Un élève est-il (ou se croit-il) insulté ou rejeté par les autres ? Il réagit par des injures, des menaces, et bien souvent des coups. L'intervention péremptoire d'un adulte risque fort de se solder par une sanction sans que la querelle soit close pour autant. Responsabiliser les jeunes pour qu'ils refusent la loi du plus fort et trouvent eux-mêmes la solution à leurs conflits, sans perdant ni gagnant, telle est l'ambition de la médiation par les pairs, expérimentée dans quelques collèges.
Concrètement, toujours au moins par deux, les collégiens médiateurs qui arborent un brassard ou un badge, sont disponibles, par roulement, dans la cour de récréation pour aider leurs camarades à régler leurs disputes à l'amiable. Ils n'ont pas à intervenir quand une bagarre a éclaté, c'est le rôle des surveillants. Soit ils répondent à une demande, soit ils proposent leurs services. La conciliation a lieu à l'abri des regards dans une salle prévue à cet effet.
Première étape, les médiateurs invitent chaque protagoniste à exposer, le plus calmement possible, sa version des événements. Ensuite, ils reprennent ce qui a été exprimé en reformulant les faits, les émotions et les valeurs de chacun et s'assurent que cette reformulation leur convient. Puis, ils incitent les parties à proposer une solution, ne donnant de conseils que si elles le souhaitent. Une fois parvenues à un accord, celles-ci sont félicitées pour l'effort accompli. Toutes les médiations sont consignées en respectant l'anonymat des personnes dans un cahier de liaison. Les médiateurs se réunissent régulièrement avec leur responsable pour faire le point et se ressourcer.
Au collège Les Plaisances, situé en zone d'éducation prioritaire (ZEP) à Mantes-la-Ville (Yvelines), la médiation par les jeunes se vit au quotidien et fait partie intégrante du projet d'établissement. L'expérience est amorcée en 1997 par deux enseignantes formées par Génération médiateurs (voir encadré), qui elles-mêmes initient 11 volontaires de cinquième au cours d'une quinzaine de séances hebdomadaires de une heure pendant la pause déjeuner. Neuf d'entre eux deviendront médiateurs. Aujourd'hui, tous les collégiens de cinquième qui se présentent aux élections de délégués de classe doivent au moins s'engager à suivre la formation. « Ainsi, on leur permet de représenter leurs camarades le mieux possible », explique Dalila Terzi-Delmotte, professeur d'anglais, une des premières animatrices de médiation au collège.
Celle-ci propose alors d'organiser une formation pour les enseignants désireux d'utiliser cette pratique dans leur vie professionnelle. Le stage, auquel participe la principale, est organisé sur place et ouvert à une vingtaine d'adultes, tous personnels confondus. Cette initiative contribue à enraciner « l'esprit médiation » dans l'établissement et agrandit l'équipe de formateurs. Quant au climat, il s'assainit : les bagarres diminuent et l'on note deux fois moins d'exclusions d'élèves. L'intérêt de la formule est tel qu'au printemps 2001, une nouvelle formation s'ouvre élargie aux partenaires du Comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté. Financé en partie par la mission ville, le stage réunit, outre une mère d'élève, une quinzaine de professionnels de l'éducation mais aussi des secteurs du social et de la justice. Si certains d'entre eux envisagent de former des jeunes à la médiation, la plupart comptent adapter cet apprentissage aux situations qu'ils peuvent rencontrer dans leur pratique professionnelle.
