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Un visa pour l'intégration

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A Paris, la permanence administrative et juridique Passeport d'attaches favorise l'intégration des jeunes issus de l'immigration en les aidant à accéder au droit au séjour et à la nationalité française. Face à la montée des situations insolubles, elle tire la sonnette d'alarme.

« J'ai 17 ans, je suis arrivé de Tunisie il y a cinq mois, mais je suis né en France où j'ai vécu plusieurs années avec mes parents qui sont étrangers. Je veux rester ici. J'ai droit à la nationalité française ? »   ; « Je suis Camerounaise, je viens d'avoir 16 ans et je suis en France depuis six ans. J'ai trouvé un emploi, mais on me demande une autorisation de travail, qu'est-ce que je dois faire ? » Autant de situations, liées à la législation complexe applicable aux mineurs étrangers, auxquelles les permanents de Passeport d'attaches (1) sont habitués. Autant de jeunes, avec chacun son histoire, ses espoirs et ses angoisses, à qui cette permanence administrative et juridique, créée à Paris en 1989 par la protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ) et le Fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles (FAS), tente d'apporter des solutions. En partenariat avec l'Association pour l'accueil et l'accompagnement social et administratif des migrants et de leur famille (APTM), cette structure s'est donné pour mission d'informer, d'orienter et d'assister les jeunes issus de l'immigration âgés de 21 ans maximum, pour faciliter leur accès au droit de séjour ou à la nationalité française.

Mais attention, rappelle Jean-Bernard Bourserie, l'un des deux éducateurs PJJ : « Nous ne sommes pas un outil de régularisation. Nous nous appuyons sur les textes en vigueur. Si un jeune est dans le non-droit, nous n'avons pas de baguette magique ! » Surtout à Passeport d'attaches, aider les jeunes à obtenir leurs papiers n'est pas une fin : c'est un point de départ. Objectif ?L'intégration. Ainsi, explique Khadidja Bourahla, agent d'accueil de l'APTM intégré au dispositif, « quand les préfectures listent juste les documents utiles à la demande d'un titre de séjour ou de la nationalité française, nous nous intéressons, nous, à la situation globale du jeune. Au-delà des papiers, il s'agit de favoriser la réussite de ses projets, son insertion socio-professionnelle. D'aider à en faire un citoyen à part entière. »

Concrètement, le premier contact avec la structure, qui intervient dans toute l'Ile-de-France, se fait par téléphone. Pour les situations les plus simples, l'intervention se limite à donner des informations précises, éventuellement suivies d'un courrier. Pour les cas plus complexes, le jeune est reçu

de préférence avec un adulte référent. Tout ce qui relève du champ personnel, familial, social, culturel est pris en compte. « Le récit du jeune révèle souvent des difficultés autres qu'administratives et juridiques : recherche identitaire, relations avec le milieu de vie, ruptures scolaires », explique Alain Guémard, directeur de l'APTM. Lors de l'entretien, un dossier est ouvert pour permettre à l'équipe de suivre les démarches engagées par le service ou le jeune, incité à « devenir acteur de sa situation ». Au besoin, un travail de relais auprès de partenaires des secteurs éducatif, social, sanitaire est mené. Par ailleurs, lorsque le jeune bénéficie d'une prise en charge éducative- c'est le cas de 40 % des intéressés -, une note résumant les textes de loi concernés et les orientations retenues, est rédigée, afin de permettre une bonne articulation des divers intervenants.

Qu'ils appellent spontanément ou qu'ils soient aiguillés par des travailleurs sociaux (PJJ, aide sociale à l'enfance, secteurs habilités, missions locales, établissements scolaires), la quasi-totalité des jeunes - essentiellement issus d'Afrique noire ou du Maghreb - ont des attaches en France, voire y ont vécu plusieurs années. Mais, là où le bât blesse, c'est que, nés à l'étranger, la plupart sont entrés sur le territoire français hors de la procédure du regroupement familial. « Soit ils sont venus rejoindre un père ou/et une mère avec un visa court séjour, car ceux-ci ne remplissaient pas les conditions du regroupement, soit ils ont retrouvé un membre de la famille élargie. Or seul l'enfant naturel, légitime ou adopté peut bénéficier d'un regroupement familial. Un tuteur ne peut l'organiser », insiste Jean-Bernard Bourserie.

