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Les ondes libèrent la parole des jeunes

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Chaque mois, des jeunes suivis par l'association toulousaine Sauvegarde 31 ont leur émission de radio. Et s'expriment librement sur des thèmes qu'ils ont choisis, hors des frontières de l'accompagnement social classique.

Sur les ondes d'une petite station associative toulousaine, une dizaine de jeunes parlent en direct du grand amour. Bien loin des discours provocateurs de certaines émissions de radio à la mode, les propos sont un peu hésitants, souvent pudiques, parfois étonnamment lucides. De temps en temps, la voix de l'éducateur spécialisé, Josian Cayuela, vient ponctuer le débat, proposer la parole à celui qui n'ose pas la prendre... Mais elle n'interrompt jamais et ne pousse pas les jeunes à dire ce que l'on pourrait attendre d'eux.

Pour la deuxième année consécutive, Radio Mon Païs programme « Les jeunes parlent aux jeunes », le troisième mercredi de chaque mois, de 19 heures à 20 heures, sur 90.1 MHz en FM. Lancée à l'initiative de Sauvegarde 31 (1), cette émission permet aux adolescents suivis par l'association de s'exprimer autrement qu'à travers leur malaise ou leur violence.

Habilitée par le conseil général de la Haute-Garonne et la protection judiciaire de la jeunesse, Sauvegarde 31 travaille dans le cadre de mandats d'action éducative en milieu ouvert depuis 1990. « La majorité de notre public se compose d'adolescents qualifiés de très difficiles, voire “d'incasables”, explique Jean-François Curvale, directeur de Sauvegarde 31. Ils sont souvent sous mandat judiciaire, vivent parfois à la rue ou en squat, ils n'ont souvent ni projet, ni envie particulière et sont difficiles à approcher. » Depuis le départ, l'association a affirmé sa volonté d'intervenir auprès de cette population. Un public très marginalisé, de plus en plus jeune et de plus en plus violent, selon Jean-François Curvale.

Pour rencontrer ces usagers, les éducateurs spécialisés travaillent souvent le soir et les week-ends. « A 10 heures du matin, ils dorment, explique Josian Cayuela. Il faut pouvoir passer du temps avec eux en fin d'après-midi et le soir, lorsqu'ils sont plus réceptifs. C'est la seule manière de mettre en place une relation de confiance. » Ce qui suppose une grande disponibilité de l'équipe dont les membres - deux éducateurs spécialisés, deux assistants sociaux, un psychologue - ont accepté de jouer le jeu, hors des horaires classiques d'ouverture des services.

Avec ce type de public, le face à face dans un bureau atteint très vite ses limites. Peu investis et souvent destructurés, les jeunes oublient les rendez-vous et ne sont que rarement ouverts à la notion d'effort et de projet de vie. Il s'agit donc de les interpeller à travers une action qui les mobilise. L'association s'est d'abord lancée dans le montage d'une ambulance avec des pièces de récupération dans le cadre d'une action humanitaire. Les jeunes, souvent sous mandat judiciaire pour vols de voiture, ont travaillé en atelier mécanique, encadrés par un professionnel. Et une fois terminé, le véhicule a été offert au Burkina Faso. L'opération a été ensuite reconduite avec des vélos envoyés au Mali.

Par ailleurs, l'association a créé un atelier d'écriture qui a permis aux jeunes d'éditer leurs textes et de les mettre en musique (voir encadré au verso). « L'exigence de l'association a été payante, observe Odile Barral, juge des enfants à Toulouse. L'équipe travaille sur des situations très difficiles par rapport auxquelles beaucoup de structures ont jeté l'éponge. Elle ne fait pas de miracle, mais avec des textes et des chansons de qualité, elle valorise ces jeunes. Ainsi, son action peut dépasser le travail social classique avec ceux qui sont sortis de tous les circuits. »

