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LA VOLONTé DES ACTEURS NE SUIT PAS

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Dans un rapport particulièrement sévère, le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées dénonce l'application lente et inégale du volet logement de la loi contre les exclusions. La réforme de l'attribution de logements sociaux et la prévention des expulsions se heurtent encore trop souvent à des attitudes de blocage.

Remis le 23 octobre au président de la République, le VIIe rapport du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (1) signe le dernier exercice de Patrick Doutreligne qui a déjà quitté ses fonctions de secrétaire général pour rejoindre la Fondation Abbé-Pierre. Quelque peu désabusé de voir que les outils du volet logement de la loi contre les exclusions- notamment la réforme des attributions et la prévention des expulsions - restent mal utilisés face au manque de volonté et à l'inertie de certains acteurs. Reste à son successeur qui n'est toujours pas nommé, mais pourrait être Frédéric Jésu, médecin de santé publique et coordinateur du réseau d'informations sur le développement social à l'ODAS, de continuer à interpeller et mobiliser les acteurs locaux

Selon le rapport, parfois, les bailleurs, les services de l'Etat et les collectivités locales témoignent d'un « manque d'ambition dans le démarrage et l'application des accords [collectifs départementaux] qui fixent aux HLM et aux communes des objectifs d'accueil de population défavorisée ». En fait la réforme des attributions « s'opère sur un mode défensif, sans lever véritablement les divergences d'appréciation sur les efforts à mener et les responsabilités de chacun des acteurs ». D'où, par exemple, le retard, « entièrement préjudiciable », de la signature des chartes intercommunales, qui sont « la traduction matérielle, chiffrée et localisée » des accords (2).

Ce syndrome de la « patate chaude » n'épargne pas les foyers de travailleurs migrants, l'un des thèmes choisis par le Haut Comité pour illustrer les difficultés particulières rencontrées par les ménages étrangers ou immigrés. Seulement 90 opérations de réhabilitation ont été réalisées ou engagées sur un programme de 326 fixées dans le cadre d'un plan quinquennal mis en place par le gouvernement en 1997. Un retard à imputer en partie aux réticences des communes à laisser implanter sur leur territoire de petites unités issues de la restructuration des grands foyers. S'y ajoute l'hostilité des résidents aux hausses de redevances consécutives aux rénovations, qui amputent les pécules qu'ils font parvenir à leur famille. Cependant, l'exiguïté des pièces et le caractère sommaire du confort qu'on trouve encore dans bon nombre des 650 foyers ne sont plus acceptables, insiste le rapport, et « tout comme la lutte contre l'insalubrité [...], l'éradication de ce type de logement ou d'hébergement inadapté quant à ses conditions doit faire partie des priorités ».

Autre préoccupation, les demandeurs d'asile. « Des réponses sont urgentes face à l'émergence d'un nouveau phénomène : des familles avec des enfants, dont certains en bas âge, se retrouvent à la rue, faute de lieu d'accueil », pointent- ils, après avoir rappelé l'insuffisance notoire des places en centres d'accueil de demandeurs d'asile, l'engorgement des structures d'accueil d'urgence, et la « démobilisation inévitable » des travailleurs sociaux, puisque 80 % des demandes d'asile sont rejetées. Un constat qui les amène à proposer « une réflexion politique d'ensemble plus cohérente et plus respectueuse de la dignité des personnes », et notamment l'octroi, comme le réclament les associations (3), du droit au travail-  « ce qui représenterait [...] une preuve d'insertion plus rapide qui pourrait être prise en compte dans leur dossier de demande d'asile ». Autre préconisation : une répartition géographique « plus réfléchie » pour éviter la concentration des demandeurs d'asile en milieu urbain et « faciliter parfois l'intégration des populations elles-mêmes, pour certaines, issues de milieu rural ».

