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Une nouvelle fonction pour aller au-devant des toxicomanes

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Pour atteindre les usagers de drogue, une quinzaine d'animateurs de prévention arpentent les rues de Marseille. L'Institut méditerranéen de formation et de recherche en travail social a participé à la formation de ces nouveaux intervenants, au carrefour du social et du sanitaire.

« On ne fait pas le travail d'un éducateur spécialisé, mais on est quand même plus ou moins dans cette démarche, sur un créneau particulier. Nous n'avons pas de projet éducatif ; on rencontre la personne dans la rue là où elle en est, on instaure une relation de confiance... c'est la réduction des risques qui prime, plus que le rapport à la loi et surtout le travail d'élaboration avec la personne. » Stéphane Rolland est l'un des 14 animateurs de prévention recrutés dans le cadre du projet coordonné par la mission sida-toxicomanie de Marseille. « On est un peu animateur, un peu éducateur, on fait de la prévention, du travail de rue, c'est un patchwork », assure Adil Mahil, son alter ego à SOS drogue international. « On essaie de faire changer le regard des gens sur les usagers de drogue », ajoute encore Mathieu Rabouin, à Aides Provence. Au cœur de la démarche de la ville et de ses partenaires (1), la nécessité d'imaginer de nouvelles formes d'intervention, aux frontières du sanitaire et du social, en direction des usagers de drogue. Et au plus près d'eux.

Durant les années 90, face à l'ampleur de l'épidémie du VIH et à la contamination provoquée parmi les usagers de drogue par voie intraveineuse, l'urgence est là. Grâce au militantisme associatif, au gré de la politique de réduction des risques, il faut « aller vers », à la rencontre de ces publics pour créer le contact. La ville de Marseille, particulièrement touchée, est confrontée à une autre gageure :l'évolution des produits et des modes de consommation, la précarisation des populations et, surtout, la désaffiliation sociale d'usagers de drogue, des polyconsommateurs hors d'atteinte des dispositifs « classiques » de prise en charge.

En 1998, consciente des enjeux politiques et de santé publique, la ville, à travers sa mission sida- toxicomanie, cherche à renforcer le travail de proximité sur ses 16 arrondissements, en développant l'offre de services depuis la distribution de matériel stérile jusqu'à l'accompagnement sanitaire et social des personnes. Les associations spécialisées font à peu près le même constat et réclament des moyens. Le programme « Nouveaux services-nouveaux emplois » arrive à

point pour permettre le lancement, en 1999, d'un projet expérimental appuyé sur un partenariat interinstitutionnel et interassociatif d'envergure avec quatre organisations spécialisées : Aides Provence, l'Association méditerranéenne de prévention des toxicomanies, Médecins du monde et SOS drogue international. En créant 14 postes d'animateurs - emplois-jeunes et titulaires du RMI -, « l'objectif était de vérifier l'émergence d'une activité nouvelle et de s'assurer de la pertinence de l'offre de service, selon un processus rigoureux qui allie diagnostic, formation, supervision et évaluation », explique Pierre Toubiana, responsable de la mission.

Première consigne : fédérer les énergies et les ressources et créer une dynamique. Les quatre associations sont chargées de recruter les futurs animateurs de prévention, chacune ayant une affectation territoriale précise. Pas simple de trouver des jeunes non formés sur « un profil qui exige à la fois une approche sanitaire et sociale, une capacité relationnelle et aussi un “feeling” particulier qui n'est pas inclus dans un diplôme », remarque Daniel Barraud, un ancien de la prévention spécialisée, coordinateur du projet à SOS drogue international. « Le travail de rue n'est pas nouveau en soi. Ce qui change, c'est la forme d'intervention dans le contexte particulier de la réduction des risques. » Avec la philosophie et l'éthique qui s'y rattachent. « Les ratés du recrutement ont entraîné un “turn over” important par la suite, confie pour sa part Hervé Richaud, coordinateur régional de la réduction des risques à Aides Provence. Pour une association de militants comme la nôtre, embaucher des salariés, c'était une révolution culturelle. »

