« Ils sont sur le sol français, y sont nés ou y résident. Ils y sont tolérés, le plus souvent légitimement du point de vue de la loi, car ils ont des titres de séjour, des papiers leur permettant d'être ici. Pourtant, ils sont dans un processus de droits limités, distribués avec parcimonie selon leur statut, et souvent en fonction de la bonne volonté des préfectures. Ainsi, l'Etat reconnaît un droit à la régularisation de ces personnes, et entre-temps, ne leur donne que le droit d'attendre l'ouverture potentielle de leurs droits. Il leur est alors impossible de trouver un logement[...].
Les situations d'errance, et parmi elles, la multiplication des errances de groupes familiaux, s'accumulent sans trouver d'issue satisfaisante. Exemple : à Lyon en mars 2001,13 associations travaillant à l'accueil du public [...] ont dénombré 283 ménages à la rue, ou sur le point de l'être, sans solution d'hébergement. Ces personnes que l'on a- malheureusement - pris l'habitude de définir par un manque (les “sans-droit”, les “sans-logement”, les “sans-papiers”) sont des demandeurs d'asile territorial, des demandeurs d'asile conventionnel en première instruction de leur dossier ou en recours, des détenteurs d'un titre de séjour de moins de trois mois, des personnes aspirant à vivre à cheval sur la frontière, des touristes et des apatrides, enfin, toutes les personnes qui ont un statut administratif précaire. [...]
La multiplicité des statuts aboutit à la création d'un sous-statut de l'asile : l'asile territorial, qui n'ouvre pas de droits équivalant à ceux de l'asile politique pendant la durée de la procédure. Les requérants de ces formes d'asile n'ont en effet droit à rien, si ce n'est à l'aide médicale d'urgence. [...] Aucune structure n'est prévue pour ces demandeurs qui n'entrent pas dans le dispositif France terre d'asile. Ces personnes en détresse économique n'ont parfois pas d'autre recours que le squat[...]. Elles font aujourd'hui partie de la problématique “sans-abri”. [...] Pourtant, elles ne représentent pas une population fondamentalement différente des autres demandeurs, du point de vue de la structure familiale en particulier. Pour ces familles, c'est le système qui a créé l'impossibilité de se loger et le recours à des formes dégénérées du logement.
Ainsi, l'idée que ce n'est pas la France qui accueille, mais un parent ou un ami hébergeant est devenu progressivement la doctrine implicite dans le secteur associatif et dans l'administration. Lorsqu'elles sont accueillies, c'est dans les foyers de sans domicile fixe, pour une courte période, avec au bout, la rue. Pour des solutions à peine plus stables et un peu plus durables, il reste les chambres des foyers de travailleurs en allocation de logement temporaire (ALT) et les logements en ALT. [...] Enfin, le droit au séjour n'est accordé initialement que pour un an (avec droit au travail). La protection qui en découle reste donc bien en retrait par rapport à l'asile conventionnel ou constitutionnel.
La question du droit au séjour et du conditionnement des droits sociaux se pose au-delà de celle de l'asile. Touchant toutes les catégories d'immigrés, l'injonction à s'intégrer implique beaucoup de devoirs contre bien peu de droits. [...] Les détenteurs d'une carte de séjour d'un an ou plus, détenteurs d'un permis de travail ou d'une carte de résident obtiennent néanmoins quelques droits sociaux. Ceux-ci sont cependant mis sous condition par l'administration. Pendant longtemps, la condition de régularité du séjour n'était pas systématiquement exigée. Aujourd'hui, beaucoup d'étrangers se retrouvent exclus du bénéfice des prestations alors qu'ils ont cotisé. Ainsi, les étrangers retournés dans leur pays d'origine sont, parfois, dans l'incapacité de faire valoir leurs droits à la retraite. [...]Rappelons aussi que s'il a cotisé durant toute sa vie active, l'étranger retraité qui retourne vivre dans un pays étranger perd définitivement sa couverture maladie. Cette situation est d'autant plus injuste que cet étranger est contraint de contribuer au système d'assurance maladie jusqu'à sa mort : sa pension de retraite continue d'être diminuée des cotisations sociales destinées à une assurance maladie dont il est définitivement exclu !
Par ailleurs, depuis 1987, les enfants étrangers venus rejoindre leur (s) parent (s) établi (s) en France en dehors de la procédure du regroupement familial n'ouvrent plus droit aux prestations familiales, bien que les parents versent des cotisations. La condition de régularité de séjour des étrangers, de leur conjoint, et de leurs enfants est devenue la règle pour la quasi-totalité des dispositifs sociaux. [...] La conjonction du durcissement des textes sur le séjour et le travail des étrangers et des conditions d'accès aux droits sociaux aboutit à exclure de nombreux étrangers des droits fondamentaux normalement garantis.
Depuis le début des années 90, on voit se multiplier des situations d'errance familiale ou d'isolés humanitairement préoccupantes. Des groupes de dix à quarante personnes, demandeuses d'asile conventionnel ou territorial, sont laissés à la marge des structures d'accueil. En attendant l'ouverture de leurs allocations d'insertion, pour celles et ceux qui y ont droit, ou une improbable place en centre d'accueil des demandeurs d'asile (5 000 places pour 40 000 demandes d'asile), ils vont de centre d'hébergement de nuit en foyer, jusqu'à épuisement total du dispositif. [...]
