« Sortie en mer sur la Licorne, marché de Piriac-sur-Mer, visite du chalutier Au Grès des Vents »... A côté du panneau qui égrène le programme du lendemain, Claudine attrape un verre de vin blanc, discute avec une autre femme et mord dans une saucisse tout juste retirée du barbecue sans cesser de surveiller du coin de l'œil ses trois enfants accaparés par des jeux. Une scène estivale ordinaire dans un camping de la Loire Atlantique ? Pas tout à fait. Claudine participe en effet, avec 35 autres familles et une douzaine de jeunes en difficulté, à un projet de « vacances familiales premier départ » situé à La Turballe, à 80 kilomètres de chez eux, et mis en place conjointement cette année par cinq partenaires intervenant sur trois quartiers sensibles de Saint-Herblain, une commune de l'agglomération nantaise d'environ 50 000 habitants.
Ce dispositif original vise à permettre à des familles démunies de partir une semaine en vacances avec leurs enfants et à des jeunes de 17 à 25 ans de bénéficier dans le même temps d'une action d'insertion, via notamment un travail salarié. Le principe de cette opération, montée par l'Association départementale des pupilles de l'enseignement public, le club d'animation et de prévention et les centres socio-culturels des quartiers du Bourg, de la Harlière (La maison du citoyen) et du Sillon-de-Bretagne (1), repose sur la construction d'une image positive de soi et des autres. Et la restauration des liens entre les parents et les enfants, d'une part, et entre les familles et les jeunes du quartier, d'autre part.
« Ce type de projet, expli- que Bernard Dargouge, directeur du centre socio- culturel du Bourg, permet aux parents d'acquérir un peu de reconnaissance de la part de leurs enfants en réalisant quelque chose de positif à leurs yeux. Lorsqu'il y a un dysfonctionnement dans une famille, un tel séjour peut constituer un point de départ vers une autre relation familiale. »
Les jeunes, quant à eux, sont embauchés pour remplir des tâches d'accueil et de coordination destinées à soulager des familles, monoparentales pour la plupart, dans le déroulement de leurs vacances. Prêts de jeux, location de vélos, accompagnement lors des sorties ou des courses, renseignements d'ordre touristique... A travers ces activités, les jeunes des quartiers difficiles de Saint-Herblain se sentent reconnus par des adultes qu'ils côtoient tout au long de l'année. « Dans les cités, il existe des jugements négatifs réciproques entre les jeunes et les familles. Par le biais de cette première expérience professionnelle, les uns vont rendre des services aux autres, instaurer des échanges, des relations nouvelles et, en fin de compte, changer le regard de chacun », note Erwan Monier, éducateur de prévention au club d'animation.
Entre l'attente des résultats de sa première année de BEP de vente et un éventuel apprentissage en boulangerie, Khalid a accepté cette activité pour décrocher son premier contrat de travail. « Ce que je vais retenir de cette semaine, c'est la découverte de ce qu'est le boulot. Il y a des fois où c'est un peu “speed”, comme la préparation des repas ou, le matin, quand tu te réveilles. Tu te crois en vacances et tu dois te lever pour aller bosser, c'est un peu bizarre. » Comme l'ensemble des jeunes retenus dans le cadre de ce dispositif, Khalid a fait l'objet d'un suivi en amont de la part de l'équipe du club d'animation et de prévention, via un entretien d'embauche et des petites formations obligatoires (secourisme, réparation de vélos ou encore ludothèque). Si ces dernières peuvent servir plus tard à ces adolescents, elles ont surtout vocation à les sensibiliser à un comportement citoyen. « La majorité des jeunes intégrés à ce dispositif ont entre 17 et 19 ans, l'âge où les tensions avec les adultes sont souvent les plus fortes. A travers ces différentes étapes, souligne Erwan Monier, on veut pouvoir évaluer leurs capacités à se situer, à un moment donné, en adulte professionnel vis-à-vis des familles. »
Mais, au-delà des retombées ponctuelles de cette semaine - vacances pour les familles et travail pour les jeunes - le dispositif a aussi des répercussions positives sur les bénéficiaires durant le reste de l'année. Du côté des familles, cette parenthèse estivale redynamise souvent des relations sociales quasi inexistantes. « L'an dernier, un groupe de mamans a voulu se revoir après la semaine passée ici. Ces mères ont participé aux clubs de femmes, sont sorties ensemble, ont repris des recettes de cuisine apprises au camping pour les montrer à d'autres femmes, etc. », explique Marie Vivien, animatrice à l'Association départementale des pupilles de l'enseignement public. Sans faire de cette opération la panacée en matière de prévention ou d'insertion, les responsables du projet considèrent ce type de séjour comme un outil permettant de mieux gérer les conflits et favorisant l'établissement d'un dialogue entre jeunes et adultes. « Des jeunes qui traînent dans les cages d'escaliers des immeubles laisseront plus facilement passer une maman qu'ils auront rencontrée au camping. Ils diront à leurs copains de la laisser tranquille parce qu'ils la connaissent. Et inversement, les mères hésiteront moins à aller dire aux jeunes qu'ils font du bruit ou du chahut », assure Hervé Braire, directeur du centre socio-culturel du Sillon. Et, l'incidence de cette action s'étend aux fratries, dans la mesure où le grand frère qui a bénéficié de cette semaine - et donc a respecté un certain nombre de règles -n'apparaît plus aux yeux des plus jeunes comme un leader négatif.
