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Le travail social les pieds dans l'eau

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1 500 habitations inondées, 1 560 personnes évacuées, les inondations ont durement éprouvé, au printemps, le département de la Somme. A Abbeville, zone la plus touchée, les travailleurs sociaux se sont mobilisés pour venir en aide aux familles sinistrées.

A Mareuil-Caubert, petite commune voisine d'Abbeville, l'eau s'est retirée depuis la mi-juin. Mais au pied des maisons basses, elle a laissé sa trace sur les briques rouges. Une ligne de démarcation boueuse. Ici et là, certains s'affairent encore au nettoyage. De l'autre côté de la rue, le « club Med »  : la trentaine de mobil-homes où sont hébergées les familles sinistrées de la commune. Frank Moncomble les voit quasiment tous les jours. Il est agent d'habitat, membre de « l'équipe MOUS » (maîtrise d'ouvrage sociale et urbaine)   (1). Composée de militaires du génie et de travailleurs sociaux du comité d'aide aux sans- abri d'Abbeville (CASAA) (2), cette équipe est char- gée de recenser les besoins en relogement définitif et d'évaluer l'état des bâtiments inondés.

En pratique, il s'agit surtout d'écoute et d'accom-pagnement social. Celui- ci est plus que jamais d'actualité. Car aujourd'hui encore, l'angoisse demeure chez les sinistrés. Le besoin d'écoute, de conseils, d'être rassuré est énorme. A l'image de cette personne âgée, qui n'a jamais voulu quitter sa maison depuis le début des inondations. Elle vit sur un plancher complètement pourri, effondré çà et là. Frank Moncomble l'a orientée vers un psychologue de la cellule de soutien psychologique de l'hôpital d'Abbeville. Il tente de répondre, en sollicitant d'autres partenaires, des associations caritatives notamment, à ses besoins quotidiens : électroménager de remplacement, nettoyage, etc. Sur le terrain, cinq mois après l'importante mobilisation qui a suivi les inondations, ces agents d'habitat sont l'interface directe entre les sinistrés et les autres structures.

Au début du mois d'avril, dans l'urgence, les travailleurs sociaux se sont mobilisés de façon très spontanée. Ainsi, Laure Balzac, assistante sociale au service de psychiatrie du centre hospitalier d'Abbeville, comme d'autres collègues (3), s'est portée volontaire pour participer au travail de la cellule médico-psychologique, mise en place pour soutenir les sinistrés. Elle est intervenue ponctuellement, en binôme avec une infirmière psychiatrique, Hélène Testard. « Ensemble, nous écoutions le désarroi des gens ;l'infirmière offrait un soutien psychologique, je notais les interventions à faire, j'orientais vers les structures compétentes ou les dispositifs exceptionnels. »

Première urgence : le relogement. Pour faire face aux demandes, les assistantes sociales ont travaillé en partenariat avec la cellule de crise installée par la mairie, qui centralisait les offres de logements. Tout en répondant à la demande de secours d'urgence : « Nous avons aussi aidé au déménagement des personnes les plus démunies : nous tournions avec les voitures de l'hôpital pour évacuer ce qui pouvait l'être », raconte Laure Balzac. Le service social municipal, lui, a été réquisitionné au sein de la cellule de crise, aux côtés des pompiers, des services municipaux, d'associations (Restos du cœur, Croix- Rouge...) et de nombreux bénévoles. Autour de ce pôle important étaient organisés les dons alimentaires et la fourniture en eau potable. Les livraisons de repas à domicile, explique Céline Dupont, responsable du service social de la mairie, ont été l'occasion de premiers contacts. « Il fallait ensuite régulièrement passer voir si tout allait bien,  si les familles ne manquaient de rien, car beaucoup n'osaient pas demander. »

