Nouvelle étape pour la réforme de la loi de 1975 : le texte rénovant l'action sociale et médico-sociale, adopté en première lecture à l'Assemblée nationale le 1er février (1), arrive en discussion au Sénat les 30 et 31 octobre. Comme elles l'avaient déjà fait en janvier avant la précédente échéance (2), six grandes organisations du secteur et l'Union nationale interfédérale des organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss) (3) ont, le 16 octobre, réaffirmé ensemble leur point de vue et leur cohésion sur le sujet.
« Le premier examen a permis d'apporter des améliorations au projet de loi (4), rappelle Jean-Michel Bloch-Lainé, président de l'Uniopss. Il s'agit maintenant de les voir confirmées par les sénateurs. Mais ces avancées n'épuisent pas les demandes des associations. » Première de ces revendications : la reconnaissance de l'apport du monde associatif au secteur. « Hors personnes âgées, le privé non lucratif représente 80 % des capacités d'accueil des établissements et services (5), argumente Jean-Paul Peneau, directeur général de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réadaptation sociale (FNARS). Il faut que la loi reconnaisse les associations et leurs regroupements comme concourant (avec d'autres) à l'élaboration des politiques et que les conséquences en soient tirées pour leur faire place dans les conseils et instances de planification et d'évaluation. »
Autre souhait politique : si la loi place désormais l'ensemble de l'action sociale dans le champ des services « d'intérêt général » auquel l'Union européenne fait une place à part en acceptant de ne pas lui appliquer les seules règles de la concurrence (6), les associations demandent que la notion « d'utilité sociale » soit réservée au seul secteur privé non lucratif.
Sur les droits des personnes à l'intérieur des établissements et services, le projet de loi a été sérieusement enrichi par les députés. Ils ont associé les personnes prises en charge à l'élaboration du projet d'accueil et d'accompagnement qui les concerne et accepté d'adapter les instruments de participation à la diversité du secteur. « Il faut confirmer ces avancées, insiste Dominique Dusigne, directeur adjoint de l'Association des paralysés de France (APF). Mais il faut aussi que le contrat de séjour soit assorti d'une obligation de moyens, pas de résultats. »
Le champ d'application de la loi a déjà été élargi par rapport au texte de 1975. Les associations souhaitent y voir inclure également les services de protection socio- judiciaire et de prévention spécialisée. Plus le secteur de l'aide à domicile intervenant en direction des familles. « Dans 70 % des cas, plaide Jean Vernhet, secrétaire général de l'Union nationale d'aide à domicile en milieu rural (UNADMR), nous intervenons auprès de familles en grande détresse sociale ou qui traversent une période très difficile. D'ailleurs, la qualification professionnelle demandée aux personnels les assimile clairement à des travailleurs sociaux. Enfin, les financements (qui viennent des conseils généraux, des caisses maladie ou d'allocations familiales) sont clairement de type social. » « Nous ne comprenons pas que le gouvernement, qui a intégré les services d'aide aux personnes âgées et handicapées, le refuse pour l'aide aux familles, enchaîne Emmanuel Verny, directeur général de l'Union nationale des associations de soins et services à domicile (Unassad). Les arguments qui nous sont opposés sont vaseux, évolutifs et dilatoires. Ils cachent mal des motifs financiers non avoués et peu fondés, vu l'importance toute relative des 13 000 salariés concernés. »
Autre motif d'insatisfaction : les compétences multiples et croisées qui continuent de régir le secteur, avec souvent plusieurs décideurs intervenant pour le même individu, par exemple quand il s'agit de l'hébergement, de l'emploi ou des soins pour une personne handicapée. « Tactiquement, on nous a conseillé de faire l'impasse sur la question, car s'il fallait aussi revoir les lois de décentralisation, nous ne serions jamais arrivés au bout d'un processus déjà fort long, avoue Patrick Gohet, directeur général de l'Union nationale des associations de parents et d'amis de personnes handicapées mentales (Unapei). Dans l'immédiat, le législateur peut cependant amoindrir les effets négatifs de ces conflits de compétences en instituant, par exemple, une collectivité publique chef de file ou en prévoyant un système de convention sur des objectifs communs. »
Pour ce qui est de la planification des équipements, les schémas doivent être élaborés avec le concours des associations et de leurs groupements, revendiquent les intéressés. « Ils doivent aussi s'appuyer sur une rigueur méthodologique et une sérieuse étude préalable des besoins, avance Philippe Gaudon, directeur du service social et médico-social à la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés (FEHAP). Les schémas actuels sont pour le moins hétérogènes. Certains ne vont guère au-delà de généreuses déclarations d'intention. »
Autre question soulevée : celle des autorisations données pour une durée de dix ans. « L'administration n'a pas la capacité d'absorber la révision de 2 200 dossiers chaque année. Dans 98 % des cas, ce rendez-vous sera purement formel, pronostique Philippe Gaudon. Pourquoi ne pas lier le maintien de l'autorisation aux procédures d'évaluation et de contrôle ? Sachant qu'une évaluation de qualité ne se décrète pas de l'extérieur, mais s'appuie sur une élaboration ou une appropriation de la démarche par les équipes concernées. »
Gros problème : le lien institué par le projet de loi entre l'autorisation de création d'un équipement ou service et la possibilité de le financer. Il faut au contraire établir une « distinction symbolique importante » entre les deux. « L'existence d'un besoin et la qualité d'un projet doivent faire l'objet d'une reconnaissance en soi », suggèrent les acteurs. Celle-ci fournira un point d'appui à la demande sociale, qui pourra d'autant mieux continuer à s'affirmer...
Reste le sujet sensible de la tarification, « qui doit gagner en cohérence », souligne Hugues Feltesse, directeur général de l'Uniopss. Les associations demandent notamment le remplacement du principe des crédits limitatifs par une régulation plus équilibrée, qui fasse la part des besoins sociaux et des contraintes budgétaires. « Nous avons aussi besoin de garanties pour la fixation des enveloppes, ajoute-t-il. Elles doivent s'ajuster automatiquement en fonction des autres engagements pris par la même administration en cours d'année (les accords collectifs par exemple). » Hugues Feltesse débusque aussi le « vice caché » de la nouvelle tarification des établissements pour personnes âgées habilités à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale, qui pourrait entraîner des « discriminations par l'argent ».
Au total, en proposant encore de nombreux amendements aux législateurs, les associations souhaitent, comme le dit Patrick Gohet, que « la première partie du projet de loi, qui affirme haut et fort les droits des personnes, ne soit pas contredite par la seconde partie, qui traite de l'organisation et des moyens ». Avec un dernier vœu, pressant, exprimé par Jean- Michel Bloch-Lainé au nom de tous : que le projet de loi n'attende pas à nouveau neuf mois avant la prochaine étape parlementaire et qu'il soit adopté définitivement par le Parlement avant la fin de la législature.
M.-J.M.
(1) Voir ASH n° 2201 du 9-02-01.
(2) Voir ASH n° 2199 du 26-01-01.
(3) Uniopss : 133, rue Saint-Maur - 75011 Paris - Tél. 01 53 36 35 00.
(4) Voir ASH n° 2201 du 9-02-01 et n° 2202 du 16-02-01.
(5) Le secteur privé non lucratif gère 80 % des places en établissements pour handicapés, enfants et jeunes et 33 % des places pour personnes âgées, soit au total 58 % des capacités d'accueil du secteur social et médico-social.
(6) Voir ASH n° 2229 du 21-09-01.