Sur la prévention des expulsions, « des dynamiques de partenariat et de synergie [...] se sont créées dans de nombreux départements, mais l'extension à tout le territoire reste encore loin d'être acquise et ceci fait persister de véritables situations dramatiques ». Les chiffres sont particulièrement préoccupants : depuis 2000, date à laquelle les demandes de résiliation de bail et les jugements d'expulsion étaient revenus à des niveaux inférieurs à ceux du début des années 90, une augmentation d'environ 15 % se dessine. Parmi les failles du dispositif, le Haut Comité épingle, lors de la phase précontentieuse, les huissiers, qui « en milieu urbain [...] se déplacent au domicile de moins en moins, en particulier dans les cités HLM en difficulté », préférant déposer leur commandement en mairie. De sorte que certaines familles ne sont pas informées des actes. « Cette dérive est inquiétante car elle éloigne les plus faibles de leurs droits ». Quant aux bailleurs privés, ils méconnaissent, pour la plupart, les dispositifs installés par la loi, et réagissent souvent tardivement, lorsque la dette accumulée est trop importante pour être résorbée par la négociation. Les bailleurs privés institutionnels, de leur côté, se révèlent « peu coopérants » en matière de plans d'apurement ou vis-à-vis des interventions potentielles du fonds de solidarité logement. Ce dernier intervient d'ailleurs peu à l'étape du précontentieux, alors qu'il « pourrait présenter une piste très importante en particulier lorsque [...] le niveau de la dette et le montant des ressources du ménage imposent manifestement des solutions où les plans d'apurement ne présentent qu'un intérêt relatif s'ils ne sont pas aidés par une subvention ».

Au cours de la phase contentieuse - « celle qui a connu les avancées législatives et réglementaires les plus importantes [mais] qui est la plus diversement appliquée selon les départements et les tribunaux » - les préfectures se limitent parfois à une « gestion purement administrative des assignations », accordant, par exemple, peu d'attention à la réalisation de l'enquête sociale - qui se résume trop souvent à une simple « fiche navette administrative » - et à sa transmission au juge. Certaines reçoivent cependant un satisfecit, comme dans la Dordogne ou dans les Bouches-du-Rhône, où le préfet adresse à tous les ménages concernés un courrier d'explications avec les coordonnées des services compétents et la recommandation de se présenter au tribunal. Avec des « résultats remarquables ».

Les services sociaux, quant à eux, se trouvent confrontés à plusieurs obstacles. D'une part, parfois, l'absence de volonté politique des élus du département d'inscrire comme priorité du travail social la prévention des expulsions. Le sous-effectif et la surcharge de travail handicapent, en certains endroits, la mobilisation. En outre, la formation est fréquemment insuffisante sur les questions de droit au logement. Vient s'ajouter à ces difficultés les lacunes de « la capacité à entrer en contact avec les familles, à aller au-devant d'elles », souligne le rapport, rappelant que la mise à disposition d'une permanence ou l'envoi d'un courrier d'invitation à prendre contact sont souvent insuffisants « au regard de la situation sociale et psychologique des ménages concernés ».

A noter également la proposition - principale innovation du rapport - faite par le Haut Comité d'une « allocation personnalisée d'énergie » permettant à tout ménage, propriétaire ou locataire, d'accéder à l'eau et aux énergies. Une création justifiée par l'augmentation sensible de ces postes, insuffisamment répercutée sur le calcul des aides au logement, entraînant des risques d'impayés importants. De plus, les conventions signées avec les grands distributeurs, en particulier pour l'eau, « ne sont pas suffisamment appliquées pour préserver les droits ». Autre préconisation, le développement d'un « parc privé très social » par un conventionnement associant des loyers limités pour le locataire à des déductions fiscales pour le propriétaire bailleur.