Des exigences souvent rédhibitoires

Les conditions de ressources et de logement exigées des parents sont souvent rédhibitoires. « On demande un emploi stable, sur une année, dans un contexte économique où les emplois précaires se multiplient ; et un logement de grande surface quand la plupart des familles vivent dans des centres urbains où le parc immobilier est saturé », dénonce Alain Guémard. Difficulté supplémentaire : l'introduction par la loi de 1993 du principe de regroupement familial global, interdisant l'arrivée progressive des enfants et du conjoint. « Comment un père seul pourrait-il obtenir d'un coup un F3 ou un F4 du parc social en vue de l'arrivée future de ses cinq enfants et de son épouse ? », s'insurge Khadidja Bourahla. En fait, résume Alain Guémard, « par ces restrictions, on ouvre tout simplement la voie à une arrivée différente ».

La scolarité étant obligatoire jusqu'à 16 ans, c'est à cet âge que commencent les problèmes pour beaucoup de ces mineurs, par ailleurs inexpulsables jusqu'à 18 ans. Scolarisés en France, puis orientés, par choix ou par obligation, vers des formations en alternance ou des contrats d'apprentissage, ils se voient en effet réclamer une autorisation de travail, qu'ils ne peuvent obtenir. Même situation pour ceux qui, récemment entrés sur le territoire, n'ont pu être scolarisés, faute d'en avoir le niveau ou d'être francophones, et qui sont dirigés vers les missions locales.

Dans l'impossibilité de les intégrer à leurs dispositifs, celles-ci les adressent alors à Passeport d'attaches. Et devant l'afflux croissant de ces 16-18 ans (60 % des jeunes), le spleen gagne. « Nous sommes dans une impasse, se désespère Khadidja Bourahla. Certes, la réglementation permet de demander un titre de séjour et une autorisation de travail avant 18 ans, mais dans les mêmes conditions qu'à partir de la majorité ! Du coup, notre mission se limite à l'information. Quid de l'insertion ? Et de l'orientation ? Bien sûr, on essaie de trouver des structures de remise à niveau, d'alphabétisation, mais, de toute façon, c'est reculer pour mieux sauter :dans un an ou deux, ils auront 18 ans et les conditions n'auront pas changé. »

Un phénomène sur lequel les permanents tentent d'attirer l'attention de leurs partenaires et des pouvoirs publics. « Ces jeunes arrivent en toute légalité, ils ont des attaches ici, et tout le monde ensuite se renvoie la balle, chacun ayant fait son travail :les centres d'information et d'orien- tation, les inspections académiques, les missions locales, nous », reprend Nicole Roy, éducatrice PJJ. « Il faut qu'une réflexion pluridisciplinaire soit menée, avec le ministère de l'Intérieur, les Affaires étrangères, l'Education nationale, la PJJ, le FAS », s'emporte Khadidja Bourahla. D'autant que, estime l'équipe, il est illusoire d'envisager le retour au pays de ces jeunes. « On leur en parle, voire on les met en relation avec leur pays d'origine, ajoute Alain Guémard, mais quand un jeune a pris la décision de venir et qu'il y est parvenu, il ne repartira pas. » Dès lors, au-delà de l'intégration, c'est aussi de la préservation de l'ordre public qu'il s'agit. Car poussés à la clandestinité, ces jeunes pourraient bien chercher leur survie dans la délinquance ou la prostitution. « Quand on a 18 ans, que l'on est sans hébergement, sans possibilité d'étudier ou de travailler, la porte est ouverte à tous les dangers », insiste Khadidja Bourahla.

D'autres situations mobilisent l'équipe. C'est le cas notamment de ces jeunes nés en France, qui y ont vécu au sein de leur famille, mais qui ont quitté quelques années le territoire, avant d'y revenir. « Souvent, ils ont perdu tout droit à la nationalité française puisque la loi exige d'eux d'avoir résidé en France au moins cinq ans entre 11 et 18 ans. De même, ils ont perdu tout droit de séjour, du moins, de plein droit. A nous alors de monter au créneau, de faire valoir les attaches familiales, le projet d'insertion du jeune, etc. », explique Jean-Bernard Bourserie. Pour certains dossiers complexes, l'accompagnement peut durer de un à deux ans.

