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Accueillir le jeune enfant pour mieux le protéger

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Pour éviter des dégâts irréversibles chez les jeunes enfants souffrant de retards de développement et/ou de carences affectives, des haltes-garderies du Haut-Rhin les accueillent et accompagnent leurs familles tout en s'efforçant de préserver la relation parentale.

« L'accueil de jeunes enfants à protéger en mode de garde collectif » est un projet innovant qui s'est élaboré en 1999 sous l'impulsion du service de protection maternelle et infantile  (PMI) du conseil général du Haut-Rhin (1). Il découle d'un constat : pris en charge en structure classique (crèche, halte-garderie, accueil périscolaire...), des petits souffrant de troubles liés à des carences familiales se sécurisent, s'éveillent et acquièrent des repères absents au foyer. En même temps, le lien maintenu avec les parents, confirmés dans leur rôle par les professionnels, évite souvent un signalement ou un placement. Le dispositif prévoit un financement, total ou partiel, des frais de garde et éventuellement de transport par le département.

Comment les difficultés des familles sont-elles repérées ? « En consultation, des signes nous alertent, précise Anne Salze, médecin de PMI, retard psychomoteur, déficits sensoriels, troubles du langage. Un regard croisé avec celui de la puéricultrice qui observe l'enfant chez lui et celui de l'assistante sociale qui suit la famille permet de détecter d'autres difficultés. Chez l'enfant : relation fusionnelle avec la mère, comportement agité ;chez les parents : problèmes psychiques, couples en conflit, négligences éducatives, manque d'hygiène... »

Le dispositif est mis en place pour une durée renouvelable de six mois. A l'issue de cette période, le bilan est dressé par le travailleur médico-social et la structure en concertation avec les parents. Soit l'accueil se termine, soit il est prolongé en mode de garde collectif ou en accueil périscolaire ; quand il est interrompu, c'est que l'enfant est scolarisé ou orienté vers une structure spécialisée ou encore placé par le juge.

Déjà, depuis le milieu des années 90, la halte-garderie du centre médico-social Nations à Mulhouse offrait aux familles en difficulté ou « à risque » la possibilité de confier leur enfant, un après-midi par jour ou deux à trois journées par semaine, à des professionnelles de la petite enfance. A l'époque, cette alternative au placement pouvait être financée par l'allocation d'aide à l'enfance et ne donnait pas lieu à un contrat avec les parents.

L'intérêt du nouveau dispositif est de promouvoir un nouvel outil d'accompagnement social et financier des familles. Celles-ci deviennent des partenaires qui, pour la plupart, signent un protocole tripartite avec le travailleur médico- social et la structure. Elles sont invitées à participer à toutes les étapes du projet, de la mise à plat des difficultés à l'évaluation de l'action, en passant par les objectifs définis en commun : aide à la séparation mère-enfant, pose de limites éducatives, canalisation de l'agressivité, apprentissage de la propreté, stimulation du langage, socialisation...

« Quand je négocie avec les parents, mon objectif est de leur montrer qu'avec notre soutien ils peuvent être compétents et que la halte-garderie, ouverte à tout le monde, est un milieu qui ne les stigmatise pas », observe Claude Loudet, assistante sociale aux Nations. « Le regard des structures d'accueil est différent du nôtre et complémentaire, poursuit Lysiane Lemercier, sa collègue puéricultrice. Les éducateurs de jeunes enfants voient les petits plus longtemps que nous et observent leurs relations avec les autres enfants. »

La volonté commune des intervenantes, qui n'ont pas attendu la mise en place du dispositif pour collaborer, est d'insuffler de la confiance à la famille. Obligées de sortir de chez elles à des heures régulières, les mères s'ouvrent vers l'extérieur. En communiquant avec l'équipe de la halte, en regardant les éducatrices agir avec leur enfant, elles évoluent et s'en occupent mieux. Mais elles ont des hauts et des bas. Et si l'une s'éclipse, la structure le signale aussitôt au travailleur médico- social qui va écouter la femme exprimer son mal-être en lui laissant la liberté de ses choix, sauf réel danger pour l'enfant. « On n'est pas dans l'injonction, insiste Claire Lang, responsable de circonscription. Si l'on veut avancer, il faut que ce qui se fait avec la famille ait un sens pour elle. »

