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« La médiation sociale a-t-elle un avenir ? »

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J ean-Yves Gérard, adjoint au maire de Rennes et animateur du Réseau des villes correspondant de nuit, prend la défense de ce « nouveau métier » et, plus largement, de la médiation sociale. Selon lui, « une nouvelle pratique professionnelle est née, dont la visée dépasse la recréation du lien social ».

« La statistique peut-elle trancher de tout ?Quand le chiffre de la délinquance se fait mauvais, les simplismes électoraux menacent de tout emporter. Et l'on commence à entendre que la médiation ne marche pas. Il est vrai que, par un effet de mode bien classique dans notre pays, les services ont fleuri comme champs après inondation. Il est encore vrai que nombre de ceux-ci sont nés au gré de décisions politiques hâtives, pour sombrer aussi rapidement. Il est vrai, enfin, que cette impréparation a pu toucher le moral des médiateurs sociaux, comme le notait déjà Michel Wieviorka dans son ouvrage Violence en France.

Faut-il pour toutes ces raisons se laisser aller à des conclusions rapides, tirées d'observations faites outre-Atlantique, aux termes desquelles il n'y aurait de réponses que judiciaires et policières, mitonnées d'un peu d'éducatif quand les professionnels acceptent de sortir de leur bureau, quitter leurs réunions pour retrouver la rue et ses acteurs.

Et si la sécurité était une affaire trop sérieuse pour être laissée aux seules mains des spécialistes ? On parle d'éducateurs, de policiers, de juges, d'assistantes sociales, voire de caméras vidéo, jamais des habitants eux-mêmes. Les leçons des élections municipales orientées vers la démocratie de proximité ont été vite oubliées. Nous y reviendrons.

En réalité, la question est de savoir si nous voulons, dans ce pays, dessiner un avenir autre que celui qu'annonce la ville américaine. On en connaît les lignes de force : la disparition de l'ancien paradigme libéral du contrôle social équilibré entre répression et réforme, l'effacement des espaces publics sous une privatisation grandissante, des dispositifs de sécurité et de surveillance alliant entreprise privée et police publique, un séparatisme fiscal et résidentiel des possédants et des zones où la police mène une guerre sans merci contre les pauvres criminalisés.

L'histoire de l'Europe, celle de notre pays écartent, nous semble-t-il, cette fatalité et devraient inspirer d'autres orientations, d'autres recherches. La ville serait alors l'espace où le vouloir vivre ensemble est sans cesse expérimenté dans une rencontre des intelligences, l'espace d'un projet collectif fondé sur le partage, la découverte de l'autre, donc l'expression culturelle, l'espace de la démocratie forgé à l'aune du contrat de volontariat, et de la mise en mouvement des consciences.

Il est vrai que la ville cristallise aujourd'hui les pannes de notre société. La construction des identités ne passe plus par de grands cadres d'identification, des modèles reconnus, mais par l'expérimentation sociale, dans laquelle la consommation tient une place centrale. L'incapacité à être consommateur se traduit souvent par une incapacité à formuler un projet, et donc par la dévalorisation de son identité. La violence et la rage sont au bout de cette désaffiliation.

A la rencontre de l'autre

Comment remettre en marche la ville ? Notre choix va résolument à la rencontre, l'écoute, au cheminement avec l'autre, à la médiation, au dialogue pour réintroduire l'autre sur la scène. La caméra exclut, la justice et la police aussi, même si leurs finalités sont indiscutables. L'action des correspondants de nuit ne vise pas à protéger un territoire, mais à aller sur le territoire de l'autre pour le rencontrer, donner écho à son énergie, et à la contribution qu'il peut apporter aux progrès de la société.

Que l'observateur, le politique, le journaliste regarde donc ce qui s'invente aux marges de l'action sociale instituée, et en amont du champ de la sanction juridique. Une nouvelle pratique professionnelle est née, dont la visée dépasse la recréation du lien social ou les rapports de telle ou telle institution avec son public.

