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« Cette RTT qui fait grincer des dents »

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La réduction du temps de travail  n'est pas responsable de la pénurie de personnels dans le secteur social, estime Laurent Gavelle, directeur d'établissement. Elle ne fait qu'aggraver des difficultés chroniques de recrutement. En revanche, il estime « urgent de compenser les contraintes particulières » des internats par des dispositions spécifiques.

« La réduction du temps de travail  (RTT) fait naturellement l'objet de nombreux débats contradictoires qui vont perdurer compte tenu de sa mise en œuvre prochaine dans les structures de moins de 20 salariés. Il ne s'agit pas de ferrailler contre le principe de celle-ci qui, soit dit en passant, est largement plébiscitée. Laissons cela au MEDEF avec ses objectifs de refondation, ou plutôt de destruction sociale, ainsi qu'aux nostalgiques de l'époque “héroïque” du secteur social, où la vie professionnelle fusionnait souvent avec la vie privée.

La réduction du temps de travail répond à des besoins induits par l'évolution de notre mode de vie influencé par le développement technologique, qu'il s'agit aussi de maîtriser (formation, information, informatisation). Les salariés en attendent deux choses : des créations d'emplois et davantage de temps libre, qu'il ne s'agit plus de diaboliser en l'assimilant à de l'oisiveté. Ils expriment de plus en plus un goût prononcé pour les actions publiques, sous les formes les plus diverses, en étant partie prenante d'activités citoyennes, sociétales, culturelles, sportives, et qui pour être satisfaites supposent davantage de temps disponible. Pour les responsables d'institutions, salariés eux aussi, il ne s'agit pas de maintenir la qualité des prestations mais de toujours l'améliorer. Ces deux positions ne s'opposent évidemment pas si elles s'articulent autour des nécessités de service, autrement dit des besoins des usagers, avec des conditions de travail améliorées. L'essentiel du dispositif n'est cependant pas à l'abri de sévères critiques notamment sur son incidence dans les structures à fonctionnement continu.

Le secteur social, dans lequel il faut distinguer les branches et les sous-branches, représente environ un demi-million de salariés répartis dans un bonne vingtaine de conventions collectives nationales. Les négociations ont certes évolué différemment d'une branche ou d'une convention à l'autre mais butent toutes sur le verrou de l'austérité budgétaire, avec les enveloppes fermées de l'Etat, des départements et de l'assurance maladie. Aux tensions créées par les effets d'une négociation difficile et houleuse, s'ajoutent localement le manque d'effectif structurel de certaines institutions, le gel des rémunérations depuis novembre 1998, la suppression de la majoration familiale, voire la neutralisation partielle ou totale de l'ancienneté dans certaines conventions collectives. Et 10 % de diminution du temps de travail, compensés par 6 % ou 7 % de création d'emplois, aboutissent à un déficit d'heures de travail non négligeables (1).

Le recrutement dans le secteur social s'avère difficile, non par pénurie de main-d'œuvre, mais plutôt par des difficultés liées à la reprise de l'activité économique et, dans la mesure où la pression du chômage s'atténuant, on devient plus regardant sur le niveau des salaires proposés ainsi que sur les conditions de travail qui sont offertes. Ces deux éléments essentiels de la reconnaissance professionnelle ne constituent pas un facteur attractif et les éventuels candidats ont tendance à fuir vers d'autres professions, comme l'affirme Dominique Taddéi dans un récent rapport au Conseil économique et social.

Absence de gestion prévisionnelle de l'emploi

Aussi, mettre sur le compte de la réduction du temps de travail ces difficultés relève de la pure amnésie, tant le secteur social a chroniquement du mal à recruter des personnels, particulièrement dans les internats et autour de certains handicaps et de pathologies lourdes. Ce phénomène étant connu de longue date, il aurait fallu l'anticiper, preuve d'une absence de gestion prévisionnelle de l'emploi, que les adeptes inconditionnels du management et les spécialistes des ressources humaines ont curieusement oublié.

L'inquiétude grandit de ne pas trouver les candidats nécessaires au bon fonctionnement des institutions et la concurrence s'avère rude entre les employeurs, entre les structures déjà bien dotées en personnel et les autres. Et pourquoi pas des OPA sur les professionnels du voisin avec la crainte d'une atomisation du secteur en “petites féodalités rivales”   (2).

Il ne faut pas non plus négliger les dangers de discriminations avec des ruptures d'égalité, au sein d'une même institution, entre des professionnels présents depuis plusieurs années et ceux tout juste arrivés, entre temps plein et temps partiel, entre parents d'hier et ceux de demain, avec le risque d'induire des problèmes de relations sociales quelque peu conflictuelles. Autre risque, et non des moindres, celui de déqualifier des postes afin de répondre aux exigences budgétaires (3). Aussi l'avenir pour les petites institutions, toujours sur la corde raide, apparaît-il bien menaçant.

S'il y a unanimité quant aux incidences de la RTT, c'est bien sur l'organisation et le fonctionnement des institutions résidentielles. Un grand nombre de dispositions des textes, dans une sorte de frénésie normative à la mode des directives européennes, tend à vider progressivement tout ce qui faisait la substance de l'activité quotidienne. Les conditions d'une application de la RTT dans les internats sont finalement incompatibles avec les missions de ces derniers, qui doivent être toujours au plus près des besoins et des intérêts des usagers. En fait, les responsables de ces structures “bricolent”, “bidouillent”, tant bien que mal, afin de garantir une sécurité a minima pour les usagers. Il leur faut faire preuve d'une imagination débordante pour aménager des planning horaires acceptables, avec l'accord plus ou moins tacite des salariés, tout en commettant allègrement plusieurs infractions par jour à la législation.

Il est urgent de compenser les contraintes particulières par des dispositions spécifiques et donc dérogatoires pour le secteur précité, parce qu'en ce moment même des associations sont condamnées en cassation, ce qui menace leur existence et les emplois qu'elles génèrent. L'amplitude de l'horaire quotidien, les temps de pause, la durée de repos minimum entre deux séquences de travail, le travail de nuit sont les éléments les plus visibles mais non exhaustifs de cette exception. Cela ne saurait éluder pour autant la question salariale avec un surclassement internat qui prend en compte les anomalies de rythme de travail. Mais à condition de ne pas attribuer un “bonus” sous forme d'avancement accéléré de carrière à l'image de ce que le ministère de l'Education nationale concocte pour les enseignants exerçant dans les établissements scolaires à haut risque.

On le voit, le débat sur la RTT n'a pas fini d'agiter le macrocosme sociétal et le microcosme social. Le gouvernement d'aujourd'hui, promoteur d'une de ses lois les plus marquantes, doit impérativement en faire évoluer le contenu au risque de déstabiliser les capacités d'interventions des internats et, par voie de conséquence, les premiers concernés, les usagers. »

Laurent Gavelle Directeur de foyer d'hébergement 42, rue Jean-Jacques-Rousseau - 92130 Issy-les-Moulineaux -Tél. 01 46 48 85 85.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2206 du 16-03-01.

(2)  Voir TSA n° 768 du 21-01-00.

(3)  Voir ASH n° 2198 du 19-01-01.

TRIBUNE LIBRE

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