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L'IGAS « CHAUSSE LES LOUPES » DES USAGERS

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Quelles difficultés les citoyens rencontrent-ils dans leurs relations avec les caisses d'allocations familiales ou d'assurance maladie, l'hôpital ou les juridictions sociales ? Les inspecteurs des affaires sociales, à l'occasion de leur rapport annuel, se sont mis à la place des usagers (1). Et dressent un « constat nuancé »  : « les institutions sociales ne maltraitent pas leurs usagers », mais ceux-ci « ont des raisons d'être mécontents ».

C'était une autre époque. Il y a 20 ans, l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) s'était déjà intéressée au prix que les institutions sociales accordaient à la satisfaction de leurs usagers. Celle- ci, a souligné Marie-Caroline Bonnet-Galzy, actuelle chef de l'IGAS, lors de la présentation du rapport 2001, le 25 juin, « n'était pas encore une “ardente obligation” mais la préoccupation de quelques gestionnaires de terrain éclairés ». Aujourd'hui, « la donne a changé », cette préoccupation s'inscrivant dans la stratégie de chaque institution. L'IGAS a cependant voulu savoir quelle traduction ce renversement des priorités trouvait dans le quotidien des citoyens et a dépêché une quinzaine d'inspecteurs sur le terrain, « pour chausser les loupes des usagers ». Parce qu'il fallait choisir des angles d'attaque, elle a circonscrit sept thématiques, parmi lesquelles la liquidation, par les caisses d'allocations familiales  (CAF) des prestations liées à une situation d'isolement, la détection - respectivement par les Assedic et les caisses primaires d'assurance maladie -des usagers qui ont des droits à l'allocation chômage ou à la couverture maladie universelle  (CMU) et ne les font pas valoir, l'accès aux soins en psychiatrie, les relations des établissements de soins avec les malades et le fonctionnement des juridictions sociales.

Premier constat : « Les institutions sociales[...] ont accompli des progrès considérables au cours des dernières années. » L'usager apparaît « mieux informé », « mieux accueilli », « mieux considéré », « mieux pris en charge ». Dans les CAF, par exemple, l'accueil est « plus efficace », ventilé sur plusieurs niveaux : pré-accueil et orientation, accueil rapide pour les dossiers simples, accueil en box pour les dossiers plus complexes, parfois accueil spécialisé pour des prestations particulières. Les points d'accueil se sont diversifiés, par exemple dans les quartiers défavorisés. L'accueil téléphonique, cependant, « demeure globalement insuffisant », et la « très grande diversité des modes d'organisation et d'expérimentations [appelle] certainement un nouvel effort de cohérence au niveau de la branche ». Le satisfecit est plus appuyé pour les Assedic, l'IGAS saluant, depuis leur prise en charge de l'inscription des demandeurs d'emploi, depuis 1997, leur « réseau densifié et modernisé », leur « gestion interne rénovée », leurs « modalités d'accueil public organisées selon des référentiels » (2). D'une façon générale, pour toutes les institutions, les délais de traitement et les taux d'erreurs se sont réduits.

Cette amélioration globale appelle, toutefois, quelques nuances. Par exemple, si l'hôpital n'est plus sourd à la satisfaction de ses patients, « l'information des malades et de leurs familles est un droit difficile à mettre en œuvre », particulièrement l'information médicale. Le contenu du dossier médical- parfois étrangement lacunaire - n'est pas fixé. Quant au libre accès à ce document, la majorité des médecins rencontrés par la mission le juge potentiellement « toxique et dangereux ». Si les textes changent concernant sa consultation - et la future loi de modernisation du système de santé, qui devrait être examinée au Parlement à l'automne, devrait la faciliter -, certains praticiens se disent même prêts à en élaborer deux versions, l'une pour le service et l'autre - qu'on imagine édulcorée - pour le malade.

En finir avec le « splendide isolement »

Plus fondamentalement, au-delà des ratés de l'information, les institutions sociales d'aujourd'hui, « conçues pour proposer des services et des prestations à une population relativement homogène, [...] peinent à s'adapter à une société plus fragmentée et à une réalité de plus en plus instable ». «  Se rapprocher des usagers, de tous les usagers, c'est difficile, très difficile », résume Marie-Caroline Bonnet-Galzy. De fait, complexe est la position de ces institutions, en tenaille entre deux impératifs :une production de masse et la personnalisation de la prise en charge. Résultat : « Jusqu'à présent, les stratégies fondées en qualité, même les plus abouties, n'ont apporté d'amélioration que pour les usagers moyens », avec pour corollaire le risque non négligeable de laisser sur le bord du chemin les plus précarisés. Or, insiste la mission, il est urgent de passer de la notion de service « attendu » - par l'usager « client » sans difficulté particulière - à celle de service « dû » à toutes les personnes éligibles aux droits, y compris celles qui, tellement marginalisées, n'attendent justement rien. Un renversement qui induit un repérage aussi complet que possible, avec le concours d'autres intervenants, des droits de ces usagers en rupture.

Ce partenariat - pourtant une « préconisation ancienne dans le secteur » - ne va toujours pas de soi, et l'IGAS demande aux institutions d' « en finir avec leur splendide isolement ». Certes, des progrès ont été réalisés. Le rapport cite, par exemple, quelques initiatives intéressantes de collaborations des Assedic avec l'administration pénitentiaire ou des associations œuvrant pour les demandeurs d'asile, afin de toucher des publics ciblés. Mais elles restent marginales, et les Assedic apparaissent, d'une façon générale, faiblement impliquées dans les dispositifs de lutte contre les exclusions, comme les commissions d'aide sociale d'urgence. Au final, faute d'une information complète et d'un accompagnement, certains demandeurs d'emploi, parmi les plus isolés, renoncent à s'inscrire, pensant à tort ne pas avoir droit à une allocation.

