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Des espaces pour libérer la parole des malades

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Face à la demande croissante de soutien psychologique des malades du cancer et de leurs proches, les réponses commencent à se diversifier. Espaces d'écoute à l'hôpital, services d'accueil et groupes de parole hors institution se complètent pour améliorer la qualité de vie des patients et de leur entourage.

« Et si le dialogue était le meilleur moyen de changer la vie des personnes pendant et après les traitements ? » Affichée dans le local d'Accueil Cancer, cette interrogation est une affirmation pour les animateurs du lieu. Installé dans une ancienne boutique du XIXe arrondissement de la capitale (1), cet espace chaleureux a été ouvert, en 1997, par le comité de Paris de la Ligue nationale contre le cancer (2). Il est gratuit et animé bénévolement par neuf accueillants, deux psychologues et sept personnes ayant presque toutes l'expérience de la maladie : anciens patients, proches concernés, conjoints endeuillés. « Pour les recruter, constate Monique de Tayrac, responsable de la formation, il n'y a pas d'autre critère que de repérer s'ils ont un vrai désir d'aider et s'ils sont en état psychique de le faire, car il faut avoir digéré ses propres problèmes pour écouter ceux des autres. »

Rassurer et dédramatiser

Guérie d'un cancer du sein, Jacqueline Picard dirige le point accueil : « Je suis là pour insuffler de l'optimisme et montrer qu'on peut vivre comme avant », observe- t-elle. Ayant traversé les mêmes épreuves que la plupart des accueilli (e) s(80 % de femmes et une majorité de cancers du sein), elle s'efforce de répondre à leurs interrogations et d'apaiser leur angoisse : expliquer les effets indésirables d'une chimiothérapie, renseigner sur les prothèses mammaires, indiquer des fournisseurs de perruques... Surtout, rassurer et dédramatiser. «  Notre rôle essentiel est d'écouter toute personne qui franchit le seuil car elle n'a pas toujours la possibilité de s'exprimer en famille. Nous l'invitons à nous téléphoner et nous la rappelons pour l'épauler. »

Parfois, malgré leur empathie, les écoutants bénévoles se sentent impuissants devant la souffrance. Ils peuvent exprimer leurs difficultés au cours d'une réunion mensuelle animée par la formatrice et un autre intervenant (psychologue ou médecin) et y discuter des cas les plus lourds.

Il arrive que le service reçoive des appels au secours à traiter dans l'urgence. Paniquée à l'idée de ne pouvoir rembourser une dette aux Assedic, une femme voulait attenter à ses jours : le relais a été passé à l'Agence Cancer de la Ville de Paris (3) dont les travailleurs sociaux ont assuré la prise en charge de la personne, notamment une assistante sociale qui a débrouillé son problème d'endettement.

Présents pour informer (4), orienter et réconforter les visiteurs, les accueillants répondent également aux appels téléphoniques (5). Ils se veulent une passerelle entre la ville et l'hôpital, sans pour autant se substituer aux médecins. Les demandes d'ordre médical sont dirigées vers Françoise May-Levin, ancienne chef de service à l'institut Gustave-Roussy, qui répond au téléphone ou reçoit les personnes.

Pour une écoute « professionnelle », les visiteurs sont invités à prendre rendez- vous avec l'une des deux psychologues du service qui leur proposera quelques entretiens ponctuels, de deux à cinq en général. Il ne s'agit ni de psychothérapie, ni de psychanalyse. Si le besoin d'un suivi à long terme se fait sentir, la personne sera orientée vers une structure spécia- lisée.

« Je combats un comportement qui empêche de vivre, souligne Jana Pavlovitch, médecin, psychothérapeute, intervenant à Accueil Cancer. Si quelqu'un présente des signes de dépression, je prends la liberté de lui recommander un psychiatre qui jugera s'il convient de lui donner une médication comme soutien pendant sa période de traitement. Ici, je ne m'occupe pas du passé. Mon opinion est qu'il n'y a pas d'explication psychologique au cancer. La maladie est grave et longue, mais qui peut affirmer que l'issue est fatale ? Rien n'est définitif. On peut rassurer les gens sans mentir : si la “chimio” ne marche pas, il existe d'autres voies, de nouveaux traitements. »

Elle évoque un entretien avec un jeune homme, terrorisé après avoir appris, tout à trac au téléphone, par son chirurgien, qu'il avait une tumeur maligne. Elle a convaincu le garçon, qui se recroquevillait sur lui-même, que cela ne servait à rien et qu'il devait vivre le mieux possible. Inutile de perdre son énergie psychique dans les conflits, l'important est de réaliser que des plages de bonheur sont encore possibles.

