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Les garde-fous d'une pénalisation de la société

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Partenaires de l'institution judiciaire, les associations socio-éducatives s'emploient à promouvoir une justice médiatrice et réparatrice, susceptible de restaurer la cohésion sociale.

De plus en plus étroitement impliquée dans la vie de la cité, « la justice a tout à gagner à s'ouvrir largement et à se démultiplier dans la société avec tous ceux qui sont prêts à œuvrer avec et pour elle ». Les acteurs des associations socio-judiciaires ne peuvent que souscrire à ces propos formulés par Robert Badinter, lors d'une rencontre organisée à Paris (1). Comme l'ancien garde des Sceaux, qui a notamment institué, en 1982, le contrôle judiciaire socio-éducatif - l'une des principales mesures qu'ils sont chargés d'exercer -, ils sont convaincus que le temps de la justice « tour d'ivoire » est définitivement révolu.

Sauf à imploser devant le contentieux grandissant dont elle est saisie, l'institution judiciaire n'a guère d'autre choix que d'associer la société civile à la mise en œuvre de ses missions. Nombre d'entre elles sont liées à l'évolution du contexte social. « La multiplication des séparations familiales, la montée de l'exclusion, l'essoufflement des dynamiques d'insertion et la croissance concomitante de la petite et moyenne délinquance d'inadaptation, sont autant de phénomènes qui contribuent à expliquer l'élargissement du champ d'action de la justice », explique Christophe Cardet, enseignant-chercheur à l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire.

« Longtemps la justice s'est désintéressée de l'avenir des individus qu'elle sanctionnait, précise-t-il. Elle n'était qu'un lieu de conservatisme social, où les inégalités étaient constatées mais rarement réduites. » Ce n'est plus le cas aujourd'hui, alors que les espaces de socialisation traditionnels (famille, école, entreprise) jouent de moins en moins leur rôle d'intégration et d'apprentissage des codes sociaux et que l'Etat providence est en déclin. Dernier maillon d'une chaîne de l'échec, l'institution judiciaire devient une instance d'apurement des inadaptations et le juge un « mécanicien » chargé de restaurer le lien social, estime le chercheur. Sommée de redresser les injustices du marché, de gérer l'anormalité, l'asocialité, la marginalité, la justice doit aider à réparer et à se réparer, participer activement à la réinsertion des individus dont elle a la charge et au traitement de leurs problèmes physiques ou psychiques, et travailler ainsi à mieux prévenir la récidive.

Cette judiciarisation de la société ne va pas sans susciter des critiques. Selon les partisans de l'orthodoxie judiciaire, la justice n'a pas à se substituer aux institutions ou au parents défaillants : il lui appartient de dire le droit, il n'est pas certain qu'elle sache (ou doive) aider et assister dans tous les cas. On reproche aussi sa fonction normalisante à l'action de réinsertion administrée à l'occasion de l'intervention judiciaire. « La préoccupation sociale de la justice pénale cacherait ainsi, au travers du traitement des différents écarts constatés par rapport à la norme sociétale, une véritable emprise du modèle dominant : c'est au nom de ce standard comportemental que l'on justifierait d'imposer au délinquant toxicomane ou alcoolique une cure de désintoxication, au délinquant sans travail de trouver un emploi, ou même au délinquant illettré de s'alphabétiser », explique Christophe Cardet. Faute de suivre - sous surveillance judiciaire et sous la menace de poursuites ou de sanctions pénales -, le parcours éducatif destiné à assurer sa réinsertion, le délinquant s'expose à une sévérité accrue des juges qui tancent, avec moins de scrupules, celui qui, décidément, laisse passer sa chance. « Sous couvert de préoccupations opportunément sociales, n'assisterait-on pas, dès lors, au retour insidieux du pénal ? », interroge le chercheur.

Les difficultés du partenariat

L'ouverture de la justice sur la société civile peut néanmoins constituer le moyen de s'affranchir de ce type de critiques en restituant au corps social l'exercice de missions qui sont plus particulièrement de son ressort- et pour la réalisation desquelles, en outre, les moyens traditionnels de l'institution judiciaire s'avèrent insuffisants ou inopérants. Cette participation citoyenne à l'œuvre de justice, notamment assurée par les associations socio-judiciaires, se retrouve dans de multiples dispositifs, entre autres ceux qui représentent des alternatives aux poursuites ou à la détention.

Impératif en termes d'efficacité, ce partenariat avec le monde associatif est aussi une nécessité pour parvenir à une justice éclairée, plus humaine et mieux comprise de l'ensemble des citoyens, défend Marylise Lebranchu, garde des Sceaux. Reconnaissant, cependant, que la concertation entre l'institution et les associations qui travaillent dans le champ judiciaire est souvent défaillante, la ministre a décidé d'en réunir régulièrement les représentants respectifs au sein d'un groupe de travail. Cette instance, explique-t-elle, est notamment chargée « d'élaborer un véritable schéma directeur de la politique associative du ministère de la Justice », dont la traduction dans une circulaire devrait être effective « en novembre 2001, au plus tard ». Cette promesse suffira-t-elle à réconforter les associations concernées ? Celles-là mêmes qui se trouvent souvent dans une situation financière très difficile, en particulier parce que les subventions que leur accorde le ministère de la Justice peuvent varier d'une année sur l'autre.

