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Réinventer la politique d'éducation de l'enfant déficient

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E n réaction à une tribune libre parue dans nos colonnes, Bernard Dehouck, enseignant dans un institut médico-éducatif (IME), revient sur l' « opposition » entre instituteurs et éducateurs intervenant auprès des enfants inadaptés. Il plaide en faveur d'une complémentarité « nécessaire au service de l'épanouissement des jeunes ».

« La tribune libre intitulée “Instituteurs-éducateurs : à chacun sa place” (1), m'a donné envie de réagir. En effet, cette démarche de clarification des rôles et des spécificités des divers intervenants dans le secteur médico-social, principalement en IME, est pour moi un sujet de réflexion permanent et récurrent, depuis de nombreuses années. Cette demande de clarification des spécificités et des statuts émane d'ailleurs, à la fois, des éducateurs et des instituteurs, tout au moins pour certains d'entre eux. C'est aussi une quête d'identité professionnelle et de reconnaissance des fonctions. La difficulté vient surtout du fait que les enseignants sont, d'une part, assujettis au modèle tutélaire et hiérarchique de l'Education nationale (EN) et, d'autre part, ont à appliquer parallèlement les annexes XXIV, en ce qui concerne la pédagogie et la nécessité de s'intégrer à une équipe pluridisciplinaire et aux projets individualisés tenant compte des diverses pathologies.

Je suis enseignant depuis plus de 20 ans dans un IME. Enseignant, c'est-à-dire instituteur, maître agréé de l'Education nationale, mais de statut privé bien que payé par l'Etat. J'ai un CAP d'instituteur (aujourd'hui “professeur des écoles”) et un demi CAPSAIS (2) préparé en cours d'emploi.

Ce problème de la répartition des rôles et de la définition des missions, je le rencontre et l'analyse pratiquement chaque année. J'ai connu tous les âges, tous les types de pathologies et tous les cas de figure de l'organisation professionnelle et de la relation interdisciplinaire : de la collaboration directe instituteur/éducateur (et même la cohabitation dans le même local) à l'absence ou au refus plus ou moins formulé de collaboration, en passant par la collaboration à distance, jusqu'à l'autonomie complète au sein d'une classe transférée, dite “intégrée” au sein d'une école primaire publique, grâce à une convention d'intégration.

Ce qui me fait réagir dans l'article de la tribune, c'est qu'on en soit encore à opposer instituteurs et éducateurs, en tout cas dans le secteur médico-social et dans les institutions qui accueillent justement des enfants qui ont été en quelque sorte exclus du suivi scolaire et éducatif ordinaire. Cette opposition est sans doute due, d'un côté (celui des enseignants), à un vieil héritage idéologique, mal clarifié aujourd'hui, et, de l'autre (celui des éducateurs et des institutions), à un manque de lisibilité des méthodes et des missions. Les deux étant victimes d'un flou, voire d'un brouillard épais, quant à la formalisation politique et philosophique des rôles, des statuts, des missions et des conditions de mise en œuvre de cette nécessaire complémentarité au service de l'épanouissement des jeunes.

Pour une clarification des rôles

Bien sûr, les textes, qu'ils soient de l'EN ou de la Santé, recommandent la clarification des rôles et des fonctions. C'est une évidence et une nécessité. Mais il est regrettable que cette distinction, à fin de clarification structurante pour ceux qu'on accueille, devienne une opposition, à la fois de philosophie et de statut, et, in fine, une opposition de personnes. Cette difficile différenciation, conflictuelle et parfois douloureuse, est à la fois le révélateur et l'aboutissement de cette souterraine crispation idéologique entre médico-social et enseignement, accentuée par une absence quasi totale de gestion politique (et non économique) du statut du soin, de l'éducatif et du pédagogique, dans la mission d'accueil, de formation et d'accompagnement vers l'autonomie citoyenne qui est la nôtre, quel que soit notre statut (et ce n'est pas la réforme de la loi de 1975 qui va prendre en compte ce problème !).

Pour en revenir aux propos tenus dans la tribune, il m'apparaît réducteur ou simpliste de dire : “C'est à la réussite scolaire de ses élèves que l'on juge de la qualité d'un enseignant...” . Il est fait référence ici à “la réussite scolaire” comme à un concept quasi universel. Or, si l'on pourrait admettre qu'une telle réussite peut être évaluée en “milieu ordinaire” en fonction des barèmes et des programmes, peut-elle l'être quand il s'agit d'enfants placés en institution, donc exclus, au moins pour un temps, du cursus normal d'enseignement ? Ici, on ne peut plus tenir ce genre de discours et on ne devrait plus opposer la “dynamique de transmission de savoir” à la “dynamique d'accompagnement de la personne”.

Tout d'abord, il ne s'agit plus, malgré le poids d'une certaine idéologie, de transmission de savoir, mais d'aide à l'acquisition des savoirs : savoir être, savoir faire, savoir apprendre à apprendre, savoir transférer... Bref, un apport méthodologique et pratique à la maîtrise cognitive et à l'élaboration de processus de pensée, pour favoriser l'épanouissement et ce que Philippe Meirieu appelle “l'éducabilité cognitive”. Et si ce n'est déjà pas simple avec une population représentative de la moyenne nationale, cela s'avère beaucoup plus complexe avec des élèves “hors circuit”, déficients, carencés, avec des comportements et des constructions psychiques très différentes. Le fameux “modèle épistémique” n'a plus cours ici. Au contraire, il faut en inventer un autre, non pas à partir d'un modèle préexistant, mais à partir de l'observation pluridisciplinaire des sujets que nous accueillons au quotidien et qui sont nos modèles permanents. Inventer cet autre modèle épistémique permettrait de conceptualiser un véritable statut (mission et méthodologie), spécifique de l'enseignant en IME.