Aux proches des malades, elle recommande d'entourer la personne qui leur est chère, tout en essayant de se garder un espace de respiration.

Accueillant également des rendez-vous en consultation de psychologie, Pascale Lévy insiste sur le traumatisme de la maladie qui désorganise les relations avec l'entourage. Les personnes qui consultent représentent tous les stades du cancer et leur cortège d'angoisses : choc du diagnostic, peur de l'opération, douleur du traitement, dégoût du corps, appréhension des relations sexuelles, crainte du retour à la vie sociale et professionnelle. Elles expriment tour à tour des sentiments d'injustice, de révolte, de colère, d'acceptation, de deuil, de reconstruction. « Le malade a des moments de désarroi, explique Pascale Lévy. Même quand il se dit : “c'est fini, j'arrête”, il a le désir inconscient de rebondir, de demeurer vivant jusqu'au bout. Il faut être à l'écoute de la souffrance psychique en relation avec le corps souffrant. »

Parler à l'hôpital

Cette détresse, bien souvent le patient qui arrive à l'hôpital pour une intervention chirurgicale, ne trouve personne à qui la confier. Faute de temps, médecins et soignants sont peu disponibles et les postes de psychologues font cruellement défaut.

Pour pallier ce manque, à Paris, des bénévoles animent des permanences ouvertes dans quelques hôpitaux, les Espaces-Ligue. L'expérience de l'hôpital des Diaconesses à Paris, structure mixte (privée participant au service public) fait figure de pionnière car l'écoute s'y fait non seulement à la permanence mais pendant les séances de chimiothérapie et aussi dans les chambres.

Ayant perdu son mari en l'espace de six mois, il y a deux ans, Antoinette Philippart a voulu mettre son expérience au service des autres. Elle est en phase avec le docteur Villet, chef du service de chirurgie gynécologique, quand elle lui propose de créer un espace d'écoute. Le chirurgien est sensible à ce besoin auquel il est attentif malgré sa charge de travail. Pour lui, « l'écoute est un état d'esprit et s'apprend les mains dans le cambouis. Tout dépend du comportement du patron et de son équipe qui déteint forcément sur les étudiants. »

  « Nous sommes extrêmement attachés aux malades ; la volonté de l'équipe est de les accompagner », ajoute Annick Bosc, surveillante générale du service. L'action d'Antoinette Philippart est appréciée par les soignants et son territoire bien défini. « L'échange est primordial entre nous », remarque la surveillante qui donne toujours son feu vert avant une visite de la bénévole car c'est elle qui sait si les patientes sont en état de la recevoir.

Antoinette, que tout le monde ici appelle par son prénom, vient une matinée par semaine à l'hôpital. Elle se rend au chevet des opérées qu'elle retrouvera par la suite en chimiothérapie ambulatoire, parfois accompagnées d'un proche : « Quand elles sont avec moi, elles n'ont plus le cancer. On parle de tout, on rit, elles se détendent. Je ne fais pas de miracle, je leur apporte seulement un peu de soleil... » Elle a pourtant l'ambition de mieux faire accepter les traitements. Certaines malades, lasses de vivre, expriment, à elle ou aux blouses blanches, de façon franche ou voilée, leur désir de stopper la chimiothérapie. On compte actuellement 20 % d'abandons. Convaincue que le soutien bénévole de proximité est source d'une plus grande combativité, elle a le projet d'une enquête pour vérifier cette hypothèse. Son objectif est l'essaimage de l'expérience avec l'espoir de la faire admettre à l'Assistance publique.