Céline Gargoly

Les mauvais chiffres des expulsions

En 2000, 79 600 jugements d'expulsions ont été prononcés, contre 71 300 en 1999, soit une hausse de 11,6 %, alors que leur nombre avait diminué de 18,8 % entre 1997 et 1999. La même tendance s'observe pour les commandements à quitter les lieux : 45 800 ont été délivrés en 2000, contre 38 600 l'année précédente. Ce bond de 18,5 % est à rapprocher de la diminution de 19,3 % enregistrée entre 1997 et 1999. Il s'explique notamment, selon le Haut Comité, « par l'important taux d'échec des délais avec plan d'apurement accordés par les juges ». Autre chiffre inquiétant, l'augmentation des interventions de la force publique (+ 22 %), « même si le chiffre net reste limité » (5 936 en 2000). Cette tendance globale serait due, avance le rapport, à « une radicalisation de l'attitude des bailleurs face aux nouvelles protections du locataire par la loi » ainsi qu'à la reprise du marché du logement, qui « incite les bailleurs à faire libérer les locaux pour satisfaire une demande solvable en augmentation ». La région parisienne, où cette reprise est particulièrement sensible, concentre 63 % des expulsions effectives, alors qu'elle compte moins de 20 % de la population française.

Les réponses du secrétariat d'Etat au logement

Dans une note que les ASH ont pu se procurer, les services du secrétariat d'Etat au logement répondent point par point au Haut Comité :

  Réforme des attributions Au 1er juillet 2001,51 départements disposaient d'un accord collectif signé. Pour 28 autres, les négociations en cours devraient aboutir avant la fin décembre. Une circulaire invitant les préfets des départements à accélérer le mouvement est en préparation. Marie-Noëlle Lienemann a également demandé à ses services, au niveau des préfectures, d'effectuer un bilan annuel de l'exécution des accords et d'intervenir, si nécessaire, pour les réorienter vers les plus défavorisés. Une évaluation des accords signés est en cours, conduite par l'Uniopss.

  Prévention des expulsions Une évaluation du dispositif de prévention des expulsions locatives pilotée par l'Uniopss et financée parla direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction, a été remise très récemment au secrétariat d'Etat (4). Parmi les propositions : assurer une meilleure efficacité des sections départementales d'aide au logement et une meilleure coordination des dispositifs ; mieux articuler les interventions du Fonds de solidarité logement  (FSL) (5) avec le dispositif de prévention des expulsions ; garantir la réalisation de l'enquête sociale pour tous les locataires assignés et améliorer le suivi social des ménages ; impliquer davantage les bailleurs dans la recherche de solutions adaptées...

  Accueil des étrangers En septembre, un groupe d'appui a été chargé de faire des propositions sur l'aide au logement des réfugiés en situation régulière, qui « devraient permettre de libérer des places dans le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile ». Le gouvernement devrait présenter « très prochainement » des propositions. Plusieurs chercheurs ont également été saisis pour travailler sur l'élaboration d'un « indice de mixité sociale ».

  Coût du logement et des charges locatives Sur la déconnexion du forfait charges des aides au logement, « le constat du Haut Comité [...] est partagé par l'ensemble des partenaires du secteur logement ». Le secrétariat d'Etat a demandé au groupe qui, au sein du Conseil national de l'habitat, travaille sur l'efficacité des aides personnelles et une « couverture logement universelle », de se pencher sur le problème. Son rapport devrait être rendu à la fin de l'année 2001.

Notes

(1)  La lutte contre les exclusions, le besoin d'un nouvel élan - VIIe rapport - Année 2001 - Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées : 38, rue Liancourt - 75014 Paris - Tél. 01 40 64 49 33.

(2)  Voir ASH n° 2094 du 20-11-98.

(3)  Voir ASH n° 2231 du 5-10-01.

(4)  Voir également l'évaluation de l'Agence nationale pour l'information sur le logement dans les ASH n° 2232 du 12-10-01.

(5)  Les crédits délégués par l'Etat aux préfets pour abonder les FSL sont passés de 275 à 500 millions de francs entre 1997 et 2001.

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