« Attention à ne pas déposséder les parents, renchérit Odile Collange, directrice de la halte-garderie Les Coteaux à Mulhouse. Est-ce qu'on n'a pas “tout faux” quand on propose un système de garde aux familles alors même que le problème est justement la déficience du lien parent- enfant ? Il faut faire en sorte que la mère, le père, viennent, qu'ils restent un peu avec leur enfant, jouent avec lui. En vivant avec les parents, nous les associons à nos gestes éducatifs. » « Nous leur montrons que leur enfant n'est pas qu'une charge, qu'il fait des belles choses ici », remarque Jeanne Magail, éducatrice de jeunes enfants aux Coteaux.

Si ce nouveau dispositif est jugé globalement satisfaisant, l'évaluation menée auprès des équipes de circonscription (voir encadré au recto) n'en souligne pas moins les limites : manque de places dans les structures et manque de temps des personnels surchargés. Même problème pour les partenaires médico-sociaux insuffisamment disponibles pour accompagner les familles. Certaines d'entre elles refusent pour leur enfant un accueil dont il aurait bien besoin. D'autres acceptent, puisque c'est gratuit, mais sans grande conviction. Même si le financement du département peut être total, de plus en plus de structures demandent à la famille une participation minimale de 20 %, dans l'objectif de la responsabiliser. Et, en cas de renouvellement, elles l'incitent à prendre le relais ou au moins à augmenter sa quote-part.

Pour impliquer les parents, la tendance est de formaliser l'engagement des parties par écrit, une procédure qui n'est pas encore adoptée partout. « Notre idée est d'aller vers la contractualisation, sans l'imposer aux familles », commente Anne-Catherine Schoeffler, médecin-chef par intérim des actions de PMI à la direction de la solidarité du département du Haut-Rhin.

Aux Cigogneaux, halte- garderie de Rouffach, où sept petits en difficulté sont pris en charge avec succès, les parents ne signent rien. Pour ne pas les brusquer ? « Avec eux, tact et douceur s'imposent : il faut choisir ses mots, éviter les jugements », explique Frédérique Koch, éducatrice de jeunes enfants. Destinée en majorité au personnel du centre hospitalier, la structure qui accueille aussi des enfants de patients, sollicite, le cas échéant, les conseils du service de pédopsychiatrie. Mais le souhait de Maryse Kerul, sa directrice, serait de pouvoir faire appel à un psychologue qui viendrait observer enfants et adultes sur place et apporterait son éclairage.

Avec le dispositif, un poste de psychologue de PMI a été créé. Si Marie- Madeleine Doubs peut recevoir en entretien les parents et, avec leur accord, voir leur enfant, l'essentiel de son travail, c'est d'écouter les équipes, de comprendre ce qui les interpelle, les déroute. A leur demande, elle aborde divers thèmes, mais n'est pas là pour faire de la supervision. Jusqu'ici une dizaine de structures l'ont sollicitée.

Il faudrait dégager des moyens pour permettre aux équipes de participer à des groupes de parole et à des formations. Et pour recruter et former des assistantes maternelles en milieu rural en vue d'accueillir des enfants à problèmes, éloignés de tout mode de garde. D'autres besoins sont apparus : un suivi en accueil périscolaire pour les plus de 6 ans, et des lieux-relais pour répondre à l'urgence. Au multi-accueil Lavoisier, cinq places occasionnelles vont être créées. « L'idée est de permettre aux parents d'accepter immédiatement une offre d'emploi ou de stage et de les aider à trouver une solution de garde », explique Huguette Abikhalil, responsable petite enfance.

