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Entre admiration et méfiance, un certain respect

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Même s'ils leur demandent tout, et parfois trop, les usagers ont plutôt une image positive des assistants sociaux et des éducateurs spécialisés. Et ils apprécient leur professionnalisme. Une quinzaine d'entre eux ont accepté de nous rencontrer et de témoigner.

Les travailleurs sociaux se plaignent souvent de leur mauvaise réputation, mais qu'en pensent réellement les usagers ? Pour le savoir, nous sommes allés à la rencontre d'une quinzaine d'entre eux, dans les ANPE, les missions locales et par l'intermédiaire d'organismes sociaux tels que les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Beaucoup ont préféré garder l'anonymat, parfois par crainte de peiner l'assistant social, voire par peur de représailles. Sans prétention, ce petit tour d'horizon de l'opinion des usagers sur les assistants sociaux et les éducateurs spécialisés - les deux professions phares du travail social - dessine une image plutôt positive. Si elle est un peu écornée par les limites des politiques sociales et la surcharge de travail, elle n'en révèle pas moins, en effet, une certaine reconnaissance et un respect des usagers pour le travail effectué par les professionnels.

Réactions exagérées

Parce qu'elles les imaginent investis d'un énorme pouvoir (celui d'obtenir des aides financières et des emplois), de nombreuses personnes ont souvent des réactions exagérées à l'égard des travailleurs sociaux. De la « super-assistante sociale » que l'on évoque avec des trémolos dans la voix à celle qu'on traite de « fonctionnaire » avec un mépris non dissimulé, l'image varie beaucoup en fonction du contexte de l'intervention et, surtout, de son résultat. « Pour les familles, le travailleur social est celui à qui l'on demande l'ensemble des réponses qui ne sont pas fournies par la société, explique Monique Sassier, directrice générale adjointe à l'Union nationale des associations familiales (1). C'est une toute-puissance supposée difficile à gérer, car si on l'imagine comme celui qui donne l'argent, il apparaît aussi comme celui qui le retient lorsque l'aide n'arrive pas. » Ainsi, les assistants de service social sont-ils souvent assimilés au système d'aide et d'action sociale pour lequel ils jouent le rôle de guichet et pâtissent des limites du système.

Isabelle et Stéphane, deux jeunes diplô-més, demandeurs d'emploi, réclament un logement en HLM pour quitter le domicile des parents de la jeune femme. L'assistante sociale de circonscription a bien expliqué qu'ils ne faisaient pas partie des publics prioritaires, mais ils ne la croient pas. « Je vois bien qu'elle s'en fiche. Elle pense qu'on a qu'à trouver du travail et se payer un appartement, maugrée Isabelle. Elle se dit qu'on est déjà logé. On voit bien qu'elle ne sait pas ce que c'est de vivre chez sa mère à mon âge. »

L'ignorance des règles de fonctionnement de certains dispositifs entraîne aussi des malentendus. Saphia, mère de deux adolescents dans le quartier des Pradettes à Toulouse, trouve que les éducateurs n'en font pas assez. « Ils sont sympa, mais quand on leur demande une sortie pour les enfants ou un local pour faire de la danse, ils disent “oui” mais rien n'arrive. Et quand on insiste, ils affirment qu'il n'y a pas de crédit. Mais eux, je n'ai pas l'impression qu'ils en cherchent, des crédits. » Même quand les usagers entendent les règles, ils ont du mal à les accepter. Karine Versin, 47 ans, employée de bureau à Nice, est furieuse de ne pas accéder à ce qu'elle considère comme un droit. « Je demande l'allocation dépendance pour ma mère depuis un an, mais rien ne se débloque, se plaint-elle. Pourtant, elle n'a que 7 500 F par mois de retraite. Je ne comprends pas que l'assistante sociale ne s'occupe pas du dossier. » De fait, il apparaît que sa maman n'est pas suffisamment dépendante pour bénéficier de la prestation. Karine a eu l'information, mais celle-ci reste mal comprise et, surtout, très mal ressentie.

