Pour Périscope (1), sept est un nombre d'or. Jamais plus de sept vacanciers par groupe. Le touriste lambda n'ayant pas fait le choix de partir avec des personnes handicapées mentales, ce n'est qu'à doses homéopathiques qu'il les accepte dans des lieux de séjour « ordinaires ». « Petit à petit, les gens se sont approchés, se souvient Jean-Pierre Sauzeau qui a accompagné un groupe en Grèce au bord de la mer. Ceux qui ne nous ont pas admis sont restés à l'écart, les autres se sont progressivement fédérés autour de nous, nous proposant même spontanément leur aide. »
Directeur de Périscope, Christian Rotureau ne parle pas d'usagers mais de clients. Ils étaient 1 600 à partir en 2000 : « Nous nous considérons comme des prestataires de service ayant une démarche de qualité. La personne déficiente intellectuelle est un client à part entière qui a le droit de se plaindre. D'ailleurs, en fin de séjour, nous recueillons toujours son avis et celui de son prescripteur : famille, tuteur ou institution. »
Toute l'organisation tourne autour d'une conviction forte :s'intéresser aux besoins de la personne sans succomber à la tentation du collectif. D'inspiration québécoise, l'approche psychosociale privilégie la valorisation des rôles sociaux. Il s'agit d'améliorer l'image de personnes différentes que la société a tendance à percevoir négativement. Comment ? En provoquant des situations favorables au développement de leurs compétences, en leur offrant des rôles gratifiants et en multipliant pour elles les occasions de partager, dans le plaisir, des expériences avec leurs concitoyens valides.
La meilleure façon d'y parvenir, et pas seulement dans les lieux de villégiature, est de créer des espaces où tout le monde se rencontre. C'est pourquoi, en 1995, Périscope se fait céder par la municipalité de Parthenay (Deux-Sèvres) la gestion de la Tour de La Mara qui abrite son siège et celui d'autres associations. Elle y installe une auberge de jeunesse. Au rez-de-chaussée, une salle Internet reçoit gratuitement les enfants de la cité. Et, au bar sans alcool, Guillaume Baraton accueille la clientèle de l'auberge et les groupes en partance ou de retour. Il organise aussi des animations : concerts, ciné de plein air, fêtes, concours. Pourtant, il regrette la faible mobilisation des gens du quartier.
Trop souvent, les personnes handicapées mentales, assez autonomes pour vivre en ville, s'ennuient. Pour répondre à leurs attentes, l'association a lancé, en 1999, un service d'accompagnement au temps libre (SALT), un temps plutôt vide et subi. Un jeune rêve-t-il d'une sortie ? Il en fait part au SATL. David Auger, son responsable, recherche d'autres personnes intéressées et organise un départ à plusieurs pour réduire les frais. C'est ainsi que deux minibus ont emmené des amoureux de Céline Dion à son spectacle ; le voyage était aussi offert à quelques jeunes volontaires pour être accompagnateurs. Autres escapades : match de foot, 24 heures du Mans, balade en mer, soirées en discothèque. Il y a également des demandes particulières : une mère voulait rendre visite à sa fille à Cayenne ; elle a été accompagnée à l'aéroport puis récupérée à son retour.
S'adapter à leur public pour mieux le satisfaire, c'est l'ambition des 26 permanents de l'équipe. Pour les vacances, ils offrent des services à la carte ; ils proposent, par exemple, un accompagnateur pour une seule personne quand celle-ci est lourdement handicapée. A l'inverse, certains vacanciers, assez autonomes, souhaitent partir seuls ou à deux et préfèrent les séjours supervisés. Un salarié de l'association les accueille et passe les voir, à la fréquence qu'ils ont choisie, à leur camping, hôtel ou gîte, qui doit se trouver à proximité d'un séjour Périscope. En cas de problème, un numéro d'urgence est joignable 24 heures sur 24.
Quand en institution ou en milieu familial, une personne a un comportement très perturbé rendant la situation ingérable, Périscope propose un séjour de rupture. Violente, mutique ou se conduisant de façon aberrante, la personne est reçue par un éducateur qui va vivre en permanence avec elle jusqu'à ce que la crise se dénoue. Le but, en créant une situation fiable, est de l'amener peu à peu à se stabiliser. La relation duelle ne doit toutefois pas se prolonger car elle risquerait de devenir exclusive. Resociabiliser la personne, tel est l'objectif du séjour de rupture qui, dans des cas moins extrêmes, peut prendre la forme d'un stage. Le stagiaire travaille à mi-temps au service d'entretien d'une auberge de jeunesse. L'autre partie du temps, il est pris en charge par son référent avec qui il vit en pension complète à l'auberge. L'idée est que, loin de stigmatiser la problématique handicapante, on s'appuie sur les ressources de la personne en difficulté pour la faire évoluer.
La formule la plus courante est le séjour découverte. Un groupe de sept participants au plus part une semaine ou deux dans une maison louée, encadré par deux responsables. Pour faciliter la vie commune, on essaie de constituer des groupes homogènes. Très détaillée, la fiche d'inscription de chaque partant comporte son niveau d'autonomie défini en fonction de ses capacités mentales et ses possibilités physiques. Ainsi, à chaque séjour correspond un profil de vacancier.
S'occuper de personnes vivant avec un déficit intellectuel et/ou psychique exige des compétences spécifiques. C'est pourquoi chaque tandem d'accompagnateurs comprend toujours un professionnel du secteur socio-éducatif et un animateur âgé d'au moins 21 ans, pour lesquels sont organisés des week-ends de formation.200 saisonniers figurent au fichier de l'association.
