertion et développement des services de proximité, qui furent le champ d'expérimentation principal de l'économie solidaire (telle qu'elle a été théorisée par Jean-Louis Laville et Bernard Eme). Et dont l'un des principaux obstacles à leur développement fut précisément de vouloir conjuguer, au travers des différentes politiques publiques successives, l'innovation socio-économique au travers de nouveaux services pour mieux vivre ensemble et l'accompagnement social et professionnel de personnes momentanément fragilisées.

La deuxième interrogation est d'ordre socio- économique et politique. Les instruments qui sont esquissés dans ce projet de loi-cadre (label, Fonds mutuel solidaire, conseil national, etc.) s'inspirent d'une logique de régulation par l'Etat de cette “autre façon de faire de l'économie”. Or, et c'est sans doute son apport le plus fécond, une certaine conception de l'économie solidaire se fonde sur le constat que la société française ne repose plus sur un monde commun, garanti par un espace public et des institutions (école, armée, police, etc.), que le politique façonnait et que l'Etat régulait, mais sur des “mondes vécus”. C'est-à-dire les contextes dans lesquels l'individu vit et se représente, non plus le monde, mais les mondes de sa vie. La mise à jour de ces transformations anthropologiques qui “travaillent” la société française (et à propos desquelles, au fond, les initiatives d'économie solidaires ne sont à interpréter que comme des tentatives balbutiantes d'ajustements de la société par elle-même) est au fondement de la conceptions des nécessaires changements dans les modalités de l'action publique préconisés par les tenants d'une économie plurielle où l'activité économique n'est plus isolée des systèmes de relations sociales, culturelles ou politiques. Modalités d'actions publiques où, notamment, les nécessaires régulations qui sont à inventer, doivent l'être dans le cadre d'actions collectives pensées en dehors d'un simple recours à l'Etat.

Réinventer en permanence l'ordre social

Autrement dit, la pertinence d'une labellisation de l'utilité sociale n'est pas à chercher dans un recours institutionnel, dans une logique de représentation et de délégation incarnée par les futurs conseils régionaux de l' économie sociale et solidaire. Mais bien plutôt dans la construction de nécessaires accords sociaux, qui lient les “producteurs” des activités et des services et les usagers de ceux-ci. Des accords à réaliser dans la proximité, au plus près du territoire local des “mondes vécus” où s'inscrit l'émergence de cette activité et qui lui donne son véritable sens...

L'utilité sociale ne saurait s'imposer par des critères objectifs, définis préalablement, mais doit se chercher au travers de procédures sociales, impliquant la mise en œuvre de dispositifs locaux, où producteurs et usagers décident ensemble de ce qui est socialement utile et, par là-même, réinventent en permanence l'ordre social. Manière de “réencastrer” l'économique dans le social et le politique.

Oui, décidément, il n'est pas certain que cette loi-cadre puisse tout (en) cadrer ! »

Jean-Luc Charlot Chargé de mission « nouveaux services, emplois- jeunes ». Mission locale de l'agglomération caennaise : 1, place de l'Europe - 14200 Hérouville-Saint-Clair Tél. 02 31 46 21 46.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2235 du 2-11-01.

TRIBUNE LIBRE

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