D'autre part, il n'y a pas de “transmission de savoir” sans préparation et accompagnement de la personne, “pas d'éducabilité cognitive qui ne s'articule sur un projet d'apprendre”, dixit Philippe Meirieu, donc sur une aide à la constitution psychique, à la structuration de la personnalité et au réinvestissement du désir.

Il ne peut donc y avoir de hiatus entre la prise en charge éducative et l'aide à la cognition, mais un projet commun centré sur le sujet. Projet qui suppose complémentarité des personnes dans leurs actions et leurs contenus formalisés, mais aussi des méthodes et des supports utilisés.

Toutefois, si rivalité et opposition persistent, c'est qu'il y a un réel manque de clarté “politique” :

 Le statut des maîtres agréés de l'enseignement privé est resté, pendant 25 ans, dans un total flou administratif et juridique. Aujourd'hui, les syndicats semblent vouloir prendre les choses en main. Mais c'est pour s'empresser d'entrer dans le giron de l'Education nationale pour avoir les mêmes “avantages” que les maîtres du public. Ce qui est somme toute logique ou légitime, mais qui dénote plus un corporatisme nostalgique qu'une réelle prise en compte de la spécificité conceptuelle et méthodologique de la mission d'enseignement adapté au sein d'institutions et d'équipes pluridisciplinaires, ainsi qu'une véritable adaptation de la profession, ou des professions, à l'évolution de la société et des populations accueillies.

 Problème aussi de la politique de formation. Quand on voit qu'il n'y a plus officiellement d'“éducateur scolaire” et encore moins de formation à l'approche cognitive et aux pédagogies d'apprentissage (à part, peut-être, un renouveau de la formation des éducateurs de jeunes enfants, mais sont-ils institutionnellement reconnus et leur laissera-t-on une place à côté de et avec l'Education nationale ?), on peut se demander de quelle politique éducative il est question et quel travail éducatif on espère.

 Par ailleurs, quand on voit l'attitude sectaire que maintient l'Education nationale entre le secteur public et le secteur privé (le médico-social rangé avec le confessionnel) et le cloisonnement étanche qu'elle maintient entre ces professionnels, y compris en refusant de former les enseignants du privé et en ne tenant pas compte de leur spécificité et de leur nécessaire adaptation au milieu, on se demande quelle lecture elle fait de l'obligation d'instruction pour tous, ou alors de quel type d'instruction !

Amener l'enfant à un maximum de maîtrise cognitive

Quant au CAPSAIS, c'est une spécialisation qui n'en a que le nom et qui, en tout cas, ne répond qu'à la façon dont l'Education nationale perçoit l'enfant en difficulté, et par rapport à sa norme à elle. Il ne s'agit pas de polémiquer mais de faire entendre que la perception du monde de l'enfance inadaptée (aux normes sociales) ne saurait se réduire au modèle conceptuel de l'EN et qu'au contraire, il faudrait savoir l'élargir et appréhender tous les facteurs et faire entrer les différentes approches en cohérence et en synergie. Mais, pour cela, il faudrait une formidable volonté d'invention et de coopération intellectuelle et politique, centrée sur l'enfant et son évolution, malgré ses handicaps. Et lorsque l'Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales  (Unapei) “rappelle que 6 000 enfants et adolescents handicapés mentaux ne sont pas scolarisés ou ne bénéficient pas de solution éducative adaptée”, elle n'a peut-être pas tort, mais il faudrait s'entendre sur ce que veut dire “scolarisés” (et pour quoi faire), ainsi que “solution éducative adaptée”.

Si la référence, c'est la “scolarité normalisée” et l'accumulation de “connaissances”, elle a raison de s'en prendre au ministère de l'Education nationale, qui ne gère pratiquement plus les postes du privé et ne fournit pas une formation digne de ce nom et adaptée à cette population.

Mais si la demande, c'est d'amener l'enfant à un maximum de maîtrise cognitive, de gestion personnelle et d'épanouissement de la personnalité dans une relation sociale la moins dysharmonieuse possible, alors il faut réinventer la “politique d'enseignement” de l'enfant déficient, ainsi que le “métier” d'enseignant “spécial” apte à appréhender cette population dans toutes ses dimensions. Il faut sortir des cadres normatifs et des clichés de réussite ou de performance, voire de rentabilité, et entrer dans la créativité relationnelle, pour une véritable mise en œuvre d'une poét (h) ique de l'Education centrée sur l'être en devenir, pour lui et pour les liens qu'il va tisser avec les autres. »

Bernard Dehouck Enseignant, IME Seuilly 1, route du Coudray - 37500 Seuilly - Tél.02 47 93 56 56.

Notes

(1)  Voir ASH n°2212 du 27-04-01.

(2)  Certificat d'aptitude aux actions pédagogiques spécialisées d'adaptation et d'intégration scolaires.

TRIBUNE LIBRE

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