Qualité d'écoute

Lorsqu'ils ont le temps et surtout, lors- que les entretiens débouchent sur des aides ou des droits, les travailleurs sociaux laissent de bons souvenirs. Véronique Soupé, en contrat emploi-solidarité dans un CHRS à Dunkerque, en a connu beaucoup. « L'assistante sociale de la ville m'a permis de trouver un appartement alors que j'étais au RMI. Elle obtenait des aides en fin de mois. Je tire mon chapeau aux travailleurs sociaux, car il faut avoir le moral pour supporter tant de situations difficiles. »

Certains peuvent même devenir de véritables conseillers en psychologie. Lolita, aide-ménagère à Sète, en pleine procédure de divorce, souhaite s'installer à Paris avec sa fille. « L'assistante sociale m'aide dans mes démarches administratives. Elle me donne aussi des conseils judicieux pour préparer ma fille au déménagement et la préserver du divorce. Je sors de chez elle plus confiante. » Quant à Jacqueline R., infirmière à Toulouse, elle a été assistée pour son fils, à la demande du juge des enfants et dans le cadre de l'action éducative en milieu ouvert. « Ceux qui sont sur le terrain s'investissent réellement, affirme-t-elle. Les éducateurs spécialisés m'ont bien épaulée dans mes rapports avec mon fils et m'ont permis de prendre un peu de distance par rapport à ses problèmes de délinquance. » Egalement admise en CHRS à Dunkerque après le suicide de son ami, Virginie L., de Hazebrouck, a aussi apprécié l'écoute et la compréhension des éducateurs. Mais elle apporte un bémol à son jugement. « Je devais quitter la région avec ma fille et recommencer ma vie ailleurs. Certains éducateurs m'ont bien comprise et conseillée, mais j'ai regretté qu'on ne puisse jamais les rencontrer en dehors du CHRS, dans un contexte plus détendu. Parfois, je me suis aussi senti jugée par d'autres éducateurs et, du coup, le courant ne passait vraiment pas. C'est une question de personnalité. » Epaulée par une association dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance, Fatima apprécie de pouvoir confier ses enfants en toute confiance, même si l'on devine qu'elle se pose quelques questions sur l'objectif du travail social. « Mon fils Touati a des problèmes de compréhension, les éducateurs sont là pour l'écouter et pour l'aider. Ils le comprennent bien et apparemment, il les aime bien. Ça me laisse un peu de temps pour moi », explique-t-elle.

« Ils n'ont pas le temps »...

Le problème du temps revient souvent chez les usagers. Avec des délais d'attente de plus de 15 jours et des permanences surchargées, les travailleurs sociaux sont parfois difficiles à mobiliser. Andrée Delon, directrice du CHRS L'Escale à Valence, préside la commission sur les droits et l'expression des usagers. « Ils disent que les travailleurs sociaux font ce qu'ils peuvent, mais qu'ils n'ont pas le temps, explique-t-elle. Ils leur reprochent de les faire attendre des semaines avant de les recevoir et de manquer de disponibilité une fois qu'ils sont dans leurs bureaux. » D'après ses observations, ils les jugent parfois également un peu inaccessibles ou trop exigeants. C'est le constat de Laurent Boë, 33 ans, résident au CHRS Regain dans la région de Valence. « J'ai l'impression que les assistantes sociales de circonscription changent de secteur tous les six mois. Je n'oserais pas aller en voir une aujour- d'hui, car il me faut du temps pour m'en sortir puisque je suis en train d'arrêter de boire. Pour être bien reçu, il faut prouver que l'on fait des efforts pour s'insérer, elles n'ont plus le loisir de bien connaître les gens. » Un avis partagé par François Trépart, dans la même situation. « Les éducateurs se montrent souvent disponibles, mais ils nous expliquent qu'il faut trouver un logement et un emploi comme si tout cela était simple. Peut-être surestiment-ils les gens. »

Débordés par le travail administratif des différents dispositifs, les travailleurs sociaux doivent quelquefois expédier les interventions et perdent un peu le contact. Mais il arrive aussi qu'on ne leur demande pas plus que de remplir les dossiers. Certains usagers, victimes du chômage, ne sollicitent qu'une aide financière. Ils apprécient alors la discrétion. Pour Jean-Philippe, 32 ans, allocataire du RMI à Paris, l'assistante sociale a été sur ce point efficace. « Je suis allé la voir parce que j'avais besoin de payer la caution d'un appartement, raconte-t-il. A chaque fois, elle a posé seulement quelques questions, sans insister. Je n'aurais pas aimé qu'elle se mêle de ma vie et juge ma façon de la conduire. »

Parfois aussi, les travailleurs sociaux font peur et inquiètent. Et à cet égard, la confusion placement-aide sociale à l'enfance  (ASE) est encore très prégnante dans l'esprit de bon nombre d'usagers.