Dans d'autres établissements, ce sont des travailleurs sociaux qui sont à l'origine de la démarche, à l'image des « acteurs de liaison sociale dans l'environnement scolaire » (ALS). Cette appellation- validée par le conseil général du Nord - désigne les éducateurs spécialisés que le club de prévention Itinéraire, à Lille, a détachés pour accompagner, dans les deux collèges les plus proches, réputés difficiles, les jeunes et leurs familles. Tout commence lorsque Patricia Egé, éducatrice stagiaire dans cette structure, mais aussi membre de l'équipe de formation de Génération médiateurs, décide de sensibiliser deux des ALS à la gestion des conflits par les pairs. Ceux-ci proposent alors de lancer l'expérience, chacun dans son établissement. Les résultats sont différents d'un collège à l'autre. Dans l'un, les professeurs soutiennent l'initiative : dix adultes sont formés et certains d'entre eux initient dix élèves à la démarche. Dans l'autre, les enseignants et les élèves sont formés par Patricia Egé, les adultes ne souhaitant pas s'investir auprès des jeunes. Malheureusement la démarche repose beaucoup sur la bonne volonté de l'acteur de liaison sociale. Or, il est évident qu'elle suppose que l'ensemble de la communauté éducative soit motivée et soudée.
La gestion des conflits par les jeunes s'enseigne depuis vingt ans dans les pays anglo-saxons. Pourquoi pas chez nous ?s'interrogent deux professeurs d'un collège de Sarcelles (Val-d'Oise). Inquiètes des comportements de plus en plus agressifs de leurs élèves, Brigitte Liatard et Babeth Diaz mettent en place leur premier atelier de médiation en 1993. Bientôt elles organisent des stages destinés aux adultes qui, à leur tour, forment des jeunes. En 1998, elles publient un guide pratique (1) . Puis, elles fondent l'association Génération médiateurs (2) , aujourd'hui dotée d'une équipe d'une quinzaine de formateurs intervenant sur tout le territoire à la demande des chefs d'établissement. L'initiative se poursuit désormais dans les lycées et des expériences encourageantes ont été entamées en primaire avec des CM2. Génération Médiateurs n'attend plus que l'agrément de l'Education nationale.
Au collège Frédéric-Mistral, à Lunel (Hérault), l'assistante sociale scolaire s'est mobilisée. Elle a participé au démarrage de l'action et elle travaille avec l'équipe de médiation depuis la rentrée 1997. Le quart des enseignants et 191 jeunes de cinquième et quatrième ont déjà été formés. « La violence a cessé d'augmenter malgré le nombre croissant d'élèves, passé de 800 à 1 000 en quatre ans », se réjouit Adrien Riff, professeur d'éducation physique et sportive à la retraite, initiateur de la médiation au collège.
Se rendant compte qu'un noyau dur d'élèves agressifs est hostile à la médiation, il propose au principal de travailler avec eux dans un atelier qu'il encadre avec un autre professeur et l'assistante sociale scolaire. Six élèves sont retenus. A raison de six séances hebdomadaires de une heure chacune, ils ont l'obligation de venir à l'atelier - ce qu'ils vivent d'abord comme une injustice. Cette expérience - qualifiée de « remédiation » - repose sur une écoute attentive des jeunes en vue d'établir une relation de confiance. L'idée est de les sensibiliser à une meilleure connaissance d'eux-mêmes pour qu'ils modifient leurs comportements, mais aussi de mettre à contribution leurs enseignants. Professeur des sciences de la vie, Marie-Annick Adam a joué les bons offices : « Je transmettais aux enseignants les sentiments de l'élève à leur égard. De leur côté, ils m'expliquaient comment le jeune se comportait et quel message lui faire passer, et eux-mêmes changeaient d'attitude. Résultat :la plupart des élèves, ont aussi évolué ; l'un d'eux a d'ailleurs été jugé “méconnaissable”. Bien sûr, il y a eu des rechutes et les professeurs revenaient nous voir. On reprenait les six élèves une fois par mois. »
Par la suite, un nouvel atelier s'ouvre avec un deuxième groupe. Cette fois, les élèves sont entendus au préalable par l'assistante sociale scolaire, Béatrice Suau : « J'apporte un autre regard. J'écoute et je reformule ce que dit le jeune qui exprime ses difficultés personnelles, familiales, sociales. » L'équipe estime néanmoins que la durée de l'atelier - six semaines - est trop courte et qu'un suivi des élèves est indispensable. Par ailleurs, d'autres interrogations émergent : faut-il un psychologue dans l'équipe ? Doit-on réunir au préalable les parents ? Néanmoins, au-delà de ces questionnements, l'initiative met en évidence que des élèves perturbateurs peuvent changer leur comportement pour peu qu'on leur fasse confiance.