Ancien chef de service en institution, Jean-Marc Migault effectue des missions régulières pour Périscope. En juillet dernier, avec une animatrice, il prenait en charge, à l'île d'Oléron, des personnes habituées à vivre en milieu protégé. Parmi elles, une psychotique, une épileptique, une personne en fauteuil roulant ayant besoin d'assistance aux toilettes, une autre sujette à des pertes d'équilibre et des troubles d'orientation. « Il faut laisser à chacun le temps de s'installer, explique Jean-Marc Migault. Mais quand la personne a trouvé ses repères et semble à l'aise, on peut lui donner un peu de liberté en restant très vigilant. » Tout l'art est de respecter le rythme de chacun en offrant le maximum d'opportunités, avec au moins une activité commune dans la journée : plage, pêche, marché, jeux, balades, excursions.
Ecoute attentive de chacun, maintien d'un climat harmonieux, intendance quotidienne, surveillance de la prise des médicaments, gestion des budgets individuels :l'accompagnement des résidents est un travail parfois ingrat, souvent stressant, qui exige une disponibilité, doublée d'empathie et de patience. Si un résident a un comportement difficile à décrypter, son encadrant peut toujours prendre contact par téléphone avec le professionnel référent pour être éclairé et conseillé. En cas d'urgence, fugue ou accident, un responsable de Périscope peut être joint à tout moment.
On peut aussi « changer d'air » en séjournant dans une famille. Dès 1986, Périscope mettait en place un réseau de familles d'accueil. Aujourd'hui, une soixantaine travaille pour l'association qui a l'habilitation du conseil général des Deux-Sèvres pour accorder son agrément. Les familles doivent adhérer aux valeurs de Périscope et participer à trois journées de rencontre annuelles. Cette formation est complétée par un guide à leur usage et surtout un soutien rapproché. Psychologue, la responsable répond aux sollicitations des familles qui peuvent également appeler à toute heure le numéro d'urgence.
Ancienne assistante maternelle, Paulette Lefèvre héberge en permanence une jeune femme qui travaille en atelier protégé et fait partie de la famille. Temporairement, elle reçoit, en week-end ou pour une à plusieurs semaines, un à deux pensionnaires qui, vivant d'ordinaire en institution, n'ont pas de véritable foyer : « Il faut s'habituer à leur tempérament. On essaie de faire ce qu'ils souhaitent mais il n'est pas question de tout leur céder. Je dois dire que, depuis dix ans, ça m'a forgé le caractère. Avec eux, j'ai appris la patience mais cela me plaît. Pour faire ce métier, il faut vraiment aimer les gens. »
Quelle que soit la formule choisie, la plupart des adultes handicapés n'ont pas les moyens de s'offrir un mois de vacances. Que deviennent ceux dont le foyer ferme annuellement ? Périscope relaie les professionnels en congé en envoyant, pour une période donnée, du personnel auprès des résidents. Une convention est signée avec l'établissement qui met à disposition ses locaux et ses véhicules.
Outre qu'il apporte de l'air frais, le séjour intra-muros permet une gestion optimale des effectifs de l'institution à qui, de surcroît, il fait gagner de l'argent. En effet, celle-ci continue à percevoir le prix de journée des personnes présentes, plus élevé que le coût de l'intervention intra-muros. L'économie réalisée est réinvestie. C'est ainsi qu'un établissement a pu financer un demi-poste de musicothérapeute.
Notons tout de même que si la direction d'un foyer remet ses clés en toute confiance à Périscope, c'est qu'elle a déjà apprécié ses services et considère l'association comme un partenaire fiable.
Exigence de qualité, évaluation systématique de chaque séjour auprès des intéressés et de leurs accompagnateurs, Périscope, grâce à une gestion rigoureuse, se situe dans la moyenne des prix du marché. « Trop cher » est pourtant l'un des rares reproches que lui font ses clients (environ 500 F par jour). L'accompagnement représente en effet 40 % du coût d'un séjour et les aides restent très aléatoires. Christian Rotureau plaide pour la participation financière des pouvoirs publics comme c'est le cas quand la personne reste dans son institution pendant ses vacances.
Il pointe le risque de séjours au rabais. Pour lutter contre l'amateurisme, il a participé à la fondation du Conseil national des loisirs adaptés dont la charte entend moraliser la profession. Périscope met la barre encore plus haut en visant une accréditation extérieure, type ISO, à l'horizon 2003.
Françoise Gailliard
Forts de leur expérience pratique, des membres de Périscope ont participé à la conception de la première association québécoise de tourisme adapté. De leur côté, les Canadiens ont transmis leur approche « positive » du handicap aux Français. Et leurs échanges sont constants. Dans une démarche de recherche-action, l'association s'intéresse aux avancées de la Belle Province qu'elle compte voir essaimer chez nous, notamment :
la fermeture progressive des institutions remplacées par des familles d'accueil permanent répondant à des exigences de professionnalité ;
l'apparition d'associations de personnes déficientes intellectuelles, comme « People First », en Ontario, gérées par elles-mêmes avec le soutien de personnes-ressources révocables ;
la gratuité de l'entrée dans les lieux culturels, touristiques et de loisirs pour les accompagnateurs des personnes handicapées.
(1) Périscope : 16, rue Blaise-Pascal - 79200 Parthenay - Tél. 05 49 95 26 32 - http://