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L'imagination au secours de la pénurie de professionnels

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Faire face aux besoins de personnels qualifiés dans le secteur des personnes âgées tout en participant à la création d'emplois. Tel est le sens de deux expériences menées dans la Dordogne par des maisons de retraite et dans le Gers à l'initiative de la chambre d'agriculture. Si la première crée une nouvelle formation pour des emplois-jeunes, la seconde permet à des agricultrices d'obtenir leur CAFAD.
Des emplois-jeunes recrutés comme « auxiliaires en gérontologie »

Accompagner la personne âgée dans son quotidien, lui parler, se promener avec elle, prendre le temps, tout simplement, d'être là et d'évaluer ses besoins. C'est la tâche qu'ont à remplir, depuis deux ans, une dizaine d'emplois-jeunes (toutes des femmes) recrutés comme auxiliaires en gérontologie par cinq établissements pour personnes âgées publics et privés de la région de Bergerac, dans la Dordogne. Ce sont loin d'être les seuls « agents de convivialité » à personnaliser les relations dans les maisons de retraite. Mais « ici, nous avons cru, dès le départ, à ce nouveau métier », raconte volontiers le directeur de la maison de retraite de la Madeleine (1), Jean-Paul Montagut, promoteur de l'expérience.

Eviter de « bluffer » les jeunes

« Nous étions engagés dans une démarche qualité, mais en sous-effectifs. La création des emplois-jeunes a été l'occasion de pouvoir démontrer que le secteur gérontologique manquait de personnel qualifié en institution. Même formées un tant soi peu, les aides médico-psychologiques restent axées sur le handicap et les auxiliaires de vie sont la chasse gardée du domicile. » Pas question pourtant de profiter du système et de « bluffer » les jeunes : le projet prévoit d'entrée de jeu un recrutement en contrat à durée indéterminée et, surtout, une formation qualifiante. En contrepartie, les établissements embauchent des jeunes titulaires d'un brevet d'études professionnelles carrières sanitaires et sociales. A la clé, « l'espoir de faire reconnaître un nouveau métier », ajoute Jean-Paul Montagut.

Soutenu par Uniformation (2), organisme paritaire collecteur agréé des fonds pour la formation, le groupement des directeurs de maisons de retraite met en place un comité de pilotage qui regroupe les employeurs, les conseils régional et général, l'Agence nationale pour l'emploi, la direction départementale du travail et de l'emploi, Uniformation et la plate-forme départementale emplois- jeunes. « Cela n'a pas été simple de convaincre tous les partenaires, car certains craignaient la concurrence entre les métiers », reconnaît Sylvain Connangle, directeur adjoint à la Made- leine.

Les efforts des promoteurs vont pourtant payer : s'il leur faut se battre tous les ans pour en obtenir le renouvellement, le conseil régional et Uniformation acceptent de financer à 100 % le coût de la formation. Et le conseil général prend en charge 10 % de la rémunération des emplois-jeunes restant à la charge des employeurs moyennant leur adhésion à la charte qualité départementale.

La direction de la Madeleine travaille d'arrache-pied sur le contenu de la formation et monte avec le cabinet d'ingénierie bordelais 3 IE un référentiel : portant au départ sur 870 heures, il est ajusté, au fur et à mesure, avec l'aide du comité de pilotage. Au menu, les notions d'accompagnement, d'accueil, de communication et d'évaluation des besoins de la personne âgée.

Pour faciliter l'intégration des stagiaires, qui alternent travail en maison de retraite et formation, et encourager les professionnels, quelque peu sceptiques, à leur faire une place dans les équipes, trois infirmières et une maîtresse de maison se transforment en tuteurs. Elles aussi formées, puis membres du comité de pilotage, « elles se sont appropriées la culture gérontologique que véhiculaient les jeunes », constate avec satisfaction Sylvain Connangle.

En 2000, le projet - assorti d'un référentiel métier et compétences - est adressé à la commission paritaire nationale pour l'emploi  (CPNE), qui émet très vite une réserve de taille : pas question de créer un nouveau métier, ni un diplôme.

En revanche, intéressée par la formation et l'activité concernée, celle-ci demande d'élaborer des passerelles avec les métiers existants donnant lieu à certification, comme les aides médico-psychologiques et les aides-soignantes, et de recaler la formation prévue sur 570 heures pour « coller » au niveau V. Les promoteurs se plient à cette consigne et bâtissent ladite passerelle en concertation avec un organisme local de formation d'aides médico-psychologiques et 3 IE.

De son côté, la plate-forme départementale emplois-jeunes reprend le projet du groupement de Bergerac, réalise une étude complémentaire sur les activités des emplois-jeunes, et propose un référentiel métier plus large, intitulé « Auxiliaires en gérontologie sociale ». Lequel est transmis au ministère de l'Emploi et de la Solidarité.

