En 2000, 11, 5 %des garçons de 17 ans et 7,1 % des filles éprouvent des difficultés de lecture et d'écriture lors des tests passés durant la journée d'appel de préparation à la défense. « Aucune variation significative » n'affecte ce résultat depuis une dizaine d'années : de « 8 à 10 % des jeunes adultes français sont incapables d'affronter la lecture d'un texte simple et court », de comprendre un document administratif, de suivre un mode d'emploi ou de se servir d'un plan.
Ce constat accablant est brièvement rappelé en introduction du rapport rédigé par deux chercheurs, Alain Bentolila et Jean-Philippe Rivière, pour explorer le lien entre illettrisme et exclusion (1). « Bien souvent considéré comme allant de soi » par « certains raisonnements trop mécanistes », ce lien est « devenu plus lâche, et son analyse plus complexe », car les stratégies d'évitement et de compensation permettent de masquer certaines difficultés. Il reste que si l'illettrisme n'est pas automatiquement « synonyme d'exclusion », il entraîne une « véritable dépendance » et une « vulnérabilité sociale » certaine. En témoigne la sur-représentation des personnes ayant des difficultés de lecture parmi les détenus ou les allocataires de longue durée du revenu minimum d'insertion.
Dans cette situation, les auteurs dressent un bilan sévère du dispositif de lutte contre l'illettrisme. Malgré le renforcement de la volonté de l'Etat et l'augmentation constante des budgets, la politique menée n'est « qu'un précaire et aléatoire aménagement de l'existant ». Les actions de terrain, d'une « absolue hétérogénéité », reposent sur « des fondations fragiles et floues et paient souvent le prix de l'usure du dévouement et des bonnes volontés ». Les méthodes utilisées sont très variées, parfois d'une complexité suspecte, ou mal adaptées aux différents publics. Car on n'intervient pas de la même façon avec des personnes qui ont connu « des rendez-vous manqués avec l'apprentissage », avec celles qui ont des difficultés dans toute démarche d'apprentissage ou encore celles qui rencontrent des problèmes spécifiques avec la lecture.
Surtout, les objectifs ne sont pas clairs. Trop d'actions ne visent qu'à une « mise à niveau » devant permettre un accès à l'emploi. Cette solution pragmatique n'empêche pas la rechute à la première épreuve. L'illettrisme n'est pas une fatalité, insistent les chercheurs. La lecture et l'écriture doivent rester au cœur de la lutte, car « l'accès au savoir déterminera demain plus que jamais le degré de liberté sociale des individus ».
Rappellant les responsabilités de l'école, les auteurs évoquent aussi le « déficit de médiation familiale » dont souffrent souvent des « enfants mal entendus » qui sont aussi des « enfants du malentendu ». Ils épinglent au passage les promoteurs de l'argot des cités, « langage forgé dans un cercle réduit au sein duquel l'indifférence, et parfois la violence, ont perverti l'apprentissage ». Ne fabrique-t-il pas des « pauvres du langage, condamnés à ne communiquer que dans l'immédiat et la proximité » ?
En conclusion, les deux chercheurs proposent « dix axes forts pour contribuer à une politique efficace de lutte contre l'illettrisme ». Quatre intéressent la période scolaire, avec une aide à l'oral dès l'enseignement préscolaire puis un suivi et un soutien précoces des élèves en difficulté avec l'écrit. Six concernent « l'aval » et préconisent notamment la formation de cadres de haut niveau et d'éducateurs spécialisés, la conception d'un modèle d'accompagnement et d'outils performants, une incitation à la lutte dans les entreprises, l'organisation de la recherche au plan européen, enfin la création d'un centre de ressources sur Internet.
(1) Illettrisme et exclusion, bilan et perspectives d'action - Rapport publié dans le cadre de la nouvelle Fondation Caisses d'épargne pour la solidarité : 5, rue Masseran - 75007 Paris - Tél. 01 58 40 31 30.