Tous les jeunes, en difficulté ou non

C'est à la suite de sa rencontre avec Josian Cayuela qu'Yves Fougerousse, responsable culturel de la petite station associative, Radio Mon Païs, ouvre ses ondes à l'association. Après deux premiers passages à l'antenne, le rendez-vous devient mensuel. Ainsi naît « Les jeunes parlent aux jeunes », une émission préparée et animée par des jeunes. « Je voulais qu'ils aient la possibilité d'exprimer ce qu'ils vivent et ce qu'ils pensent avec leurs propres mots, explique Josian Cayuela. C'est eux qui choisissent le contenu de l'émission. »

UN RÉSEAU DE « PARRAINS »

Fondée par 13 personnes d'horizons très différents comme une responsable d'action sociale de la caisse d'allocations familiales, un journaliste du quotidien local, un directeur de théâtre, un avocat pénaliste, des restaurateurs ou encore une psychanalyste, Sauvegarde 31 peut compter sur un réseau de « parrains » de la société civile, prêts à donner des idées et des coups de main. « Aucun commerçant ou artisan n'accepterait de prendre un jeune en stage en sachant qu'il ne peut être présent que deux après-midi par semaine car il a autre chose à faire, explique Jean-François Curvale. Avec nos adhérents, nous pouvons demander ce type de service. Ils acceptent de jouer le jeu pour aider ces jeunes-là. »

L'éducateur démarre l'expérience avec quelques adolescents. Une séance de préparation autour d'une pizza permet de définir les grandes lignes de l'émission à partir d'un thème. Puis, le nombre des jeunes intéressés grandit. Outre des habitués de l'association, certains d'entre eux viennent de structures partenaires comme le foyer Castelnouvel qui accueille des jeunes épileptiques. D'autres encore sont des amis qui, pour la plupart, ne font pas l'objet d'un suivi social. Soit un élargissement des candidats qui a l'avantage de ne pas limiter l'émission aux seuls « exclus ».

Chaque fois, de nouveaux participants interviennent par groupe de 8 à 12. « Certains sont très à l'aise pour s'exprimer, mais pour d'autres, il est dur de parler à la radio. L'effet de groupe permet de rebondir et de se stimuler. Les plus timides interviennent souvent dans les dernières minutes », observe Josian Cayuela. « D'habitude, je suis assez réservé, mais comme on est entre jeunes, c'est plus facile », confirme Axel, 19 ans, pendant la préparation de la deuxième émission sur le grand amour. Anciennement suivi par Sauvegarde 31 et actuellement cuisinier, Axel est prêt à partager son expérience. « Je veux bien parler de mon vécu car je sais bien que d'autres ont les mêmes problèmes que moi et je souhaite les aider. »

Pour l'association, l'expérience crée un espace de parole et d'échanges bénéfique aussi bien pour les intéressés que sur le plan du travail social. En effet, en s'exprimant à la radio, les jeunes ont l'occasion de donner une autre image d'eux-mêmes, loin des clichés de la délin- quance et du malaise des « cas sociaux ». « Nous sommes dans une civilisation où les médias occupent une place importante, observe Elisabeth Witasse, responsable de l'action sociale à la caisse d'allocations familiales et présidente de Sauvegarde 31. L'émission leur prouve qu'ils peuvent s'inscrire dans une action positive et agir sans être dans la plainte ou l'anormalité. »

De plus, l'émission diffusée en direct implique que l'institution et la radio fassent confiance aux participants. « Devant le micro, ils sont bien différents de ce qu'ils sont dans leur cité, remarque Josian Cayuela. Nous n'avons jamais connu de débordement, d'attaque ou d'insulte à l'antenne. C'est un bon moyen de leur montrer que l'on prend leur parole au sérieux. » Sophie, 19 ans, est ravie de la première émission sur l'amour et prépare la deuxième avec impatience. En certificat d'aptitude professionnel d'entretien au foyer de Castelnouvel, elle a découvert qu'elle était capable de dépasser ses craintes et ses débordements. « D'habitude, je ne dis rien de personnel par peur de la pitié des autres, explique-t-elle. Mais là, j'ai dit que j'aimais toujours mon ancien ami. Et mes éducateurs m'ont félicitée de mon sang-froid et de m'être à la fois livrée et maîtrisée. »

