« Nous avons obtenu en 2000 une revalorisation des subventions sur une base forfaitaire, intégrant - ce qui est tout de même rare -les coûts de fonctionnement et de structure des associations. On a pu montrer à la commission exécutive du Fonds de solidarité pour le logement [FSL], par exemple, qu'un directeur ça coûte tant, qu'une secrétaire ça coûte tant, etc. » Cette avancée, importante dans un département (la Seine-Saint-Denis) où la plupart des associations spécialisées dans l'accès au logement fonctionnent avec l'aide du FSL, illustre, selon Bruno Morel le directeur d'Interlogement 93 (1), la force de négociation que représente ce collectif relogement regroupant 42 associations adhérentes.
Né en 1990 de la volonté de plusieurs centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) d'unir leurs efforts pour favoriser le relogement des familles en difficulté, Interlogement 93 rassemble des associations dont la mission dépasse le simple hébergement. Par le biais de sa participation aux institutions départementales traitant des questions du logement, de la représentation des associations à la commission exécutive du FSL ou encore à la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS), cette structure est devenue, au fil des ans, un interlocuteur non négligeable dans le domaine du logement dans la Seine-Saint-Denis.
Ce rôle fédérateur a également amené les responsables à développer un pôle de réflexion via l'animation de commissions, de groupes de travail et l'organisation de journées thématiques. Ce travail en commun a permis notamment de proposer, en décembre dernier, à la commission exécutive du Fonds de solidarité pour le logement, la mise en œuvre d'une charte visant à faire évoluer le dispositif des baux glissants (2) et à obtenir un fonds de sécurisation des associations face aux risques d'impayés de loyers ou de frais de contentieux.
« Cet aspect fédératif est très important pour les travailleurs sociaux. Il leur permet de sortir de leur association pour voir ce qui se passe ailleurs, d'échanger avec d'autres sans rester centré sur son “public” et sa problématique », explique Patricia Léger, directrice de La maison de l'amicale du Nid. Un avis partagé par Yannick Droux, directeur de l'Association réflexion action prison et justice (Arapej), qui voit dans ce collectif un moyen efficace d'appréhender la complexité des situations auxquelles sont de plus en plus confrontées certaines populations défavorisées. « Aujourd'hui, on voit des sortants de prison qui sont sans domicile fixe, avec des problèmes de toxicomanie ou d'alcool. Certains présentent même des difficultés relevant de la psychiatrie et la prise en charge n'a plus rien à voir avec celle que l'on proposait voici une quinzaine d'années. On ne peut plus travailler seul. »
Mais l'originalité d'Interlogement tient surtout à sa volonté de mener, parallèlement à sa tâche de rassembleur, une activité d'opérateur social. La structure gère ainsi le numéro vert du dispositif d'hébergement d'urgence du département, quatre résidences sociales, une activité d'accompagnement social lié au logement et un pôle relogement s'adressant au public sortant de ses résidences sociales comme à ceux des 42 associations adhérentes.
Une casquette d'opérateur qui lui donne en particulier une efficacité et une crédibilité. « Lorsque nous portons un projet pour l'un des nos adhérents, c'est aussi notre travail comme opérateur social qui nous permet de dire s'il est viable ou non. Je me verrais mal parler de résidence sociale, si je n'en gérais pas tous les jours », estime Bruno Morel. Plus concrètement, cette double compétence a rendu possible à Interlogement de reloger près de 1 400 personnes en difficulté au cours des dix dernières années.
Ce chiffre, soulignent les responsables d'Interlogement et de certaines associations, ne doit pourtant pas masquer la baisse constatée ces dernières années : avec 104 relogements l'an dernier et seulement 46 solutions de ce type pour les huit premiers mois de 2001, le collectif est assez loin des 173 relogements réalisés en 1999.
Pour expliquer cette tendance, ces mêmes responsables mettent en avant plusieurs phénomènes et, notamment, la frilosité de certains bailleurs redoutant l'arrivée de populations souvent considérées comme dérangeantes et présentant des risques d'insolvabilité. Ce regain de méfiance se traduit par des exigences drastiques. « Maintenant, pour reloger une famille, on est obligé de faire de véritables enquêtes pour présenter des dossiers béton aux bailleurs. Beaucoup d'entre eux n'hésitent plus à téléphoner à un employeur pour vérifier que le postulant est bien en contrat à durée indéterminé. Et il ne faut plus parler de regroupement familial, parce qu'ils craignent immédiatement qu'il y ait une suroccupation du logement, etc. », déplore Bruno Morel.
