La décision d'Elisabeth Guigou est désormais arrêtée. La gestion des huit établissements qui dépendaient- jus- qu'à la désignation, fin février dernier, d'un administrateur provisoire (1) - de l'ancien comité départemental de l'Yonne de l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) va être confiée « à une structure choisie à raison de son expérience en matière d'accueil et de prise en charge d'enfants et d'adultes handicapés et de sa parfaite extériorité aux conflits locaux », a-t-elle indiqué dans une lettre adressée, le 7 août, au préfet de l'Yonne.
Cependant, la mise en œuvre de cette solution requérant du temps, notamment « pour ménager, à l'intention des responsables d'ESH 89 (2) aujourd'hui décidés à exploiter toutes les voies du contentieux, une chance de comprendre les motifs de la décision des pouvoirs publics et de s'y ajuster, à défaut d'y déférer », la ministre de l'Emploi et de la Solidarité a demandé au préfet de prendre un arrêté prolongeant la fermeture administrative provisoire (3) décidée en février. Arrêté finalement pris le 22 août, et prorogeant cette disposition jusqu'au transfert de la gestion à une autre structure, « au plus tard le 31 octobre ». En attendant, les divers établissements sont placés sous la responsabilité directe de la directrice départementale des affaires sanitaires et sociales, Michèle Aucouturier (4).
La décision ministérielle et l'arrêté préfectoral s'appuient sur les constatations de l'administrateur provisoire, Claude Lagarrigue, rassemblées dans son rapport de fin de mission portant sur la période du 23 février au 23 août. « La période d'observation prolongée [...] permet de confirmer les investigations menées par l'inspection générale des affaires sanitaires et sociales » (5), relève-t-il : peur du personnel, angoisse des usagers et des familles, absence de projet associatif, repli sur soi défensif de l'association...
Structure par structure, il décrit les principaux dysfonctionnements. Au sein de la maison d'accueil spécialisée d'Augy, l'instabilité des directeurs (huit en dix ans) a induit une perte de repères de la part des personnes handicapées et de leurs familles, un manque de suivi dans les prises en charge, la faible mobilisation des salariés.
A l'institut médico-éducatif (IME) Grattery, à Auxerre, le personnel se déchire en deux clans, l'un partisan, l'autre détracteur du président d'ESH 89, Georges Decuyper. « Cette violence institutionnelle entre cadres aboutit naturellement à des attitudes violentes persistantes à l'égard des jeunes », pointe Claude Lagarrigue. En outre, la faiblesse de la prise en charge médicale est « inacceptable », en particulier l'absence de médecin psychiatre et d'orthophoniste.
A l'IME des Isles, à Auxerre, les locaux de la section polyhandicapés sont « très dégradés, voire dangereux » pour le personnel et les usagers. A celui de Vincelles, « structure décrite comme préservée des turbulences associatives grâce à son éloignement par le rapport de l'IGAS », de « très graves dissensions » opposent pourtant les enseignants aux autres personnels.
Au centre d'aide par le travail (CAT) de Mézilles, « la pression exercée sur les handicapés pour maintenir la production [...] et dans des conditions matérielles parfois difficiles est excessive », indique l'administrateur, qui a dû intervenir pour interrompre un travail de six jours sur sept, contraire à la législation, pour la production de cornichons. Quant aux « services rendus » par les salariés de ce CAT pour le compte personnel de membres de l'encadrement, ils paraissent « abusifs ». Au CAT d'Auxerre, on fait « peu de cas » de l'accompagnement social. Quant à l'IME de Saint-Fargeau, les enfants qu'il reçoit, « pour leur grande majorité, ne correspondent plus à l'agrément de l'établissement ».
Au terme de ce triste florilège, Claude Lagarrigue dénonce « le système de clivage des personnels et des familles, pour ou contre le président de l'association, qui introduit le trouble le plus manifeste dans les esprits et les comportements, ce qui ne peut que retentir sur la prise en charge éducative et la qualité de vie des usagers ». Il déplore aussi que l'association n'ait « pas pris la mesure des insuffisances éducatives de l'institution et les initiatives permettant le retour à des conditions normales de fonctionnement malgré les avertissements des tutelles, la réussite financière lui paraissant de nature à compenser largement ces dysfonctionnements ». C'est la raison pour laquelle il recommande également le recours à une « autorité indépendante [...]extérieure aux rancœurs et aux antagonismes locaux, c'est-à-dire ne comportant dans ses instances dirigeantes aucun des actuels ou anciens membres de l'ex-APAJH de l'Yonne ».
C.G.
(1) Voir ASH n° 2204 du 2-03-01.
(2) Entraide solidarité handicap 89, nom adopté par le comité départemental après sa radiation par la Fédération nationale APAJH en janvier.
(3) Disposition qui n'a pas interrompu le fonctionnement des établissements.
(4) A l'exception du foyer d'hébergement « Guette soleil », qui a fait l'objet d'un accord de transfert de gestion vers une association locale, l'association Charles de Foucauld, entre le président d'ESH 89 et le président du conseil général, et qui rouvrira le 1er septembre.
(5) Voir ASH n° 2217 du 1-06-01.