La présence des correspondants de nuit dans un quartier résulte d'une décision politique, partagée entre élus et habitants. Il s'agit, pour le maire, d'inscrire cette mesure dans le contrat local de sécurité, ce qui représente un acte politique difficile car il touche au plus intime, et souvent au plus irrationnel de la vie d'un quartier. Il s'agit aussi de l'initiative des habitants. Celle-ci s'exprime dans l'acceptation du service nécessaire à la conclusion d'un accord collectif HLM. Cette approbation est construite patiemment, au fil des débats conduits dans des lieux publics interstitiels, où prennent la parole ceux qu'on n'entend jamais. Elle s'exprime encore dans la mise en place du service lui-même, et l'histoire des régies de quartier montre que cette étape nécessite du temps qui est celui de l'équilibre et de la maturation.

Cette caractéristique d'entre-deux, de partage et de mise en commun marque ce métier de correspondant de nuit dans tous ses aspects.

Une pratique professionnelle qui accorde à chaque appel, chaque attente, chaque demande une place unique, car chaque habitant est unique. Une pratique professionnelle qui en appelle à la force de la pédagogie, à la puissance de la parole quand elle touche la sensibilité de l'interlocuteur, à l'importance du geste et du mouvement dans l'espace, au caractère crucial du regard et de la maîtrise de la distance.

Cette approche renouvelle l'action sociale car il s'agit d'aller vers et non plus d'attendre que la demande s'exprime, d'anticiper une situation et non d'attendre qu'elle se concrétise. Interroger sa pratique grâce à la pratique de ses partenaires et restituer au temps sa valeur quand il redonne à celui qui souffre toute la dimension de son existence.

L'innovation tient aussi dans la position de l'habitant, qui peut constamment vérifier l'intervention du correspondant de nuit et ainsi animer un débat sur la qualité du service, ses moyens et ses fins. Pour en développer l'économie, nous savons que les outils de l'évaluation font défaut. Nous souhaitons leur invention pour peu que les pouvoirs publics nous y aident. Sans attendre nous avons mis le sujet sur le métier.

L'information produite par les correspondants de nuit est de plus en plus modélisée et sécurisée. Elle alimente les procédures des professionnels du jour concernés par sa teneur. Elle autorise la tenue d'analyses expertes sur la vie sociale nocturne de nos quartiers. Celles-ci révèlent souvent des problèmes ou des situations inconnus.

Les informations ne sont pas sans débouchés. Avec le temps, elles ont permis des rapprochements avec l'action sociale institutionnelle. A Rennes, les rapports des correspondants de nuit sur des situations individuelles ou familiales difficiles donnent lieu à échange, réflexion et recherche avec les travailleurs sociaux, au sein de commissions ad hoc régies par le secret pro- fessionnel.

Un métier en cours de codification

Les correspondants de nuit occupent le champ de la recherche avec beaucoup d'autres, mais avec l'humilité qui sied à tout acteur nouveau. Ils le font en exerçant un métier qui leur apporte une grande intelligence de la ville. Sa codification est mise en œuvre. Le Comité national des régies de quartier en a posé la première pierre dans un référentiel métier, défini avec le concours de Bertrand Schwartz. Les villes, de leur côté, inventent en puisant à des horizons croisés, où la contradiction n'est qu'apparente. L'ethnopsychiatrie pour la régie de Chambéry, les techniques du zen à Nantes, la psychologie à La Rochelle, la communication à Château-Thierry...

Ainsi, les correspondants de nuit se donnent-ils les moyens d'intéresser chaque acteur de la ville et, par voie de conséquence, d'ouvrir à des partenariats élargis le financement de leur pérennité. On sait que la décision de l'Etat sur le devenir des emplois-jeunes, quelles qu'en soient la nature et l'orientation, ne suffira pas à assurer l'avenir des services de correspondants de nuit, là où ils ont été créés. On sait que la mobilisation des villes, des habitants, des bailleurs sociaux, du commerce, du monde de l'assurance, de l'économie sociale sera nécessaire. Cette mobilisation ne résultera pas d'un décret mais de la confiance découlant d'une pratique professionnelle nouvelle, authentique, riche de promesse pour l'avenir. »

Jean-Yves Gérard Maire adjoint de Rennes, chargé du personnel et de la sécurité. Animateur du Réseau des villes correspondant de nuit Hôtel de ville - BP 3126 - 35031 Rennes cedex -Tél. 02 99 28 57 59.

TRIBUNE LIBRE

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