Professeur d'espagnol à l'établissement d'Ambrussum, l'autre collège de Lunel, Jean-Antoine Pavon, invité à un stage organisé à Frédéric-Mistral, en revient enthousiaste. Dès novembre 2000, avec une surveillante, il instruit un premier contingent d'élèves de la cinquième à la troisième qui se lancent sur le terrain en mars. Des aides-éducateurs et deux conseillers principaux d'éducation participent aussi à la formation. « Cela a changé ma pratique, note Estelle Diblasi, conseillère principale d'éducation. Maintenant, je fais davantage exprimer aux enfants ce qu'ils ressentent, ils s'estiment mieux compris. » « Nous avions l'habitude, à certains indices, de détecter, derrière une dispute anodine, une souffrance, un problème de famille, explique Alain Zanetta, son collègue. C'est pourquoi au départ nous redoutions d'être coupés des élèves puisque les médiations sont confidentielles. Nos craintes n'étaient finalement pas fondées. Nous avons une relation de confiance avec les jeunes et, s'il le faut, nous les orientons vers les médiateurs. »
Quel bilan tirer de l'action des 36 jeunes médiateurs d'Ambrussum ? Il apparaît que les filles sont plus nombreuses à s'investir que les garçons (c'est le cas d'ailleurs dans tous les collèges), observe Leila Dala, aide-éducatrice qui gère les roulements et apporte ses conseils. Quant aux élèves aux résultats scolaires médiocres ou à la conduite agitée, ils se révèlent d'excellents médiateurs. Il leur faut un certain courage pour se jeter à l'eau : si certains copains les admirent, d'autres n'hésitent pas à les traiter de « lèche-bottes ». Mais si les débuts sont rudes, les bienfaits se font peu à peu sentir. Chez les « médiés » comme chez les médiateurs qui se sentent utiles et se montrent plus attentifs aux autres. Ils ont pris de l'assurance et certains appliquent même la méthode dans leur famille.
L'expérience semble donc positive au terme de cette première année, même si un effort d'information reste nécessaire pour mieux diffuser la démarche et valoriser le rôle des médiateurs. Le stage intra-muros qui s'est déroulé en mai dernier (3) y contribuera sans doute, puisque sur les 26 participants de la communauté éducative, la moitié s'est déclarée prête à intégrer l'équipe de médiation dès la rentrée.
Françoise Gailliard
Le contenu de la formation à la médiation est sensiblement le même pour les adultes et les jeunes. Il fait appel à des techniques de développement personnel sur un mode ludique. A partir d'exercices amusants, de discussions en petits groupes, le travail est d'abord axé sur une meilleure connaissance de soi, l'identification de ses propres valeurs et de ses compétences, l'expression de ses sentiments. Puis les participants sont amenés à réfléchir sur leur façon de réagir dans les situations conflictuelles. Des dessins à double interprétation conduisent à admettre un autre point de vue que le sien. Les stagiaires apprennent, dans un esprit d'écoute respectueuse, à prendre du recul, à ne se laisser entraîner ni par la rumeur, ni par leurs préjugés ou leurs émotions. Enfin, grâce aux jeux de rôle, ils font preuve de créativité pour simuler des situations qui ne leur sont pas familières et imaginer une issue aux conflits.
(1) Contre violence et mal-être : la médiation par les élèves - Ed. Nathan.
(2) Génération médiateurs : 27, bd Saint-Michel - 75005 Paris - Tél. 01 56 24 16 78.
(3) Il aura fallu un an de démarches à Jean-Antoine Pavon pour obtenir que ce stage, inscrit au plan de formation 2000-2001 de l'établissement, soit intégralement financé par l'IUFM de Montpellier.