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Un centre pour casser l'errance

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Ruptures familiales, manque de places dans les structures d'hébergement et les centres d'aide par le travail, précarité des logements autonomes... Nombres de déficients mentaux se trouvent du jour au lendemain dans une situation de marginalisation et d'errance. Dans le Nord, le Centre d'accueil d'urgence spécialisé, seule structure de ce type en France, leur permet de ne pas sombrer dans la galère.

Doucement, avec ses mots à elle, Lætitia raconte : « Un jour ma mère est partie de la maison pour aller vivre avec son copain. Ensuite ce sont mes deux sœurs qui sont parties. On n'avait plus de courant et je faisais les courses toute seule. Après le départ de ma mère, mon voisin m'a violée. » Loin d'être unique, l'histoire de Lætitia, une jeune fille de 20 ans atteinte d'une déficience mentale, illustre la situation dramatique dans laquelle se trouvent nombre d'adultes handicapés mentaux livrés à eux-mêmes et en état de marginalisation et d'errance à la suite d'une rupture familiale, d'un manque de structures d'accueil ou d'une absence d'accompagnement.

Point de chute pour un public fragilisé

En janvier 1995, l'association de parents d'enfants inadaptés de Lille, les Papillons Blancs (1), tente d'apporter une aide à ces personnes extrêmement fragilisées en créant le Centre d'accueil d'urgence spécialisé (CAUSe) de Camphin-en-Pévèle (2). Seule structure de ce type en France, ce centre situé à une vingtaine de kilomètres de Lille accueille chaque année une cinquantaine de personnes déficientes mentales dont la situation très dégradée réclame une réponse rapide.

Ces histoires qui basculent ont des origines multiples, à commencer par les difficultés rencontrées à la sortie des établissements médico-éducatifs. En effet, trouver un point de chute adapté après l'institut médico-éducatif ou médico-professionnel  (qui accueille les jeunes handicapés jusqu'à l'âge de 20 ans) n'est pas simple. Il faut souvent attendre des années avant qu'une place en foyer et en centre d'aide par le travail  (CAT) se libère.

« Il y a très peu de structures pour les handicapés mentaux majeurs, déplore Marie-Pierre Dumont, déléguée à la tutelle à l'Association de tutelle et d'intégration de Valenciennes . De plus, très souvent, l'entrée dans un foyer ne peut se faire que conjointement avec celle en CAT. » Pour les déficients mentaux qui ne touchent pas l'allocation aux adultes handicapés, cette attente se double souvent d'une absence de revenus jusqu'à 25 ans, âge auquel ils peuvent prétendre au revenu minimum d'insertion. En outre, la famille n'offre pas toujours une garantie de stabilité et certains jeunes adultes peuvent éprouver de graves difficultés lors du décès des parents ou d'un retour chez eux. Dans ce dernier cas, l'incompréhension mutuelle provoque souvent une rupture et ouvre la voie à des problèmes de drogue, d'alcool, de violence ou même de prostitution.

Ces situations dégradées s'expliquent aussi par la précarité des logements dans lesquels vivent certains jeunes adultes handicapés. « Pour une partie de ces jeunes, on ne trouve quasiment jamais de logement parce qu'ils se font expulser rapidement. Ils accueillent des copains, des copines et ça devient rapidement explosif. Finalement, le propriétaire ne supporte plus cette situation et la personne handicapée se retrouve à la rue », explique Elisabeth Dusol, présidente des Papillons Blancs de Lille. La rue, Sonia l'a ainsi connue à plusieurs reprises après avoir été mise à la porte d'appartements devenus, souvent malgré elle, le lieu de rencontre de nombreux marginaux de la région de Valenciennes. Après avoir subi des violences et un viol, la jeune fille a finalement été hébergée par le CAUSe voici deux ans.

De même, certaines hospitalisations en milieu spécialisé ne s'expliquent que pour des raisons sociales, comme cette jeune fille hospitalisée, après l'inondation de son appartement, dans un service psychiatrique par des services sociaux. Les sorties précipitées de ces établissements créent des situations d'urgence. Enfin, les phénomènes d'involution, relève Gonzague Peter, directeur du CAUSe, constituent une proportion non négligeable des publics

accueillis au centre. « Ce sont des personnes qui ont une place en centre d'aide par le travail, qui ont leur appartement, vivent avec quelqu'un et pour qui on a mis en place l'accompagnement nécessaire. Bref, des personnes pour qui on a l'impression que rien ne peut arriver et qui pourtant s'enfoncent tout doucement dans un processus de psychiatrisation douce. Elles se mettent à prendre des médicaments, à boire et tout s'enchaîne. Elles perdent leur boulot, les enfants sont placés, l'épouse s'en va, etc. »

Pour elles, le CAUSe constitue la solution de la « dernière chance », la bouée de secours qui permet de reprendre souffle pour y voir plus clair et envisager une situation plus stable et pérenne. L'efficacité de cette structure atypique, dotée d'une équipe de sept salariés, tient à sa réactivité et sa souplesse pour offrir un accueil en urgence. Ainsi, les formalités administratives ont été réduites au minimum, aucune attente d'un passage devant la commission départementale d'éducation spéciale  (CDES) ou d'une notification de la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel  (Cotorep) n'étant par exemple nécessaire pour bénéficier d'un hébergement au CAUSe.