Créer des repères

En chaussant leurs bottes - en certains endroits, l'eau atteignait 1,40 mètre de hauteur - les travailleurs sociaux se sont heurtés aux difficultés de l'urgence. D'abord, des conditions de travail très différentes, dans la fourmilière des secours. Ensuite, le caractère prioritaire de toute intervention : « On ne peut pas laisser la famille quelques jours, se permettre de différer les réponses, tout est prioritaire, toutes les situations sont dramatiques », explique Laure Balzac. Face à l'urgence, « il faut laisser tomber tous ses repères et en créer d'autres », ajoute Marylise Pommerolle, assistante sociale à la circonscription médico-sociale d'Abbeville. D'autant plus que les sinistrés ne font pas partie du public habituel : parmi eux, des personnes aux revenus modestes, mais aussi des retraités et des familles disposant de ressources correctes, peu habitués à fréquenter les services sociaux. D'où la nécessité d'aller au-devant d'eux. « Au départ, certains étaient réticents, faisaient montre de cette méfiance que suscite souvent l'assistante sociale. Mais une fois qu'ils nous avaient identifiés, ça se passait d'autant mieux qu'ils étaient dans leur milieu, et se libéraient donc plus facilement. » Changement de repères, mais aussi changement de perspective. « Au quotidien, témoigne Céline Dupont, on est plutôt face à face avec la personne qui nous sollicite par rapport à une problématique précise. Là, on était davantage côte à côte, dans une relation d'aide et de confiance qui a pu se créer très rapidement. »

La première urgence passée, il a fallu chercher des repères et une organisation cohérente. A la circonscription, Chantal Donneger, conseiller social, a choisi de rester dans son domaine d'action, tout en se constituant en cellule de crise : « Notre mission n'est pas d'être dans une démarche active et urgente, mais de recevoir les familles. Nous devions rester dans notre créneau habituel tout en nous adaptant à la situation d'urgence. » Elle s'est donc efforcée d'offrir le plus de repères possible aux personnels et aux partenaires. En réalisant un guide de procédure récapitulant toutes les informations sur les aides qui pouvaient être accordées, et en établissant des tableaux de bord recensant les familles, le type de relogement proposé, durable ou temporaire, les aides ou orientations suggérées, et des observations précises sur les difficultés rencontrées. Une transmission d'autant plus capitale que les informations évoluaient au jour le jour, parfois même à la demi-journée. Rapidité, organisation, coordination ont été les maîtres mots de l'action. « On a acquis, conclut-elle, deux nouveaux termes dans notre vocabulaire : mobilisation et réactivité. ». Mais aussi adaptation aux circonstances et à l'évolution des demandes. C'est ainsi que, courant avril, le conseil général a décidé de réaliser sur tout le département des « permanences inondations » pour aider les personnes à élaborer leurs déclarations de sinistre, et appelé en renfort une assistante sociale. « En fait, il était trop tôt pour ce type de demandes. Mais ces permanences ont été utiles dans la mesure où les gens avaient un très grand besoin d'écoute, de repères : ils étaient complètement perdus. » Au fur et à mesure des semaines, les problématiques ont évolué, de même que les réponses apportées. Bien souvent, « le système a été construit en marchant », selon le mot d'un responsable de la direction départementale de l'équipement.

A l'heure du bilan, les travailleurs sociaux, qui pour la plupart n'avaient jamais travaillé dans l'urgence, évoquent une situation déstabilisante. Surtout quand elle dure. « On a intégré le sinistre à part entière, confie Marie-Pierre Ethuin, assistante sociale à la caisse d'allocations familiales et intervenant dans le cadre de l'équipe mobile (4). On n'arrive pas à évacuer l'eau, nous non plus. » Pourtant, même si elle a été éprouvante moralement - certains ont craqué - et physiquement, ce fut une expérience enrichissante, professionnellement et humainement, tous le reconnaissent. Malgré la tension, l'état d'alerte permanent, l'épuisement. Et parfois, la frustration. « Nous avions une attitude d'urgence, analyse Marylise Pommerolle. Nous voyions 20 personnes par jour, et nous n'avions qu'un quart d'heure à leur consacrer. Nous leur avons donné une réponse rapide, sans voir le long terme. » Comme elle, certaines de ses collègues regrettent de ne pas avoir eu le temps de faire un véritable travail avec les familles. La participation des assistantes sociales au travail de terrain de l'équipe mobile s'est, selon elles, arrêtée trop vite, alors que l'accompagnement était encore à réaliser. « Toutes les informations que nous maîtrisons, toute notre connaissance des situations individuelles, il faut les transmettre. Il faut passer le relais, alors que nous avons maintenant une “mémoire”, une histoire », regrette Virginie Brossard, assistante sociale habituellement affectée à la direction de l'insertion du conseil général.