Dopée, la CPNE décide de reconnaître la formation au niveau V, mention animation-vie quotidienne, et la passerelle avec le diplôme d'aide médico-psychologique moyennant un module complémentaire de formation de 70 heures. Celui-ci pouvant également servir en retour à des aides médico-psychologiques désireuses de travailler auprès de personnes âgées dépendantes et faciliter ainsi la mobilité professionnelle.

« Une petite révolution », considère Didier Tronche au nom de l'Union des fédérations et syndicats nationaux d'employeurs sans but lucratif du secteur sanitaire, médico-social et social (Unifed), collège employeur de la commission paritaire nationale pour l'emploi. « C'est la première fois qu'un référentiel emploi est validé avant les administrations de tutelle et signé déjà par trois organisations syndicales - CFTC, CGT, et CGC - qui vont négocier son inscription dans les conventions collectives. » Un fait acquis pour la convention de 1966. Conséquence : les jeunes formés pourront bénéficier du même salaire que les niveaux V, à condition qu'ils suivent cette formation-là... et pas une autre. Sollicitée, la direction générale de l'action sociale pourrait la reconnaître officiellement. « L'important, souligne l'équipe de la Madeleine, sereine face aux enjeux de ce marché, c'est que cette formation puisse essaimer dans d'autres départements. »

Dans la Dordogne, l'expérience va être renouvelée en partenariat avec des établissements de départements limitrophes. Quant à la pérennisation des postes, elle semble sur la bonne voie. Si ceux d'aides médico-psychologiques sont, dans le cadre de la future allocation personnalisée d'autonomie versée en établissement, financés uniquement sur les budgets soins et dépendance, on voit mal pourquoi il en irait autrement pour les futures auxiliaires en gérontologie. Mieux entourées, les personnes âgées ne devraient pas pour autant en être de leur poche.

D. L.

DES RÉSULTATS ENCOURAGEANTS

Le niveau des candidates lors du recrutement (en grande majorité titulaires du BEP carrières sanitaires et sociales) effectué en 1999 explique leurs bons résultats. En juin 2001, toutes ont obtenu le certificat validant leur formation d'auxiliaires en gérontologie attribué par un jury composé de directeurs de maisons de retraite publiques et privées (extérieurs à l'expérience), de cadres et d'un représentant du cabinet 3IE. Aujourd'hui, elles continuent à exercer leurs fonctions, leurs contrats ayant été pérennisés. Quelques-unes vont utiliser la passerelle pour accéder au diplôme d'aide médico-psychologique (AMP). « Et ce ne seront pas des AMP bis », prévient Sylvain Connangle, directeur adjoint à La Madeleine. Lequel explique au contraire que la formation gérontologique qu'ont obtenue les candidates, doublée de celle d'AMP (surtout centrée sur le handicap), rendra les intervenantes « particulièrement efficientes » dans l'accompagnement des personnes âgées. Enfin, l'avenir de la formule, inscrite dans le cadre des emplois-jeunes, devrait être assuré. Il est probable en effet que les organismes paritaires collecteurs agréés prennent en charge la formation dans le cadre du contrat de qualification. Nul doute qu'un tel dispositif arrive à point nommé, au moment où la mise en place prochaine de l'allocation personnalisée d'autonomie génère des inquiétudes sur le manque prévisible de personnels qualifiés d'accompagnement.

Des agricultrices se forment à l'aide à domicile

Lier une formation sociale au développement local et à la création d'emplois : c'est le résultat presque inattendu de la démarche, entamée voilà six ans, par Christiane Pieters, présidente de la cham- bre d'agriculture du Gers (3), lorsqu'elle prend conscience de la situation de certains exploitants agricoles du département, confrontés à la transformation du milieu rural :ouverture européenne, diminution de la production, et baisse significative des revenus. « Certaines agricultrices, outre leur activité sur l'exploitation, avaient besoin d'un complément de

ressources, d'autres avaient du temps libre, d'autres encore une personne dépendante à charge. Il y avait un besoin ; il fallait imaginer une solution pour les aider et créer des emplois. Mais la chambre d'agriculture ne pouvait agir seule », se souvient-elle.

Elle réunit alors un groupe de pilotage expérimental associant l'ensemble des partenaires locaux dont la direction départementale du travail et de l'emploi (DDTE), les directions régionale et départementale des affaires sanitaires et sociales, la Mutualité sociale agricole, les conseils général et régional, un organisme de formation, etc. La DDTE souffle l'idée d'une formation menant à un diplôme - le certificat d'aptitude aux fonctions d'aide à domicile  (CAFAD)  -, « ce qui paraissait cohérent compte tenu du vieillissement de la population, du peu d'emplois salariés et de la faible densité du département », reconnaît-on à la chambre d'agriculture. Avec l'aide du centre de l'Essor (4), situé près d'Auch, à Mauvezin, qui forme déjà au CAFAD, et le soutien de principe de la direction régionale des affaires sanitaires et sociales  (DRASS), le projet- expérimental la première année -prend vite forme.