Ne pas s'installer dans le « ronron »

Une autre particularité de ce centre réside dans le fait que ses responsables n'ont pas voulu en faire une « alternative possible en matière d'habitat adapté », mais un lieu d'accueil temporaire. Tout est fait pour respecter cette idée de transition, jusqu'au mobilier volontairement hétéroclite et rudimentaire et au niveau de confort simple, voire sommaire. La durée maximale d'hébergement a, en outre, été fixée à six mois, afin « que la personne accueillie comprenne qu'elle ne doit pas s'installer dans un doux “ronron” et que le travailleur social sache qu'il ne s'est pas débarrassé d'une situation difficile en faisant appel au CAUSe », explique Marie-Pierre Dumont.

A l'issue d'une période de 15 jours, destinée à vérifier la validité de la demande, un contrat tripartite d'hébergement temporaire (engageant la personne handicapée, son référent social ou tutélaire et le CAUSe) est signé. Toujours dans l'objectif de préserver la dynamique de chaque parcours individuel, des réunions mensuelles sont organisées pour observer le travail des équipes du centre, celui du référent et recadrer éventuellement les objectifs définis au départ. Les référents de la personne hébergée doivent notamment exploiter cette parenthèse de plusieurs mois pour travailler à la recherche d'une solution et continuer quoi qu'il arrive à suivre et à prendre en charge leur protégé.

L'équipe du centre profite également de ce séjour pour offrir aux personnes handicapées un cadre à la fois structurant et convivial, à travers une vie de groupe rythmée par des activités et des tâches quotidiennes. « Les personnes que j'amène ici ont besoin de respirer le premier mois et vont parfois se réalimenter ou être l'objet de soins médicaux, raconte Marie-Pierre Dumont. Elles trouvent ici une chaleur et un respect qu'elles n'ont souvent pas rencontrés ailleurs et découvrent aussi autre chose, une prise en charge, une vie quotidienne où l'on apprend par exemple à faire un repas. » Parallèlement à la recherche de solution et au suivi de projet effectués par le référent et l'équipe éducative du centre, la reconstruction de la personne passe donc par ce dosage entre l'apprentissage d'une responsabilisation et de règles liées à la vie de groupe, d'un côté, et les moments de détente, de l'autre. La matinée constitue un moment collectif consacré au partage des tâches quotidiennes, tandis que l'après-midi est un temps plus individuel réservé à des activités d'agrément ou à des animations ainsi qu'à l'examen de la situation de chacun. Examen qui est d'ailleurs l'occasion de prendre en compte la parole de la personne handicapée.

Une parole qui est au cœur du dispositif mis en place par le centre d'accueil, mais qu'il n'est pas toujours facile de concilier avec les réalités éducatives. « Il nous est arrivé de travailler sur un projet tout en sachant pertinemment que la personne allait se “planter”, avoue Gonzague Peter. Je me souviens par exemple d'une femme dont le projet d'aller vivre avec un homme la mettait en danger. Et chaque fois qu'on abordait avec elle ce projet, cela devenait conflictuel. Le travail lors du réexamen mensuel des contrats permet à chaque partie d'exprimer ses desiderata et, après discussion, de noter le minimum de choses sur lequel tout le monde est d'accord et qui nous permet de continuer l'accueil dans le centre. »

Indispensables, les bénévoles

Une vingtaine de bénévoles se relaient durant la journée et la soirée pour encadrer les activités ou les animations et accompagner les personnes handicapées dans les travaux de tous les jours, tels que la préparation des repas, la vaisselle, la toilette, etc. Pas question, pour les responsables, de se passer de la présence de ces équipes bénévoles qui introduisent une relation plus égalitaire avec les personnes hébergées dans la mesure où elle est moins soumise aux enjeux éducatifs. « La soirée, c'est un peu comme si tout le monde se retrouvait en famille, explique Karine Blaevoet, bénévole dans les équipes du soir. Le dîner est un moment d'échange au cours duquel les personnes hébergées viennent raconter ce qu'elles ont fait pendant leur journée, se confier si ça ne va pas, etc. » Sur les 50 personnes handicapées hébergées l'an dernier, « près des trois quarts ont aujourd'hui des situations stables ». Certaines ont trouvé une place en foyer, d'autres ont été orientées vers leur famille d'origine, une famille d'accueil ou des logements autonomes.

Ces bons résultats ne doivent pas, cependant, dissimuler les difficultés rencontrées, notamment auprès des services psychiatriques avec lesquels la collaboration n'est pas toujours aisée. « Il faut qu'il y ait une synergie accrue avec le milieu psychiatrique, en particulier pour que celui-ci accepte plus facilement de prendre en charge des personnes hébergées au CAUSe dont l'état nécessite des soins et qu'il fasse ensuite un travail de suivi de la personne », défend le directeur. Un partenariat en tout cas nécessaire pour réussir véritablement à casser le cercle de l'urgence.

Henri Cormier

DES ORIGINES VARIÉES

En 2000, les principales situations d'urgence qui ont motivé les admissions au Centre d'accueil d'urgence spécialisé (CAUSe), étaient liées à une expulsion d'un milieu précaire (24 %), une perte d'autonomie (24 %), une sortie d'institution, la famille d'origine ou un décès parental. Pour la moitié des personnes accueillies, le séjour au CAUSe a duré moins de deux mois. Parmi elles, 50 %bénéficient de solutions pérennes.

Notes

(1)  Les Papillons Blancs de Lille : 42, rue Roger-Salengro - 59260 Hellemmes - Tél. 03 20 43 95 60.

(2)  CAUSe : 126, Grande-Rue - 59780 Camphin-en-Pévèle - Tél. 03 20 79 33 43. Son budget de fonctionnement de 1,4 million de francs est assuré conjointement par le conseil général, les Papillons Blancs et une participation des bénéficiaires.

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