Parallèlement à ce regain de sociabilité, cette initiative peut constituer un maillon non négligeable d'un processus d'insertion économique pour les publics vivant dans des quartiers marqués par un taux de chômage élevé, une grande proportion de familles monoparentales, des regroupements de familles issues de l'immigration ou encore un habitat social surdéveloppé. Un jeune ayant participé précédemment à l'opération, pourtant considéré comme un élément très perturbateur, vient ainsi de décrocher son diplôme d'attaché technique de vente, un autre est entré dans la police nationale... Sans attribuer le mérite de ces évolutions au seul dispositif, Erwan Monier estime néanmoins qu'il peut avoir un rôle de déclencheur : « Même si l'insertion n'est pas le premier but de ce projet, celui-ci a des effets sur certains jeunes qui ont fait des stages, travaillé pour obtenir un diplôme cette année. On a senti chez eux un déclic, une envie de s'en sortir. »
Les responsables des structures socio- éducatives et les éducateurs soulignent, en outre, les améliorations apportées par cette action dans le suivi effectué auprès des publics concernés. Nul doute que les relations nouées avec les familles et les jeunes dans un contexte très différent de celui des cités facilitent le travail réalisé, toute l'année, sur le terrain. « Le fait de se rencontrer dans ce cadre agréable, d'avoir eu ensemble des moments de plaisir, d'avoir vu les familles se renforcer... Tout cela permet aux structures de mieux travailler par la suite. L'éducateur n'est plus vu uniquement comme celui qui s'occupe de délinquants, mais comme celui qui peut donner un coup de main à des jeunes ayant des problèmes à un moment donné », analyse Erwan Monier.
Favoriser des vacances en famille pour les plus démunis, recréer du lien social entre jeunes et adultes, compléter des actions d'insertion et de prévention, les résultats obtenus à travers cette expérience sont donc tangibles.
Selon les responsables, ils sont à mettre sur le compte d'un partenariat qui a réussi à faire converger efficacement des compétences complémentaires. Profitant de leur connaissance des usagers dans les quartiers et de leur longue expérience dans le domaine du montage des vacances familiales, les centres socio- culturels sont devenus naturellement les opérateurs du dispositif et se chargent du suivi des familles et de l'organisation des séjours (recherche et location du site, prise en charge des transports, etc.). Le club d'animation et de prévention assure, quant à lui, l'accompagnement des jeunes. Très implantés localement, les animateurs de l'Association départementale des pupilles de l'enseignement public mettent leur connaissance de la région au service des bénéficiaires. « Nous sommes très ancrés ici, ce qui nous permet de faire découvrir aux familles des gens ou des endroits qu'elles ne verraient pas autrement, explique Marie Vivien. Nous allons, par exemple, nous arrêter parce que nous connaissons un copain paludier qui va prendre une heure sur son temps pour expliquer comment fonctionnent les marais salants. Grâce à cette connaissance et à l'implication des animateurs, les familles se sentent plus facilement attachées à la région. »
Reste que les partenaires souhaiteraient que les assistantes sociales de secteur, qui ont aidé les familles à préparer leur voyage, puissent venir sur place les rencontrer au camping. « Elles sont les mieux placées pour voir quelles sont leurs difficultés financières par exemple, ou bien pour gérer avec elles un retour qui peut s'avérer difficile parce qu'elles ont fait exploser leur budget. N'ayant pas vu comment cela se passait pendant la semaine, il leur est difficile de sensibiliser les publics visés, de les inciter à partir et de travailler avec eux à la fin de ces vacances », déplore Erwan
Monier. D'autant qu'il n'est pas toujours facile de convaincre des personnes en situation de précarité de prendre des vacances avec leurs enfants. Outre les réticences liées à une situation matérielle des plus fragiles, il faut souvent combattre un sentiment d'insécurité provoqué par un départ qui bouleverse des habitudes quotidiennes ressenties comme rassurantes.
Pourquoi, s'interrogent enfin les responsables du projet, limiter ce dispositif aux premiers (voire éventuellement deuxièmes) départs en vacances ? « Si cette opération nous permet de dynamiser la relation avec les familles, pour certaines d'entre elles, ces effets vont retomber petit à petit. Pour une famille en difficulté, on pourrait très bien imaginer qu'après cinq ans par exemple, elle puisse bénéficier d'un minimum de droits et de soutien financier pour repartir de la même façon en vacances », suggère Bernard Dargouge.
Dans l'immédiat, la nuit envahit le camping, les mamans rejoignent les caravanes pour coucher leurs enfants et les deux jeunes rangent des assiettes, proposent un dernier verre ou passent un coup sur la table. Khalid, trouve que « ça a des airs de fin de vacances..., alors que c'est le début ». Quant à Linda, qui a participé à cette semaine de vacances après avoir passé son BEP comptabilité, la présence des enfants lui manque déjà, mais elle se raccroche à un projet qui lui trotte dans la tête depuis un certain temps : passer le BAFA et le CAP petite enfance.
Henri Cormier
(1) Association départementale des pupilles de l'enseignement public : 2, rue des Renards - 44300 Nantes - Tél. 02 40 94 06 05 ; centre socio-culturel du Sillon-de-Bretagne : 12 bis, avenue des Thébaudières - 44800 Saint- Herblain - Tél. 02 40 63 69 94 ; centre socio-culturel du Bourg : 126, bd François-Mitterrand - 44800 Saint-Herblain - Tél. 02 40 86 05 88 ; Club d'animation et de prévention : 3, avenue de l'Angevinière - 44800 Saint-Herblain - Tél. 02 51 78 69 59 ; La maison du citoyen : 2, rue de Sancerre - 44800 Saint-Herblain - Tél. 02 51 80 60 30.