Débattre au lieu de se battre : telle est la démarche, pédagogique, de la médiation familiale qui vise à créer un espace de parole où puisse s'exprimer le non-dit du conflit, pour qu'après la séparation chacun soit en mesure de (re) trouver sa place de parent. Généralement mené en amont ou au cours d'une procédure judiciaire- mais pouvant aussi l'être en dehors de tout recours à la justice -, ce travail de réappropriation, par les intéressés, de leurs différends et de la façon de s'accorder pour les résoudre, s'inscrit dans l'idéal de co-parentalité qui se trouve au cœur de la réforme en cours du droit de la famille.
Permettant au juge d'inci- ter un couple qui se sépare à recourir à un médiateur afin d'organiser les liens à venir avec l'enfant, la modification des textes relatifs à l'autorité parentale et au divorce inspirée des préconisations du rapport Sassier Arguments et propositions pour un statut de la médiation familiale en France (1) -, fera explicitement entrer la médiation familiale dans le code civil. Corollaire de cette reconnaissance officielle : un Conseil consultatif national de la médiation familiale, installé le 6 novembre (2), est chargé d'organiser et de promouvoir le développement d'une pratique encore largement méconnue du grand public.
Relativement récente en France - à la fin des années 80 -, l'apparition de la médiation familiale est contemporaine d'une interrogation renouvelée sur l'articulation entre sphères publique et privée. La fragilisation des couples - et le rajeunissement de la « divorcialité » - font que plus de deux millions d'enfants sont concernés par la séparation de leurs parents. La moitié d'entre eux ne conserve ensuite que des relations épisodiques avec le parent chez qui ils ne vivent pas, quand ils ne perdent pas tout contact avec lui. Ce sont ces mutations que les pouvoirs publics entendent mieux accompagner en cherchant à assurer la permanence des liens familiaux, quels que soient les aléas des parcours individuels. Un objectif auquel la médiation familiale peut utilement concourir.
Doit-elle, pour autant, devenir une action publi- que ?L'Etat, estime Didier Tronche, directeur du Syndicat national des associations pour la sauvegarde de l'enfant à l'adulte (3), « se trouve d'autant plus confronté à cette question qu'il a participé à un assouplissement des normes en reconnaissant des structures familiales diverses, en sortant d'une forme régulée de la conjugalité par le mariage civil et en instituant ou confortant les droits individuels consécutifs à plus de liberté ». Aussi l'inscription de la médiation familiale dans un projet politique ayant vocation à réduire tensions et injustices lui semble- t-elle tout à fait justifiée. La puissance publique est ainsi appelée à reconnaître le lien dialectique famille- société et le bien-fondé de l'intervention d'un tiers qui n'a pas pour seule vocation de faire appliquer le droit, mais considère l'intérêt des sujets à trouver, par eux- mêmes, des accords dont ils deviennent les garants.
« L'instauration de la médiation familiale dans l'ordre juridique et la pratique judiciaire constitue un moment inédit - et un tournant exemplaire - du droit et de l'éthique », commente le philosophe Charles-Edouard Leroux. Cette institutionnalisation nécessite bien sûr d'offrir des garanties de qualité aux prescripteurs et aux familles, et va de pair avec « la nécessaire professionnalisation d'une fonction qui ne doit pas devenir un métier », défend Monique Sassier, directrice générale adjointe de l'Union nationale des associations familiales. Mais, pour se disséminer plus largement dans la société, la médiation familiale doit encore gagner à sa cause un plus grand nombre d'acteurs. Différentes expériences montrent d'ores et déjà la voie de possibles développements dans le domaine extra- judiciaire comme dans le champ de la justice.
La caisse nationale des allocations familiales (CNAF) s'est ainsi engagée récemment dans la promotion de la médiation familiale. Une implication qui sera d'ailleurs appelée à se renforcer, précise Frédérique Leprince, sous-directrice à l'action sociale : en effet, l'accompagnement de la fonction parentale constitue, avec la contribution au développement social local, une priorité de la CNAF pour la période 2001-2004. La participation des caisses à ce soutien se traduit à la fois par le financement d'associations et de services de médiation - les caisses d'allocations familiales (CAF) en sont les plus importants partenaires financiers -, la diffusion d'une information appropriée auprès des allocataires, et l'organisation directe d'actions de médiation. Une quinzaine de caisses emploient des travailleurs sociaux formés à cet effet, qui interviennent, selon les cas, en interne ou dans des organismes extérieurs (centres sociaux ou lieux d'accueil pour l'exercice du droit de visite par exemple). Quelques caisses expérimentent également un développement de la médiation familiale en lien avec l'allocation de soutien familial récupérable (ASFR) - avance qu'elles ont pour mission de verser au parent créancier d'une pension alimentaire pour l'entretien des enfants, lorsque l'autre parent n'y pourvoit pas.
Le constat, à l'origine de ces initiatives, fait apparaître que le non-paiement des pensions alimentaires n'est, souvent, que la marque tangible de profondes tensions relationnelles entre les parents séparés- auxquelles s'ajoute, le cas échéant, une méconnaissance de la procédure de révision d'une pension. Partant, la démarche consiste à proposer une offre de service globale autour de l'ASFR, c'est-à-dire à utiliser le droit à une prestation comme levier permettant d'engager une mesure d'accompagnement social. Par exemple, à la caisse d'allocations familiales du Cher, les médiations familiales ont permis à des parents - souvent en conflit depuis plusieurs années - de se mettre d'accord sur la révision du montant de la pension alimentaire et de demander l'homologation de leur accord par un juge. Ces expérimentations qui privilégient la concertation interrogent, néanmoins, la procédure actuelle concernant le recouvrement des pensions alimentaires : « Il paraît difficile de déclencher une créance liée aux arriérés de pensions impayés quand une amorce de dialogue et d'accord s'engage entre les parents », note Monique Sassier. C'est pourquoi, les caisses concernées ont mis en place différents dispositifs pour ne pas compromettre la résolution des litiges. Et la CNAF a soumis au Conseil national consultatif de la médiation familiale plusieurs modifications visant à réformer l'allocation de soutien familial récupérable et le recouvrement des pensions.