Une convention va lier le centre de formation et la chambre d'agriculture (qui finance cette reconversion sur le fonds de formation départemental des exploitants agricoles) avec une aide au démarrage de la direction départementale du travail et de l'emploi. Epaulé par le service social de la Mutualité sociale agricole, le service des agriculteurs en difficulté s'occupe de « recruter » les agricultrices susceptibles d'être intéressées.

Après une évaluation destinée à tester leur niveau, et leur éviter ainsi un éventuel échec, les candidates préparent leur diplôme, aménagé sur deux jours par semaine pendant un an. « Il fallait qu'elles soient vraiment motivées », reconnaît aujourd'hui Eric Lacombe, directeur du centre de formation de l'Essor. « Car reprendre des études leur faisait peur. Et il fallait cumuler avec deux autres activités : les stages d'aide à domicile et le travail sur l'exploitation. » Pour les aider à vivre ce changement, un centre de bilan de compétences est associé au projet pendant le temps de leur formation.

Plein succès : les agricultrices trouvent toutes, au cours de leur stage ou à la sortie du diplôme, un emploi à proximité de chez elles : soit auprès d'un centre communal d'action sociale, soit en gré à gré, soit

via une association mandataire. « Les employeurs sont contents de trouver des salariés formés -car ils n'ont souvent pas les moyens de le faire eux-mêmes - et habitués, de par leur expérience, à prendre des responsabilités. » D'un côté, les agricultrices apprennent à travers la

formation à utiliser leurs compétences en dehors de chez elles et à les adapter en fonction des personnes et d'une déontologie. De l'autre, bon nombre de personnes âgées en milieu rural, obligées d'accepter l'intrusion d'une « étrangère » chez elles, apprécient que l'aide à domicile soit une relation de voisinage.

D'année en année, la formation a été reconduite. 70 personnes sont aujourd'hui titulaires du CAFAD et peuvent se perfectionner grâce aux journées de formation continue.

Avenir prometteur pour cette formation

« L'évaluation du suivi et l'évolution de l'offre d'emploi démontrent que cette formation est un vrai débouché », assurent de concert Christiane Pieters et Eric Lacombe. Ce qui a encouragé la chambre d'agriculture à poursuivre. Et même à bénéficier d'un financement européen en répondant à un appel d'offres concernant la création d'emplois féminins en milieu rural.

Localement, le conseil général regarde, semble-t-il, la démarche avec intérêt avec l'idée d'étendre l'accueil familial de personnes âgées auprès de familles d'agriculteurs présentant ainsi des garanties de stabilité et de compétences.

Autre piste : le développement de l'accueil temporaire pour le week-end et les vacances. « Le marché est immense : il va falloir du personnel qualifié pour assurer aux personnes âgées un minimum de garanties », assure Eric Lacombe qui se félicite de ce partenariat avec la chambre d'agriculture et de l'ingénierie locale qui s'est mise en place. « Cette action nous a permis de nous inscrire dans le tissu local, de connaître le monde rural avec lequel nous avions peu de contacts. » Et elle contribue ainsi à maintenir les habitants au pays et les anciens à domicile .

Dominique Lallemand

ANNE-MARIE DUPUY : « UN REGARD DIFFÉRENT SUR LES ANCIENS »

Technicienne agricole, Anne-Marie Dupuy, 38 ans, a été l'une des premières à obtenir son certificat d'aptitude aux fonctions d'aide à domicile  (CAFAD) « agricole ». Une fonction qu'elle exerce un peu plus de trois heures par jour, auprès de quatre personnes âgées du voisinage, à quelques kilomètres de son village, Brugnens. Ayant à charge un parent âgé, elle a profité de l'occasion offerte par la chambre d'agriculture pour anticiper. Et imaginer qu'un jour, elle pourrait accueillir chez elle, à titre onéreux, des personnes âgées. Grâce à la formation, elle estime « poser un regard différent sur les anciens, mieux comprendre leurs problèmes, leur angoisse, leurs doutes. Au-delà du ménage, j'ai un rôle de conseil pour l'hygiène et l'alimentation, mais aussi d'alerte et de veille auprès de la famille et du médecin. » En milieu rural, la visite de l'aide-ménagère est bien souvent la seule que reçoit la personne âgée dans la journée. Elle sert à la fois au maintien à domicile et au lien social. Avec le recul, Anne-Marie Dupuy considère que « la formation devrait mettre l'accent sur les relations avec les familles. C'est souvent le plus difficile à gérer », même à la campagne.

Notes

(1)  Maison de retraite de la Madeleine : 40, rue du Maréchal- Joffre - 24100 Bergerac - Tél. 05 53 63 64 00.

(2)  Uniformation : 15, rue Rode - 33000 Bordeaux - Tél. 05 56 51 66 49.

(3)  Chambre d'agriculture du Gers : route de Mirande - BP 161 - 32003 Auch cedex - Tél. 05 62 61 77 77.

(4)  Centre de l'Essor : 6, place du Foirail - 32120 Mauvezin - Tél. 05 62 06 78 89.

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