Le constat est identique pour les associations en charge des sortants de prison, des femmes en danger, ou ayant vécu la prostitution. Pour Yannick Droux, faire valoir les garanties financières apportées par l'association et les précautions prises pour limiter les concentrations de cette population (la plupart des sortants de prison pris en charge par l'Arapej sont relogés dans des appartements répartis dans plusieurs communes de la Seine-Saint-Denis) ne suffit plus. « Les bailleurs ont tellement bien intégré cette logique de sécurité financière et d'un accompagnement permettant de réguler les comportements, qu'ils en viennent aujourd'hui à nous demander un niveau zéro de problèmes et d'insatisfaction. »
Pour sa part, la directrice de La maison de l'amicale du Nid a trouvé dans le collectif relogement un moyen supplémentaire de faire accéder des femmes cataloguées « prostituées » à un logement en résidence sociale. « L'étiquette les poursuit alors qu'elles sont complètement sorties de la prostitution et les bailleurs ont peur que les logements deviennent des lieux mal famés. Interlogement nous permet donc parfois de postuler à des logements sans être repérés comme “Amicale du Nid”. »
Cette mauvaise image n'explique pas tout, relèvent néanmoins certains responsables d'associations, à l'exemple de Jo Héré, directeur de la Cité Myriam, un centre d'hébergement et de réinsertion sociale accueillant un public d'hommes seuls en difficulté et dépendant de l'Association des cités du Secours catholique. Pour lui, les offices d'HLM ont fait de réels efforts à la fin des années 90 pour reloger un certain nombre de familles démunies et on assiste naturellement à un tassement de l'offre de logements. Les bailleurs doivent « faire face au départ d'une partie de leurs résidents les plus solides financièrement à la suite des lois concernant le surloyer et, par conséquent, à des difficultés de gestion d'un patrimoine occupé aujourd'hui par des familles beaucoup plus marginalisées ».
Mais les associations se heurtent à un autre écueil : le manque persistant de solutions pérennes. Les pouvoirs publics ont mis l'accent sur l'hébergement temporaire et l'accueil d'urgence et ont créé des « sas » dont les familles ne sortent plus. A cela s'ajoute la pénurie de logements de grande taille adaptées aux familles nombreuses. « Ce n'est pas un hasard si on ne construit pas au-delà du F3 lorsque l'on crée des résidences sociales. On sait très bien que si l'on installe des familles nombreuses dans des surfaces plus grandes, elles resteront des années, faute de logements pérennes adaptés », constate le directeur d'Interlogement 93.
Les jeunes, poursuivent les responsables d'association, ne sont pas mieux lotis avec des structures inadaptées à leurs attentes. De plus, ils sont obligés de faire face à des bailleurs qui redoutent leur absence d'expérience locative. Ces difficultés sont aggravées par le nombre insuffisant de logements sociaux dans la Seine-Saint-Denis. Ce qui s'explique par les nombreux travaux de remise en état entrepris actuellement dans le parc HLM et d'une conjoncture peu favorable, le département se trouvant au creux de la vague des constructions.
Face à cette situation, l'intervention publique, via notamment la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) (3) ou le numéro unique départemental pour l'attribution de logements sociaux, est jugée positive. Mais elle « tarde à trouver une concrétisation sur le terrain », selon les responsables associatifs. Pour eux, la volonté affichée, lors de la conférence régionale du logement social, d'aborder les questions du logement à l'échelle de la région et non plus du département, est un pas dans la bonne direction. Elle devrait permettre « de ne pas accentuer le phénomène d'accumulation des personnes potentiellement en difficulté sur le 93 », note Jo Héré.
De son côté, Interlogement 93 entend rester une force de proposition dans le département et explorer de nouvelles pistes pour faciliter l'accès des plus démunis. Le collectif prépare ainsi une journée de présentation de dispositifs innovants en faveur du logement des jeunes et des grandes familles.
Pourquoi ne pas réfléchir avec les bailleurs « à des systèmes de construction plus souples, avec des cloisons mobiles, qui permettraient de pallier l'arrivée de familles de 14 personnes ? », s'interroge par exemple Bruno Morel. Pas question non plus de laisser de côté les possibilités offertes par le parc privé. Dans cette optique, a été créée, l'an dernier, une Association immobilière sociale qui proposera aux bailleurs privés une gestion locative adaptée, comprenant en particulier un accompagnement en matière de travaux de réhabilitation, de suivi des aides locatives, de garanties pour impayés et dégradations ou de médiation en cas de troubles avec le voisinage.
Enfin, les responsables ont fait de la mobilisation des bailleurs une de leurs priorités pour les mois à venir. Signe de l'importance donnée à cette volonté de renforcer ce partenariat, l'association vient de créer un poste d'animation du réseau des bailleurs. « Quand je vois certains d'entre eux associer automatiquement notre soutien aux familles qu'on cherche à reloger avec le fait que ce sont des publics à risque, je me demande si nous avons bien su vendre notre travail, explique Bruno Morel. Il y a vraiment un travail de communication à faire pour sensibiliser certains bailleurs et leur faire comprendre, par exemple, qu'un public assisté par une association est au contraire plus sûr, dans la mesure où il est arrivé au terme de l'étape d'apprentissage de la pratique locative. »
Henri Cormier
(1) Interlogement 93 : 30, boulevard Chanzy - 93100 Montreuil - Tél. 01 41 72 09 30.
(2) Le bail glissant permet à une association, au terme d'un contrat de sous-location à titre temporaire, de faire passer le bail de son nom à celui de la famille occupant le logement.
(3) Cette loi vise notamment à maintenir une certaine mixité sociale et urbaine. En Ile-de-France, les communes de plus de 1 500 habitants situées dans des agglomérations de plus de 50 000 habitants et possédant moins de 20 % de logements sociaux, doivent s'engager à rattraper ce seuil en 20 ans - Voir ASH n° 2194 du 22-12-00.