C'est le cas de Sylvie, agent municipal dans une cantine, suivie depuis son divorce dans le cadre de l'ASE. Sa dernière fille a 4 ans et elle-même connaît des problèmes avec son nouvel ami. « Je voudrais protéger Marion de nos disputes, mais pas question de demander de l'aide à l'assistante sociale et à l'éducatrice qui pourraient penser que je n'assure pas, estime Sylvie. Je gagne le SMIC et mon ami est sans emploi. J'ai déjà deux enfants que je ne vois qu'une fois par an car ils habitent à Liège avec leur papa. Je sais que l'assistante sociale n'aime pas mon nouveau copain. Alors si elle apprend qu'il me fait une vie infernale parce qu'il est très jaloux, elle va me retirer ma fille. »

La peur du jugement est d'autant plus forte que l'usager se sent en position de fragilité. Christine, mère d'une enfant handicapée, n'a guère apprécié l'assistante sociale de l'institution où était placée sa fille. « Elle mettait presque en doute ma fonction parentale, comme si j'étais incapable de m'en sortir. Je suis pourtant infirmière et je sais ce que je dois faire. Les éducateurs spécialisés du secteur du handicap sont souvent un peu fermés et n'ont pas l'air de vouloir donner trop d'informations aux parents. Mais ceux du nouvel institut médico-éducatif de ma fille sont formidables. Je les harcèle de questions chaque soir et ils sont très patients. »

Et puis, il y a la méfiance liée au pouvoir de contrôle des travailleurs sociaux : ce qu'ils leur disent restera-t-il confidentiel ? Lorsqu'il travaille au noir, Jean- Philippe, bénéficiaire du RMI, se garde bien d'en avertir son assistante sociale. Et lorsqu'on lui propose d'aller un mois aux Antilles pour faire de l'animation, les choses se compliquent et il s'empêtre dans les mensonges. « Je la connais peu et je ne suis pas sûr de pouvoir lui faire confiance, explique-t-il. Elle est peut-être très cool, mais elle doit aussi garantir que les allocataires respectent le contrat. »

Florence Pinaud

LES JEUNES PLUTÔT CRITIQUES

Face aux travailleurs sociaux, les jeunes ont l'air sceptique. Soit ils les traitent de has been, soit ils les accusent de démagogie. Manque de reconnaissance et manque de confiance émaillent leurs discours. Dans la maison des jeunes d'un quartier défavorisé de Toulouse, Hassan, Frédéric, Christopher, Laura et Nora ne semblent pas convaincus. « Les éducs viennent nous parler comme si on était des petits frères, mais eux ils ont un job et ils ne vivent pas dans le quartier. Ils se la jouent “banlieue”, mais ne comprennent rien aux réalités. Ils nous proposent des stages d'informatique alors qu'on sait bien qu'on ne trouvera pas de travail à Airbus avec une adresse ici », lâche, désabusé, Hassan, 21 ans et sans emploi. Parfois, ces jeunes évoquent le travail mené auprès de leurs parents et les stages de sports et activités de loisirs, organisés sur le quartier. Une attitude un peu consumériste, comme celle de Laura, 17 ans, qui apprécie que l'éducateur lui ait permis de partir en vacances l'an dernier : « Mais il faut qu'ils arrêtent de nous bassiner avec l'école et l'avenir. Ici, y a pas de débouchés et tout le monde le sait. » Pour Frédéric, 17 ans, l'assistante sociale fait aussi office de tiroir-caisse pour ses parents : « Ma mère, elle l'adore parce qu'elle lui paye ses factures EDF et le téléphone. »

Notes

(1)  UNAF : 28, place Saint-Georges - 75009 Paris - Tél. 01 49 95 36 00.

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