Formation et tutorat

Les jeunes ont tous bénéficié d'un double encadrement : formation et tutorat. «  Les différents aspects de la fonction - nouer des contacts dans la rue avec les personnes en situation de danger sanitaire, les informer et les orienter sur la réduction des risques et la prévention, favoriser la mise en place d'un système de veille sanitaire et d'une démarche de santé communautaire - nécessitent des compétences que la formation avait pour objectif de construire chemin faisant et de consolider », raconte Liliane Pierrot, coordinatrice du projet à l'Institut méditerranéen de formation et de recherche en travail social  (IMF)   (2). Ce dernier a monté un module de 500 heures de formation en alternance, en partenariat avec l'Institut de formation aux soins infirmiers  (IFSI) Sainte-Marguerite et CATEIS, un cabinet de consultants spécialisé dans l'analyse des situations de travail. « Nous avons en quelque sorte projeté le contenu de la formation en fonction de capacités et de compétences qui seraient requises sur le terrain : comment créer une relation de confiance, mobiliser les réseaux, s'inscrire dans un travail collectif et s'organiser. Les différents axes du module se sont appuyés sur une didactique professionnelle et des savoirs de base concernant les produits, les soins d'urgence, la prévention, etc. » Avec, de surcroît, une obligation de souplesse puisque les formateurs ont dû réajuster le contenu en fonction des besoins exprimés lors du comité de suivi. Lequel a permis à l'ensemble des acteurs - employeurs, jeunes, tuteurs, formateurs - de se retrouver régulièrement pour suivre l'évolution du dispositif.

Challenge pédagogique

« Les quatre associations ont volontairement choisi de mutualiser les heures de formation des animateurs en faisant un cahier des charges commun », souligne Pierre Prual, directeur de SOS drogue international. Malgré ou à cause de leurs différences, elles ont tenu à ce que les stagiaires « goûtent de la pensée des autres ». Plébiscité dans l'ensemble par les employeurs, le déroulement de la formation a été diversement apprécié par les stagiaires. « On a dû, en cours de route, insister davantage sur les outils de diagnostic », reconnaît Liliane Perrot. « Il faudrait sûrement, dans l'avenir, accroître les apports en santé communautaire », confirme Françoise Aubry, directrice de l'IFSI. « Cette formation était forcément imparfaite puisque expérimentale. En tout cas, cela a été un challenge pédagogique : la formation faisant une large place à l'expérience personnelle, il a fallu sortir des schémas scolaires traditionnels. C'est un public moins malléable que nos étudiants de formation initiale ! » Encore trop classique pourtant, et marquée par le travail social, pour Stéphane Rolland : « On nous l'a imposée sans prendre en compte nos six mois d'expérience préalable au temps de formation. » Adil Mahil, au contraire, a été enchanté du caractère collectif d'une formation qui lui permet aujourd'hui de s'affirmer « comme animateur de prévention et surtout pas comme agent de proximité auprès des usagers de drogues », tel que prévu au départ. D'un commun accord, les stagiaires ont en effet « voté » contre ce label : « Il ne fallait pas que l'on nous confonde avec la police ou des ilotiers. » Et d'expliquer « un métier » dont il ne sait pas encore s'il en fera le sien à l'issue de son contrat. « A 90 %, on fait de la communication : on discute avec les pharmaciens, on met en place un partenariat avec les acteurs locaux, des groupes de parole avec des “ados”, on repère les nouveaux lieux de “shoot”, on récupère et on distribue les kits de prévention... C'est varié, enrichissant, mais usant. »

Sans doute signe d'intégration, le discours des animateurs, déjà très « pro », épouse celui des différentes associations. L'encadrement des tuteurs, choisis parmi les permanents associatifs, et la supervision financée par la ville, y ont sans douté été pour quelque chose. Pendant les six premiers mois, jamais un seul animateur n'est allé seul sur le terrain. Paradoxe : « L'insuffisance de formation des tuteurs au regard des moyens déployés pour les nouveaux animateurs, lesquels ont parfois dépassé leurs maîtres », constate Didier Féburel, coordinateur médical de la mission Réduction des risques à Médecins du monde. Une situation difficile à gérer pour les employeurs, car certains des « anciens » salariés mériteraient tout autant de suivre la formation, surtout si se profile à la clé une qualification reconnue.