Une autre façon pour le malade de puiser de nouvelles ressources est d'échanger avec des personnes qui ont vécu ou vivent des épisodes douloureux comparables. Dans un groupe de parole, une douzaine de participants venant de toutes les structures, guéris ou pas, se retrouvent deux heures par mois pour partager et s'entraider. Ces groupes, qui se réunissent toujours en dehors du milieu hospitalier, ont une visée thérapeutique et doivent obligatoirement être animés par un psychologue, accompagné si possible par un soignant.

Un traumatisme pour toute la famille

A l'origine de leur création, Françoise May-Levin, responsable de l'aide aux malades à la Ligue. Avec Alain Bouregba, psychologue, psychanalyste, elle anime deux des quatre groupes parisiens : « Le cancer ébranle la personne dans son entier. C'est un traumatisme violent qui touche toute la famille. Au début, l'idée était d'aider les parents désemparés qui ne savaient comment annoncer la maladie à leurs enfants. Il ne faut pas tenir ces derniers à l'écart mais adapter les mots à leur âge, leur faire comprendre qu'ils partagent une expérience pas facile. Pour les adolescents, la maladie arrive comme pour empêcher la séparation d'avec le parent, alors ils l'effacent et se protègent par une apparente indifférence. »

Aujourd'hui, les groupes se sont élargis. Certains, même, sont destinés uniquement aux proches. Sexualité, mort, aucun thème n'est tabou. Les participants sont incités à mettre des mots sur leurs sentiments, à libérer leurs émotions qui risqueraient sinon de devenir pathogènes.

Gratuits, ces groupes, une quarantaine actuellement en France, respectent tous les mêmes règles de bonne pratique : les animateurs retraités sont bénévoles et les professionnels en activité rémunérés mais s'engagent à ne pas prendre en libéral des gens du groupe. Les rencontres cessent au bout d'un an, pour éviter la routine ou le risque de dépendance et surtout laisser la place à d'autres car la demande est très forte. Dopées, certaines personnes alors se déclarent prêtes à s'investir bénévolement...

Françoise Gailliard

L'ACCOMPAGNEMENT SOCIAL, INCONTOURNABLE

Pour Claudie de Turckheim, assistante sociale en chirurgie gynécologique à l'hôpital des Diaconesses (6) , l'accompagnement administratif et social est partie prenante du réconfort apporté aux personnes déstabilisées par la maladie. « Quand celles-ci sont trop fatiguées, explique-t-elle, je les supplée jusqu'à remplir les feuilles de sécurité sociale. Mon rôle est aussi d'anticiper en proposant dès le début du traitement de terminer cet épisode de six à neuf mois par un séjour de rupture. Par exemple, j'envoie dans les Alpes des jeunes femmes qui vont bénéficier pendant un mois d'une prise en charge totale avec soutien psychologique et remise en forme avant de réaffronter la vie familiale et le monde du travail ; une perspective qui les aide à supporter la pénibilité de la cure. Quant aux personnes seules, âgées ou qui jusqu'ici s'occupaient d'un conjoint dépendant, je les vois avant même l'intervention chirurgicale. Je peux ainsi faire un premier bilan et préparer l'organisation du quotidien pour l'après-opération. »

Notes

(1)  Accueil Cancer : 11, rue Petit - 75019 Paris - Tél. 01 42 38 26 00.

(2)  Ligue nationale contre le cancer : 12/14, rue Corvisart - 75013 Paris - Tél. 01 53 55 24 00 ; Comité de Paris : 13,  avenue de la Grande-Armée - 75116 Paris - Tél. 01 45 00 00 17.

(3)  L'Agence Cancer de la Ville de Paris a ouvert deux structures, l'une dans les locaux de l'hôpital Rothschild : 33, bd de Picpus - 75012 Paris - Tél. 01 44 73 86 86 ; l'autre : 5, place d'Alleray - 75015 Paris - Tél. 01 56 08 55 55.

(4)  Cancer : le guide des informations pratiques à Paris est disponible gratuitement dans toutes les mairies.

(5)  La ligue a également mis en place un service anonyme d'écoute par téléphone au 0810 810 821.

(6)  Hôpital des Diaconesses : 18, rue du Sergent-Bauchat - 75012 Paris - Tél. 01 44 74 10 10.

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