Deux ans de travail

Tous ont acquis la certitude qu'il faudra rester présents, jusqu'à la fin de l'année. Les prévisions les plus optimistes tablent sur la nécessité d'un suivi pour 20 % des familles. Les assistantes sociales de l'équipe mobile, de retour dans leurs institutions respectives, continueront à rencontrer, une fois par semaine, l'équipe MOUS, en place au moins pour six mois. Ce sera l'occasion d'échanger et de transmettre les dossiers. Et de tenter de maintenir un partenariat qui, chacun en convient, a plutôt bien fonctionné, en se renforçant au fil du temps. Même si sa mise en place ne s'est pas faite aisément. « Il a été très difficile, regrette Olivier Moncomble, coordinateur de l'équipe mobile et responsable du CASAA, de coordonner tous les moyens, tous les outils disponibles. C'est dommage. » Il faut dire que l'équipe mobile est intervenue alors que d'autres institutions travaillaient déjà depuis un mois. Pour la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, il a fallu alors respecter les interventions et les susceptibilités de chacun.

Reste maintenant la problématique du retour au logement pérenne, dans un département déjà sinistré au niveau de l'habitat social. Au début du mois de juillet, il n'y avait plus aucune solution d'hébergement dans le département de la Somme, selon la circonscription. Et l'arrivée de l'automne fait peser la menace de nouvelles inondations. Ce père de famille sinistré, relogé en mobil-home, s'est déjà fait une raison : il ne se voit pas réintégrer sa maison avant le printemps 2002. Les acteurs sociaux d'Abbeville, eux, ont du travail pour au moins deux ans.

Sandrine Pageau

NADIA NOUI-MEHIDI : « RESTER EN ÉTAT D'ALERTE »

Quel bilan faites-vous de l'action de la cellule psychologique ? - En deux mois, nous avons effectué 230 interventions, dans une centaine de foyers. Nous avons rencontré des gens très affectés, beaucoup d'états dépressifs, souvent dus à des traumatismes antérieurs qui ressurgissaient : la perte d'un proche, la guerre, l'exode... Mais je crois que le fait d'avoir été très proches des gens, sur le terrain, nous a permis de pacifier les choses, de rester dans le domaine de la prévention. Toutefois, si les infirmiers psychiatriques ne s'étaient pas déplacés, nous aurions dû faire face à des traumatismes plus dramatiques. Et pour les mois à venir ? - Chez les personnes qui sont soumises à un stress sur un temps assez long, des symptômes dépressifs ou de vraies dépressions peuvent se révéler à la période anniversaire des événements qui l'ont provoqué. Parfois, une dépression pathologique ou un suicide peuvent intervenir jusqu'à quatre ans après. Ils ont en fait pour origine l'angoisse de voir ces événements se reproduire. Comptez-vous donc rester mobilisés ? - Nous allons demeurer vigilants. Tant qu'il y aura des demandes, la cellule va continuer de fonctionner, au moins jusqu'à l'automne. De toute façon, son numéro de téléphone restera. En cas de problème, les personnes pourront venir consulter les équipes de secteur. Cette ligne téléphonique sera notre lien avec les sinistrés. Nadia Noui-Mehidi est coordinatrice de la cellule de soutien médico-psychologique, mise en place dès le 8 avril, pour prendre en charge les victimes des inondations - Centre hospitalier d'Abbeville : 43, rue de l'Isle - 80100 Abbeville - Tél.03 22 25 57 81.

Notes

(1)  Ce dispositif, issu de la loi Besson de mai 1990, a pour objectif la mise en place d'équipes chargées de rechercher des logements pour des publics en difficulté. Financé par la DDE, le dispositif est piloté par la DDASS.

(2)  CASAA : 49, chaussée d'Hocquet - 80100 Abbeville - Tél. 03 22 20 69 00.

(3)  Voir ASH n° 2214 du 11-05-01.

(4)  Mise en place le 7 mai, elle comporte d'une part l'équipe MOUS, évoquée plus haut, et d'autre part l'équipe sociale, composée de trois AS et, dans les premiers temps, d'une personne de la Trésorerie générale pour verser directement aux sinistrés les aides d'urgence de l'Etat. Les assistantes sociales recevaient jusqu'à la fin juin les personnes dans les locaux du centre communal d'action sociale.

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