Pour travailler plus efficacement avec les familles où des conflits lourds nécessitent la mise en œuvre d'un dispositif de protection de l'enfant, quelques pionniers initient des pratiques de médiation inédites dans ce champ judiciaire particulier. C'est le cas, à Toulouse, de l'association Protection de l'enfance et de l'adolescence (1). Lorsqu'elles sont mandatées dans le cadre d'une mesure d'investigation et d'orientation éducative ou d'action éducative en milieu ouvert, Catherine Moinet et Marie- Claude Seguela, médiatrices familiales à l'association, traitent certaines situations familiales par la mise en place d'un processus de médiation - et non par la réponse psychosociale habituelle - en expliquant, clairement, aux intéressés la spécificité de l'approche proposée. « Il s'agit pour nous d'œuvrer, de l'intérieur, à la transformation d'un contexte en protection de l'enfance, devenu souvent inadéquat, parfois inopérant, dans des problématiques familiales traversées, à un moment donné, par la fragilité du lien, la rupture, la séparation ou le divorce », précisent les médiatrices.
Les nombreuses décisions bafouées de juges aux affaires familiales et l'élimination d'un parent et de sa lignée du cercle familial favorisent chez l'enfant l'émergence de symptômes justifiant le recours au juge des enfants. Mais, que l'affrontement parental perdure, s'intensifie ou revienne de manière cyclique, et l'enfant demeure aux prises avec un déchirant conflit de loyauté ou l'impossibilité d'entretenir des relations sereines avec l'un de ses parents.
« Vecteur de l'intervention judiciaire, la notion de danger pour l'enfant reste bien la clé de voûte du travail à entreprendre, cependant que les deux parents en constituent les piliers », explique Catherine Moinet. Autrement dit, dans ce nouveau décor, il ne s'agit pas d'inventorier les compétences et carences parentales, mais de signifier d'emblée aux parents qu'ils sont, eux-mêmes, protecteurs de leur enfant. Leur engagement se concrétise par la signature d'un contrat de médiation familiale - sachant que pour dépasser un accord de surface, la « libre » adhésion doit souvent faire l'objet du premier travail. Le processus de communication se construit alors - mais peut aussi devoir être interrompu - au fil des entretiens et de la mise en confiance des parents entre eux et avec les médiatrices. Une confiance confortée par la confidentialité assurée aux protagonistes. « Malgré notre cadre “mandatoire” d'évaluation de départ, cette confidentialité se concrétise par un seul écrit, unique reflet du projet parental, transmis au juge des enfants en fin d'intervention », soulignent les médiatrices.
Ici et là, cette approche différente de l'accompagnement des familles commence lentement à s'expérimenter. Elle est souvent proposée au juge des enfants par l'intervenant en charge de la mesure judiciaire - de nombreux professionnels formés à la médiation sont issus de la protection de l'enfance -, et se trouve plus rarement réalisée, semble- t-il, à la demande directe des magistrats. Néanmoins, estime Dominique Marguery, présidente du tribunal pour enfants de Bordeaux, la médiation peut s'avérer pertinente quand c'est l'impossibilité des couples à se parler qui est constitutive du danger pour l'enfant.
Caroline Helfter
« La question de la professionnalisation est éminemment politique, explique Monique Sassier, directrice générale adjointe de l'Union nationale des associations familiales et présidente du Conseil national consultatif de la médiation familiale (CNCMF). Les pouvoirs publics ont besoin de vérifier que les médiateurs familiaux sont formés, qu'ils l'ont été dans des lieux agréés, que les droits des personnes sont respectés. » Il reviendra au CNCMF de déterminer les contours de cette profession qui devra s'inscrire en aval d'une qualification initiale, dans le cadre de la formation continue. Pour donner un statut à la formation de médiation, Monique Sassier préconise d'utiliser le modèle du certificat d'aptitude à la fonction de directeur d'établissement. A l'instar de ce dernier, le certificat d'aptitude à la fonction de médiateur familial- diplôme national sanctionnant une formation pluridisciplinaire - ouvrirait, à ceux qui le désirent, la voie d'une profession et permettrait à d'autres, ne souhaitant pas exercer - ce qui est le cas d'un grand nombre de personnes suivant les cursus actuellement proposés -, d'acquérir une culture de la médiation et la maîtrise de différentes techniques professionnelles. Des dispositions transitoires devraient par ailleurs être instaurées pour les médiateurs familiaux aujourd'hui en activité, dont les trois quarts sont issus des professions du travail social (4) .
(1) Voir ASH n° 2221 du 29-06-01 - Rapport disponible sur le site :
(2) Voir ASH n° 2232 du 12-10-01.
(3) Lors d'un colloque sur la médiation familiale organisé à Bordeaux les 4 et 5 octobre par le Comité national des associations et services de médiation familiale - CNASMF : 11, rue Guyon-de-Guercheville - 14200 Hérouville- Saint-Clair - Tél. 02 31 46 87 87.
(4) Selon une enquête réalisée en 2000 par le Comité national des associations et services de médiation familiale.