 Parvenir à une réelle contractualisation se heurte, néanmoins, à deux types d'obstacles, constate Sylvie Perdriolle, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ). « Pour l'Etat, l'écueil principal est sans doute de faire appel au secteur associatif dans une simple instrumentalisation de son action ; pour le secteur associatif, le danger consisterait à adopter une approche marchande en répondant à des appels d'offres de l'Etat. » Forte d'une longue expérience de collaboration avec les associations, la justice des mineurs a su développer avec elles une intelligence commune de l'intérêt général. « Cette alliance entre le fait associatif et le monde de la justice n'était pourtant pas évidente au départ », fait observer Denis Salas, maître de conférence à l'Ecole nationale de la magistrature - et lui-même ancien juge des enfants. Mais, ajoute-t-il,  on a vu à quel point la culture partagée qui s'est progressivement constituée était porteuse et comment, aujourd'hui, elle permet de « tenir » face aux discours prônant la pénalisation de la justice des mineurs. Pour réagir aux défis de l'insécurité - et des pulsions sécuritaires -, il convient donc de chercher à établir le même type de rapports entre l'institution et les associations qui interviennent dans le champ de la justice des majeurs. Mais encore faut-il que cette mutation soit désirée par les juges et non pas vécue par eux comme une négation de leur identité, note Didier Peyrat, responsable du secrétariat général pour la coordination de la politique de la ville du ministère de la Justice.

Se rapprocher des justiciables

Réduire la distance entre la justice et les justiciables et redonner confiance à ces derniers dans le fonctionnement institutionnel est un rôle fondamental des associations. Il est d'autant plus essentiel que l'appareil judiciaire s'est progressivement dissocié de la société et peine aujourd'hui à s'ouvrir à ses attentes. Il ne s'agit pas uniquement d'un problème de communication, mais d'une réelle inégalité d'accès et de traitement, développe maître Tubiana, président de la Ligue des droits de l'Homme. Pour s'en rendre compte, il suffit, selon lui, d'assister à une audience du tribunal des affaires de sécurité sociale : « A considérer le public, constitué d'un côté par une quarantaine de personnes venues seules défendre leur cause et, d'autre part, par cinq ou six avocats présents au nom d'entreprises, on se rend très concrètement compte de ce qu'est l'inégalité d'accès au droit sur un terrain aussi fondamental que peut l'être, par exemple, la détermination d'une pension d'invalidité. »

La justice pour autant n'est pas faite pour être égalitariste : trancher un conflit implique nécessairement un déséquilibre et une réponse adaptée en termes de discrimination positive. Cependant, au civil comme au pénal, l'inégalité d'accès et de traitement pèse de manière si considérable que le ressenti de la réponse est totalement vicié dans l'esprit du justiciable : « Même rendue dans une bonne audience par un bon magistrat qui a bien jugé », cette réponse est vécue comme partiale quand elle intervient au terme d'un parcours jalonné de dysfonctionnements successifs, souligne l'avocat.

Pour remédier à ces derniers, il suggère d'emprunter plusieurs voies. L'une d'entre elles passe par le nécessaire accroissement des moyens de la justice, notamment pour raccourcir les délais de procédure excessifs. Il faut également s'interroger sur l'application de normes qui sont elles-mêmes productrices d'inégalités. Ainsi, par exemple, à Paris et dans les départements de la région parisienne, plus personne n'est aujourd'hui poursuivi pour simple usage de stupéfiants ; tel n'est pas le cas ailleurs.

Enfin, insiste le président de la Ligue des droits de l'Homme, l'ensemble des acteurs du monde judiciaire- magistrats et avocats comme associations - doit opérer une véritable révolution culturelle « pour offrir à nos concitoyens une autre réponse que celle, largement surannée, d'une justice qui dit le droit mais pas la vie ». Qualifié, par Denis Salas, de « justice de la citoyenneté », ce nouveau modèle que les acteurs associatifs entendent promouvoir, vise à restaurer le lien social, au-delà du conflit qui l'a troublé. Et à transformer la relation entre les protagonistes afin que, d'adversaires, ils se retrouvent sociétaires d'une même communauté.

Caroline Helfter

LES PRINCIPALES MESURES EXERCÉES PAR LES ASSOCIATIONS DU SECTEUR SOCIO-JUDICIAIRE

Quelque 20 % des réponses pénales aux actes de délinquance sont constituées de mesures alternatives aux poursuites ou à la détention, pouvant être confiées à des associations socio-judiciaires. Les principales mesures alternatives aux poursuites sont : le rappel à la loi, les classements sous condition (d'orientation vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle, de régularisation de l'auteur des faits, ou de réparation du dommage), la médiation pénale, la composition pénale, l'activité d'aide ou de réparation pénale concernant les mineurs, et l'injonction thérapeutique. Les mesures alternatives à la détention sont constituées par le contrôle judiciaire socio-éducatif - destiné à favoriser la réinsertion des personnes en attente de jugement par un accompagnement social, éducatif et psychologique -, et l'enquête sociale rapide qui a pour but d'éclairer le magistrat sur le parcours, la situation actuelle et les potentialités du prévenu. Les juges d'instruction peuvent également faire procéder à une enquête de personnalité prenant en compte les victimes comme l'environnement et l'histoire des personnes mises en cause. Ils ont, par ailleurs, la possibilité de désigner un administrateur ad hoc ayant pour mission d'exercer les droits reconnus à la partie civile au nom d'enfants mineurs victimes de faits commis à leur encontre par l'un ou les titulaires de l'exercice de l'autorité parentale. En dehors du champ pénal, les associations socio-judiciaires sont aussi susceptibles d'exercer des mesures de médiation familiale et de réaliser des enquêtes sociales civiles (décidées par les juges des enfants, les juges aux affaires familiales ou les juges des tutelles).

Notes

(1)   « Citoyen, associations, justice », rencontres organisées les 17 et 18 mai à Paris par la Fédération des associations socio-judiciaires « Citoyens et justice », nouvelle dénomination du Comité de liaison des associations socio-éducatives intervenant dans le champ judiciaire : 23, rue Desfourniel - BP 38 - 33023 Bordeaux cedex - Tél. 05 56 99 29 24.

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