Les structures existantes ont généralement été créées alors que les besoins étaient différents, pour répondre à une logique d'insertion et de lutte contre la pauvreté. La principale difficulté des personnes arrivant en France aujourd'hui est administrative. Elles n'ont pas tant besoin d'un suivi social que de papiers, d'un logement. Ainsi, tant en termes de quantité que de qualité, les foyers pour travailleurs immigrés, les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, les foyers de nuit, n'apportent pas de prestation correspondant à l'errance qui n'est due qu'à une pauvreté administrative. [...]
Comment justifier la politique d'accueil de la France, quand elle donne un droit au séjour à des milliers de personnes mais ne prévoit rien pour que ces personnes puissent vivre décemment ? [...]
En fait, on se retrouve face à un paradoxe : limiter au maximum l'accueil par crainte des tensions qui résulteraient d'une présence trop importante d'étrangers en France, et par conséquent, fabriquer du sans-abrisme ; les étrangers sans abri devenant du coup le problème, et le facteur, de tension central dans les dispositifs sociaux. Pour que les demandeurs d'asile ne soient pas une source de pression au sein de la société, et surtout, pour que leur nombre ne s'accroisse pas trop par rapport au nombre de demandeurs d'asile dans les autres pays européens, la solution bien souvent adoptée par l'Etat est la politique de l'autruche. Cependant, le fait que rien ne soit prévu pour eux rend leur présence intolérable. Contraindre les gens au squat, à une précarité physique et morale dangereuse constitue un risque réel pour la sécurité des personnes ainsi que pour l'ordre public. La France pourrait sans doute arriver aux mêmes résultats de sécurité avec d'autres méthodes. Au-delà de la question politique de l'accueil, celle de son coût est également invoquée. Cependant, les expériences européennes, notamment en Allemagne et aux Pays-Bas, convergent sur le constat qu'il revient plus cher de “réparer” les situations d'urgence que de les prévenir. L'hébergement et les nuits d'hôtel de dernier recours coûtent plus cher au citoyen qu'une politique bien conduite d'aide publique favorisant le logement de tous.
Ainsi, il serait sans doute temps de revoir la politique d'accueil de la France, et la définition des statuts des étrangers sur le territoire. En effet, les gens n'ont pour seul recours que de demander l'asile en France. Or cela ne correspond pas à la réalité de tous, l'asile politique perd son sens, et les demandeurs de ce type d'asile sont systématiquement soupçonnés d'être des immigrants économiques. De plus, au regard du vieillissement de la population française, il va falloir recourir à l'immigration économique. Il s'agit donc d'organiser également cet accueil-là, en créant un nouveau titre de séjour, pourquoi pas conditionnel d'un emploi dans les six mois de l'entrée en France (comme cela existe pour les citoyens européens, par exemple). Dans tous les cas, il faut limiter au maximum la précarité sociale et administrative des arrivants, trop souvent la raison du recours au travail clandestin, ou de situations d'esclavage moderne. L'asile territorial, établi comme un sous- asile, devrait être réformé, pour offrir la même protection que l'asile politique ; le refus d'asile territorial devrait ouvrir droit à un recours, afin de faire de cet asile un droit réel. Une restauration du droit au travail pour tout demandeur d'asile permettrait à ces personnes d'assurer dignement leur subsistance durant le temps d'examen de leur demande. Se pose également la question d'une dérogation préfectorale, indispensable pour l'accès des réfugiés au revenu minimum d'insertion, qui n'est pas prévu dans le cadre de l'asile territorial temporaire.
Devant le vieillissement du modèle d'aides sociales, il faut repenser les différentes protections, afin qu'elles ne soient plus facteurs d'exclusion. Ainsi, faire rentrer l'habitat et la nourriture dans la même logique de protection sociale que l'école ou la santé, ne semblerait pas anormal. L'aide personnalisée au logement et les prestations familiales sont acquises avec la carte de séjour temporaire ; pourquoi pas alors avec une autorisation provisoire de séjour ? La restauration des aides au logement pour tout détenteur d'un titre de séjour résorberait la crise de l'hébergement. Une décision politique claire permettrait aux différents acteurs concernés, ministères, communes et partenaires sociaux, d'identifier dès maintenant les logements susceptibles de recevoir des familles de réfugiés dans des conditions satisfaisantes, afin d'élargir l'offre. De plus, lorsqu'il y a des arrivées massives de demandeurs d'asile, on devrait pouvoir mobiliser utilement les moyens déjà existants dans les lieux d'arrivée (réquisition de lieux vacants, gymnases, casernes, hôpitaux...) [...]. En plus d'un élargissement de l'offre de logement, il faut réétudier les solutions déjà existantes, en partant des besoins des personnes demandeuses. Ainsi, il serait urgent d'arrêter la “segmentation” des publics, qui aboutit au dispersement des familles dans des centres parfois très éloignés les uns des autres. Après le droit au séjour, le droit à séjourner dignement reste donc à instaurer, et ne pourra l'être que dans le respect de la dignité des personnes. »
Béatrice Coletti ALPIL : 12, place Croix-Pâquet - 69001 Lyon -Tél. 04 78 39 26 38.
(1) Association lyonnaise pour la promotion et l'insertion par le logement.