Lors de nos maraudes, nous nous sommes aperçus que notre camionnette ne suffisait pas à répondre à la demande. D'habitude, on a du mal à repérer les sans-abri, là, au contraire, nous étions trop sollicités. D'où cette tente pour améliorer l'accueil et le traitement médical et social des situations. Par ailleurs, il fallait trouver des hébergements. Or, dès 20 heures, le 115 était saturé. Nous avons eu l'idée, un soir, d'emmener dormir une vingtaine de personnes restées sans solution à la poste du Louvre, ouverte toute la nuit. Ces deux actions ont été dictées par la nécessité. Mais elles ont également eu un impact médiatique et interpellé les pouvoirs publics sur la saturation des centres. Et c'est tant mieux.
D'abord, certains centres ferment. Cet été, à Paris, il y avait environ 800 places de moins que l'hiver dernier (2). Mais à la population traditionnelle des sans-abri - très marginalisée ou tombée dans l'exclusion à la suite de difficultés financières, familiales ou personnelles -, vient s'ajouter celle, croissante, des demandeurs d'asile. La pression migratoire est de plus en plus forte dans les pays européens. Le nombre de demandeurs d'asile régulièrement présents en France a presque doublé en deux ans, passant d'environ 20 000 en 1998 à près de 40 000 en 2000 (3). Et l'OFPRA annonce au premier semestre une hausse proche de 20 % par rapport à la même période l'année dernière. Parallèlement, les centres d'accueil de demandeurs d'asile (CADA) ne représentent que 5 000 à 6 000 places en France (4). De plus, les personnes qui n'y ont pas accès reçoivent une allocation dérisoire de 1 800 F par mois, ce qui fait que nombre d'entre elles ne sont pas logées.
Les pouvoirs publics nous ont entendus et ont débloqué 200 places d'hébergement d'urgence supplémentaires à Paris. Mais le problème n'est pas réglé pour autant. Nous avons pris date avec eux fin août pour discuter du nombre de places, qui ne doit pas diminuer l'été. D'une façon générale, il faut une vraie réflexion en amont sur la prise en charge des grands précaires marginalisés et sur la réponse aux demandeurs d'asile. On peut nous rétorquer que ce n'est pas simple, mais il nous semble que ces questions, justement, doivent être abordées de façon simpliste et schématique : il faut plus de logements sociaux, plus de centres pour les demandeurs d'asile. Les moyens existent, il faut une volonté politique de traiter les problèmes. Mais leur résolution n'est pas facile, coûte de l'argent, n'est pas électoralement intéressante, et les dossiers restent en jachère. L'accroissement des places n'est pas la seule piste. Les demandeurs d'asile, par exemple, sont en situation d'extrême précarité : ou bien ils sont logés dans un centre et n'ont pas d'argent, ou bien ils ne sont pas logés et perçoivent une maigre allocation. En somme, ils sont dans une pauvreté totale sans avoir le droit de travailler, un droit supprimé au début des années 90. A l'époque, cela pouvait se comprendre car ils étaient beaucoup moins nombreux et l'instruction des dossiers prenait au plus six mois. Mais aujourd'hui, de 12 à 18 mois sont nécessaires ! Il faut donc qu'ils puissent travailler (5), mais aussi qu'un suivi soit assuré... A l'heure actuelle, ils sont abandonnés. Propos recueillis par Céline Gargoly
(1) Médecins du monde : 62, rue Marcadet - 75018 Paris - Tél. 01 44 92 15 15.
(2) Au début de l'été, 2 800 places étaient disponibles à Paris, contre 3 500 cet hiver.
(3) Voir ASH n° 2213 du 4-05-01.
(4) Voir ASH n° 2190 du 24-11-00.
(5) Le 24 juillet, une quinzaine d'organisations à vocation sociale et humanitaire - parmi lesquelles la FNARS Ile-de-France, le SAMU social de Paris, Droit au logement, le Secours catholique... - ont appelé le gouvernement à « élaborer une vraie politique d'accueil [...] et à reconnaître aux sans-papiers le droit de vivre en France et d'y travailler, y compris en attendant le résultat de leurs démarches. [...] Ils ne viendront plus grossir les rangs des sans- abri, alimenter le travail au noir et les trafics divers et nous pourrons agir pour que l'urgence sociale ne soit qu'un passage vers une place dans la société et non pas un mode de vie, de survie. »