A la lenteur des procédures se greffent fréquemment d'autres problèmes. « Parfois, il manque des documents. Pour les passeports, par exemple, tout dépend des consulats », souligne Khadidja Bourahla. Parfois, un événement vient freiner le processus. « A la suite de conflits familiaux, souvent liés à l'adolescence, des situations s'installent dans la précarité et laissent place à de nouvelles problématiques : recherche d'hébergement, scolarité interrompue, orientation vers des services éducatifs », témoigne Nicole Roy. « Beaucoup de ces jeunes arrivent dans une famille recomposée, avec un père ou une mère qu'ils n'ont vu que deux ou trois fois. Les frictions sont fréquentes même lorsque le regroupement familial a été demandé. Ces tensions, qui génèrent de grandes souffrances, se centrent alors souvent sur la rétention de documents par les parents, qui tentent ainsi d'asseoir leur autorité. » Aux éducateurs alors de chercher à retisser le lien. Là encore, il s'agit de soutenir le jeune dans son parcours, mais aussi d'éviter que ces ruptures ne se traduisent par un passage à l'acte délictueux. De prévenir donc.

La prévention se trouve également au cœur de l'autre mission du dispositif : l'information et la sensibilisation des professionnels de la jeunesse. Ainsi, en plus de répondre à leurs questions, l'équipe intervient auprès des services éducatifs de la protection judiciaire de la jeunesse ou de l'aide sociale à l'enfance, des établissements scolaires, des missions locales, pour y exposer son action, ainsi que les règles d'accès au droit de séjour ou à la nationalité française. Des permanences pour les jeunes sont aussi parfois organisées à la demande de certains collèges ou lycées. Lors des rencontres avec les professionnels, certains cas sont abordés afin d'éviter des impasses. « On explique quelles démarches entreprendre avant 16 ou 18 ans, ou quels papiers obtenir lorsqu'ils sentent les liens d'un de leurs jeunes avec sa famille se distendre », indique Nicole Roy. Des interventions essentielles d'autant que bien des professionnels connaissent mal les textes en vigueur et que des situations s'en trouvent complexifiées. « Ainsi, rapporte- t-elle, j'ai récemment eu un jeune à qui on a juste dit d'aller chercher, à 18 ans, sa carte d'identité à la mairie, la logique étant : il est né en France, il est automatiquement français. Les choses étant plus compliquées, il n'a pu intégrer le dispositif prévu de formation rémunérée. Cela peut avoir des conséquences dramatiques. » De même, prévient Khadidja Bourahla, « il faut savoir que quand on ne nous soumet qu'en septembre le cas d'un jeune orienté en juin vers une formation en alternance, il n'obtiendra pas l'autorisation de travail avant janvier-février. Et encore s'il est dans le plein droit et s'il a tous ses documents. En attendant, que fera-t-il ? Et en février, pourra-t-il toujours intégrer sa formation ? »

Des moyens insuffisants

Soucieux d'améliorer l'information des professionnels et de créer un centre de ressources, Passeport d'attaches tente aujourd'hui d'obtenir des moyens supplémentaires auprès de ses financeurs (FAS, direction des affaires sanitaires et sociales, préfecture de région, Ville de Paris). En effet, face à l'essor régulier du nombre de leurs interventions, les cinq permanents (dont un agent d'accueil présent un jour par semaine et une secrétaire à trois quarts de temps) n'y suffisent plus. Malgré leurs difficultés, voire leurs exaspérations, ils s'accordent néanmoins à reconnaître la richesse de leur travail.

« Bien sûr, on ne règle pas tout en résolvant la question des papiers, analyse Khadidja Bourahla. Mais on espère que, par cet accompagnement, le jeune aura acquis une certaine confiance. » Et cela semble marcher : « Nombreux sont ceux qui passent, plus tard, donner des nouvelles. Un peu comme pour nous dire : “Vous m'avez épaulé, vous m'avez fait confiance lorsque j'étais inquiet quant à mon devenir, maintenant, je veux vous montrer que cette aide, je l'utilise à bon escient, que j'en ai fait quelque chose”. » En bref, que l'intégration est en bonne voie de réussite. Florence Raynal

Notes

(1)  Passeport d'attaches : 6, rue Salomon-de-Caus - 75003 Paris - Tél. 01 42 74 47 16.

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