Globalement, les retombées semblent positives. « Le temps passé à élaborer notre projet entre tous les partenaires (administratifs, territoriaux, etc.) a sensibilisé beaucoup d'entre eux. Les représentations sociales sur les usagers de drogue ont évolué », estime avec le recul Pierre Prual. « Nous avons aussi permis à des jeunes sans parcours défini, de réfléchir à leur avenir. » Quelques-uns ont d'ailleurs choisi de faire un diplôme d'Etat relatif aux fonctions d'animation ou de passer le concours d'entrée à l'école d'éducateurs. En revanche, « compte tenu de l'investissement en temps, on peut s'interroger sur la rentabilité du projet. A ce prix, on aurait pu embaucher des professionnels expérimentés, murmure le directeur de SOS drogue international. Encore fallait-il en trouver... » Grâce aussi à la pertinence de leur observation, les animateurs ont fait évoluer le positionnement des employeurs qui ont élargi la population cible, sans se limiter aux seuls usagers de drogue par voie intraveineuse.

L'enjeu  : la pérennisation

Comment envisager l'avenir de ce dispositif ? « En faisant reconnaître un nouveau métier encore en germe », dit-on à Aides. Un métier spécifique ? Ou une nouvelle fonction qui pourrait, par le biais de la validation des acquis professionnels, intégrer le champ de l'intervention sociale, suggère-t-on à l'IMF. Les résultats des deux évaluations (3) demandées par la mission sur le processus de professionnalisation des animateurs et sur l'impact du service rendu par ce programme devrait permettre d'y voir plus clair. Et surtout, insiste Pierre Toubiana, d'avoir des arguments pour nous battre et faire soutenir ce dispositif au niveau national. Via la mission interministérielle de lutte contre la drogue et les toxicomanies qui a, en effet, prôné, dans son plan triennal, le développement d'équipes mobiles de proximité. Mais, en même temps, le piège de la loi Aubry risque de se refermer sur ceux-là mêmes qui s'évertuent à la mettre en œuvre :  « A quoi sert de démontrer qu'il existe de nouveaux métiers et de nouveaux services, si les pouvoirs publics ne suivent pas ? », s'irrite Hervé Richaud. « Sans reconnaissance de cette formation et du travail de terrain, je me sentirai floué, avoue Stéphane Rolland. Je ne me suis pas engagé dans cette voie pour qu'on me dise que la seule issue, c'est d'entrer dans une école d'éducs. »

Dominique Lallemand

UNE MISSION SIDA-TOXICOMANIE

Ni la santé ni la prévention ne sont de compétence communale. Mais compte tenu de l'ampleur des phénomènes liés au sida et aux toxicomanies sur son territoire, la ville de Marseille s'est dotée, en 1996, sous l'impulsion du professeur Jean-François Mattei, d'une structure destinée à soutenir et coordonner des projets dans le domaine de la prévention, de la réduction des risques, de l'accès aux droits et aux soins. Elargie aujourd'hui aux autres toxicomanies : tabac, alcool, médicaments et à la prévention des conduites à risque, la mission sida-toxicomanie (4) intervient, aux côtés de l'Etat et des autres collectivités, dans l'élaboration de programmes d'action, d'études et de recherche, d'action de formation, d'information et de communication. Service municipal, la mission bénéficie d'une ligne budgétaire de 3,5 millions de francs destinée à venir en aide aux associations et à rémunérer des prestations extérieures.

Notes

(1)  Etat, région, département, ville, CPAM, Fonds social européen. Le budget du projet s'est élevé à 4,5 millions de francs la première année et à 3 millions de francs (en prévisionnel) la seconde année.

(2)  IMF : 16, rue Ferdinand-Rey -BP 54 - 13244 Marseille cedex - Tél. 04 91 24 61 10.

(3)  La première est conduite par le CEREQ, la seconde par la société de consultants COPAS.

(4)  Mission sida-toxicomanie : 26, rue de la République - 13002 Marseille - Tél. 04 91 14 56 34.

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