Parmi d'autres pistes avancées pour améliorer le dispositif : le développement de la contractualisation et un meilleur partage des informations. L'outil a fait évoluer les pratiques, même si les professionnels ne sont pas tous en phase quand il s'agit de considérer les parents comme de vrais partenaires. Certains travailleurs sociaux se méfient d'un accord cosigné. D'autres estiment qu'eux-mêmes sont seuls compétents pour rédiger le bilan et que les familles n'ont pas à avoir ce bilan. Parfois réticents envers les parents, des intervenants sociaux invoquent également le secret professionnel vis-à-vis des structures, une attitude plutôt dictée par une hésitation sur le choix des informations à diffuser.

Si des divergences d'appréciation persistent entre partenaires, l'enquête révèle qu'ils sont plutôt satisfaits de leur coopération : les travailleurs médico- sociaux s'enrichissent d'un autre regard sur les familles qu'ils accompagnent, tandis que les professionnels des structures se sentent reconnus dans un rôle social donnant un sens nouveau à leur travail.

Françoise Gailliard

OUTIL DE PROTECTION ET DE PRÉVENTION

Le dispositif « l'accueil de jeunes enfants à protéger en mode de garde collectif » a fait l'objet d'une évaluation. Après six mois de prise en charge par 42 structures (sur 71 dans le Haut-Rhin), l'observation des enfants a montré que 95 % d'entre eux en ont tiré profit. Quant aux parents, 70 % ont participé au projet. Et dans la moitié des situations, on note une évolution personnelle positive et/ou une amélioration des attitudes parentales. Sur les 136 enfants accueillis au cours du premier semestre 2000 : 120 l'étaient en halte-garderie, 9 en crèche collective, 6 en centre de loisirs sans hébergement, 1 en jardin d'enfants. On comptait 113 petits de moins de 3 ans. Les puéricultrices venaient en tête des orientateurs  (90), suivies par les assistants sociaux  (34). La majorité des projets entrait dans le cadre de la prévention ; seules sept demandes étaient ordonnées par le juge des enfants.

ACCOMPAGNER L'ENFANT ET SES PARENTS

A 2 ans, ce petit garçon hyperturbulent était intenable. L'éducatrice qui suivait la famille dans le cadre d'une mesure d'action éducative en milieu ouvert a alors proposé qu'il soit pris en charge, quelques heures par jour, en halte-garderie. Un an plus tard, « il a fait d'énormes progrès, se réjouit Fanny Gianolio, éducatrice de jeunes enfants à la halte-garderie Lavoisier de Mulhouse. Il est prêt à aller à l'école. Seulement sa mère a passé les délais d'inscription et voudrait qu'on le reprenne. Il va falloir intervenir à la maternelle pour qu'il soit accepté. » En effet, il ne suffit pas d'entourer et de stimuler l'enfant, il faut aussi soutenir ses parents, souvent d'ailleurs des femmes seules, débordées, qui voudraient souffler mais qui ne se sentent pas autorisées à l' « abandonner ». C'est d'abord au travailleur médico-social à l'origine de la demande- généralement la puéricultrice de la protection maternelle et infantile ou l'assistant social - de convaincre la mère. A moins qu'elle n'y soit contrainte par une mesure judiciaire. Après l'inscription en structure d'accueil, un délicat travail d'approche s'avère nécessaire de la part des éducateurs de jeunes enfants de la structure pour établir les premiers liens de confiance. Les mères ont le sentiment d'être dépossédées, et il faut du temps pour les apprivoiser. Certaines oublient de venir ou ne respectent pas les horaires. « Dès que je ne les vois plus, je passe par la puéricultrice pour qu'elle agisse auprès des mères, explique Fanny Gianolio. Et quand je les tiens, je ne les lâche plus ! » « S'ils reconnaissent les difficultés de leur enfant, souvent les adultes changent ensuite d'avis et disparaissent, analyse Laure Miellet, puéricultrice. Et puis un jour, ils ont compris. Mais c'est aussi le résultat de tout un travail fait par d'autres professionnels. »

Notes

(1)  Docteur Schoeffler, PMI-PS, Hôtel du Département : 7, rue Bruat - BP 351 - 68006 Colmar - Tél. 03 89 22 66 50.

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