En France, de 130 000 à 160 000 personnes font usage de drogues par voie d'injection intraveineuse et cette consommation « constitue incontestablement une pratique à hauts risques ». Huit ans après un premier avis émis sur ce sujet (1), le Conseil national du sida s'est penché sur les questions soulevées par la prise de drogues en termes de santé publique, dans un rapport présenté le 6 septembre (2).
« Les risques sanitaires, note-t-il, sont en partie imputables aux substances injectées elles-mêmes. Mais ils mettent en cause plus largement les comportements de consommation et les styles de vie » des usagers. Certes, la prévalence de l'infection par le VIH décroît puisqu'un tiers des toxicomanes étaient séropositifs au début des années 90, contre 15 à 20 % aujourd'hui. Par contre, 5 % des usagers sont touchés par l'hépatite B et environ 60 %par l'hépatite C. Outre la persistance de pratiques dangereuses comme le partage du matériel de consommation et les relations sexuelles non protégées, le rapport souligne le développement de la polyconsommation impliquant drogues licites (comme l'alcool) et illicites, mais aussi psychotropes et médicaments de substitution.
Face à ce phénomène, le conseil estime que les politiques publiques restent « ambiguës », et jouent en permanence sur un « double registre », les usagers de drogues étant « considérés à la fois comme des malades et comme des délinquants ». Même s'il met l'accent sur les « immenses progrès » accomplis depuis 1993, notamment sous l'impulsion de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, le rapport pointe les « multiples carences » qui subsistent : répression sans effet sur l'augmentation continue de l'usage de drogues, traitement pénal souvent incohérent, amplification des risques en milieu carcéral , « dispositif sanitaire cloisonné » et insuffisante prise en charge en médecine de ville, « tensions permanentes » dans les lieux d'accueil placés en « première ligne », lacunes dans la coordination et le partage des responsabilités... Bref, la politique de réduction des risques « se trouve au milieu du gué » et, selon le conseil, il est temps de franchir un grand pas, appuyé sur « une action législative décisive », pour laquelle il formule toute une série de propositions.
Premier objectif pour le conseil : affirmer la prévention et la réduction des risques sanitaires et sociaux comme la priorité absolue des interventions publiques, priorité qui deviendrait aussi celle des autorités de police et de justice. Avec un préalable : la « dépénalisation de l'usage simple et personnel de drogues et de ses actes préparatoires » (achat, transport...) (3) et l'instauration d'un nouveau cadre légal à l'action répressive. Celui-ci devrait notamment « distinguer offre et demande de stupéfiants », faire la part entre « usage individuel et usage public », « conforter les sanctions à l'encontre de l'offre de stupéfiants aux mineurs et favoriser la prise en charge de ces derniers », éviter les peines qui aggravent la situation des usagers dépendants, privilégier les peines de substitution associées à une prise en charge et toujours « offrir aux personnels de justice le soutien de l'expertise médicale et de l'enquête sociale, même dans les cas de trafic ».
Pour ce qui est de la prévention, le conseil demande qu'elle devienne l'affaire de tout établissement scolaire, médico- psychologique et socio-culturel accueillant des jeunes, chacun de ces équipements devant disposer d'une « équipe de référents locaux spécialisés », aux compétences garanties. Cette action primaire devrait s'exercer dès le plus jeune âge et de façon continue. La « prévention secondaire » , aujourd'hui la « plus délaissée », pourrait se faire « notamment par la voie de Points écoute jeunes et parents ou des structures d'insertion » dont la couverture devrait être étendue sur tout le territoire. Leur fonctionnement suppose la création d'une véritable « culture de prévention et de réduction des risques », en particulier par la formation des professionnels, policiers, magistrats, travailleurs sociaux, enseignants, médecins... et leur travail en réseaux.
Au plan sanitaire, le conseil propose d'expérimenter de nouveaux dispositifs de réduction des risques comme des programmes d'échange de seringues en prison, de création de salles d'injection à moindre risque à proximité des lieux de consommation, ou la distribution d'héroïne sous contrôle médical. Il demande un dispositif d'évaluation distinct des instances de décision et de coordination. Il insiste surtout sur l'inscription des soins dans les « pratiques ordinaires » et les systèmes de droit commun. Enfin, il souhaite un effort de dotation en faveur des réseaux pluridisciplinaires d'intervenants pour suivre les parcours des usagers à la fois sur les plans médical, psychologique et social.
Sachant qu'il n'existe « pas de société sans drogue », le Conseil national du sida réclame donc une action publique fondée sur « un ordre clairement hiérarchisé de priorités » et établi d'abord « dans une optique de préservation de la santé publique ».
(1) Voir ASH n° 1847 du 1-10-93.
(2) Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique - Conseil national du sida : 25, rue d'Astorg - 75008 Paris - Tél. 01 40 56 68 50.
(3) Trois membres du conseil ont voté contre ou se sont abstenus sur ce point, tout en approuvant l'esprit et les recommandations du rapport.