Le cadre de la radio permet une expression à la fois plus libre et plus efficace. Efficace, car la parole radiophonique semble légitime puisqu'elle est entendue. Franck, 17 ans, vit au foyer de Castelnouvel. « Je peux m'exprimer sans le contrôle de mes parents ou des éducateurs qui m'empêchent de dire ce que je veux », se réjouit-il. « Ce sont des jeunes qui ont rarement la parole. Ils ont souvent honte de leur situation. L'émission leur donne un peu de confiance en eux », estime Jean-Rémi Gandon, directeur d'Accueil et familles, un centre de placement familial. « Il existe une liberté de ton pour les jeunes qui arrivent ainsi à aborder des sujets sensibles et à se mettre un peu à nu », renchérit Yannick Ordonez, éducateur spécialisé à la protection de l'enfance et de l'adolescence de Toulouse. Ce qui ne l'empêche pas d'être toujours présent, lorsqu'il oriente une personne sur l'émission. « Dans la mesure où les jeunes se livrent ainsi, il faut pouvoir poser les choses, dédramatiser et prendre un peu de recul après l'émission. Je n'y enverrai pas quelqu'un en pleine crise, il faut être en mesure de vivre l'expérience. »

Une parole différente

Malgré le studio et l'équipement technique, les jeunes semblent rapidement se détacher du cadre un peu impressionnant. « Une fois que le débat est lancé, on oublie rapidement la présence des micros, explique Laure, 20 ans, étudiante en philosophie. On sait bien que des personnes écoutent mais comme elles ne sont pas en face, on a moins peur de leur jugement. On dit des choses qu'on ne confie pas à son propre entourage et cela permet d'exorciser un peu ce qui est douloureux. »

« L'échange est différent de celui d'un entretien en face à face, analyse Josian Cayuela. On se dit autre chose, au-delà des frontières de l'accompagnement classique. » Et même s'il sait rester discret, l'éducateur spécialisé parvient à faire de sa présence dans le studio un élément de stimulation. « Le fait d'être encadré nous permet de poursuivre un débat constructif en parlant de sujets d'adultes », remarque Souleymane, 20 ans.

L'association a proposé à quelques jeunes très investis dans l'émission de participer de manière plus régulière en devenant qui responsable de la musique, qui de l'animation des réunions, qui du recrutement des jeunes participants... Quant à la grille de rentrée, elle est déjà prête. L'échec scolaire et les enfants maltraités figurent au sommaire des prochaines émissions.

Florence Pinaud

AVANT L'EXPÉRIENCE RADIO, L'ÉCRIT

Avant de monter une émission de radio, Sauvegarde 31 avait déjà permis aux jeunes de médiatiser leurs paroles afin de les aider à exprimer leurs espoirs et leurs souffrances. Le poète Bruno Ruiz a ainsi animé des ateliers d'écriture- fréquentés surtout par les filles - à la demande de l'association. Cette expérience a permis la réalisation d'un livre de textes et de dessins, édité par Sauvegarde 31 grâce à une subvention du conseil général. « L'atelier a permis d'ouvrir les cahiers du cœur, les extraits de journaux intimes, les lettres jamais envoyées, toutes ces paroles en désordre qui cherchent à retrouver un équilibre, celui d'une identité naissant dans la tourmente de l'adolescence, entre crises affectives et désir de pureté, blessures indélébiles et espérances inaltérées », explique Bruno Ruiz dans la préface du livre, intitulé Notre Bleu. Pour mobiliser aussi les garçons, l'association a poursuivi l'expérience en y associant cette fois des musiciens. Au cours d'ateliers rap, d'autres jeunes ont écrit, mis en musique et interprété une quinzaine de morceaux réunis dans un disque, toujours édité par Sauvegarde 31 (2) .

Notes

(1)  Sauvegarde 31 : 10, place des Carmes - 31000 Toulouse - Tél. 05 62 26 45 65.

(2)  Le livre et le disque sont disponibles à Sauvegarde 31.

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