« Décloisonner », « coordonner », exige donc l'Inspection, afin d'améliorer la détection des droits, le conseil et le traitement de l'usager... « C'est aux institutions de s'adapter et pas à l'usager de savoir se repérer dans le maquis de nos organismes et de nos procédures », souligne Marie-Caroline Bonnet-Galzy. Sans aller jus- qu'au « guichet unique » d'accueil et de gestion - une « fausse bonne solution », car « hautement impossible dans un pays doté de nombreux organismes et services sociaux » -, il faut améliorer l'aiguillage des usagers vers les interlocuteurs adéquats. Et intensifier le partage d'informations entre les cinq grands réseaux du « noyau dur » institutionnel : Assedic, ANPE, CAF, et caisses primaires et régionales d'assurance maladie. L'IGAS souhaite ainsi un inventaire des renseignements et documents demandés à l'usager par chacun d'entre eux et une identification des données qu'ils pourraient se transmettre par le biais de systèmes informatiques sécurisés, réduisant ainsi les démarches administratives individuelles, moins accessibles aux usagers les plus en difficulté.

Jeu de défausse

Le décloisonnement n'est pas qu'une affaire de simplification administrative. « Une partie non négligeable de l'énergie, tant des professionnels du secteur sanitaire et social que des gestionnaires des organismes et de leurs tutelles est consacrée à ce que l'on pourrait nommer un jeu de défausse. [...] Une grande part des dysfonctionnements des services publics dans le secteur social sont imputables à une absence de vision d'ensemble et à un déni des besoins des usagers, notamment ceux réputés les plus “difficiles” », assène le rapport. Une parcellisation particulièrement flagrante dans le domaine de la prise en charge psychiatrique des adolescents. L'IGAS pointe la véritable « césure » entre les équipes de secteur de psychiatrie générale, pour les plus de 16 ans, et celles de psychiatrie infanto-juvénile. La mission préconise donc « l'unicité d'une équipe d'intervention en santé mentale pour les adolescents dans un secteur géographique déterminé ». Encore resterait-il à améliorer la communication du secteur psychiatrique avec l'institution scolaire ou les services de la protection judiciaire de la jeunesse ou de l'aide sociale à l'enfance, par exemple. Ces derniers déplorent notamment l' « attentisme » des équipes de secteur qui souhaitent un acte volontaire des patients alors que les éducateurs voudraient qu'elles reçoivent un jeune, même opposé à des soins, pour une évaluation et un avis sur la conduite à tenir. Les équipes psychiatriques, à l'inverse, regrettent que les éducateurs abandonnent la prise en charge éducative dès que des difficultés comportementales lourdes surgissent.

A développer également, la simplification du droit social, « abondant et parfois abscons » au point que des divergences d'appréciation surgissent parfois au sein d'une même institution. Pour l'allocation de parent isolé, prestation pour laquelle la mission a constaté « la plus grande variété des situations et le plus fort taux d'erreurs ou d'interprétations hasardeuses » des CAF, quatre ou cinq méthodes différentes d'examen des droits ont été relevées. Il convient aussi d'harmoniser les assiettes, les seuils... : les modes d'évaluation des ressources, par exemple, varient d'un organisme et d'une prestation à l'autre, de même que les périodes de référence prises en compte (3). Autre préconisation, l'instauration, pour l'attribution et le calcul des prestations d'une marge d'appréciation des situations « singulières ». L'IGAS trouve ainsi anormal que les malades psychiatriques chroniques, bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés - donc non éligibles à la CMU complémentaire -, et qui ont besoin de temps d'hospitalisation assez longs, doivent acquitter le forfait hospitalier.

L'administration se montre « frileuse face aux plaintes individuelles », ajoute l'inspection. Dans les notifications de recouvrement des créances adressées aux

allocataires des CAF, les voies et délais de recours ne sont pas clairement indiqués. A l'hôpital, les livrets d'accueil s'attardent sur l'accès aux biens et services (télévision, téléphone...) ou sur la réglementation, mais restent très discrets sur les moyens d'exprimer des réclamations ou un mécontentement. Les horaires des permanences - quand elles existent... - des commissions de conciliation, qui ont vocation à informer et assister les publics dans leurs litiges avec les établissements de santé (4), sont rarement précisés. Ces commissions, dont le rôle, estime l'IGAS, est à redéfinir, n'ont d'ailleurs pas été mises en place partout.

A ces lacunes de l'information sur les réclamations s'ajoute l'affaiblissement du droit de recours devant les juridictions sociales, lesquelles « ne garantissent pas la bonne application de la loi à l'usager ». Pas moins de quatre juridictions sont compétentes pour les litiges opposant usagers et organismes payeurs de prestations : les tribunaux des affaires de sécurité sociale, tribunaux du contentieux de l'incapacité, tribunaux administratifs et commissions départementales de l'aide sociale. Un éparpillement qui déroute les usagers et engendre parfois des incohérences de droit, plusieurs juges pouvant intervenir et donner des interprétations contradictoires. Elles ont, de plus, peu de moyens matériels et humains. Et parfois de vrais problèmes d'indépendance vis-à-vis des organismes prestataires. D'où l'urgence d'une « réforme profonde » de ces juridictions. L'IGAS propose plusieurs voies. Leur regroupement dans une seule juridiction spécialisée pour l'ensemble de la protection sociale, qui a sa préférence. Ou bien la redistribution du contentieux social aux juridictions de droit commun, ce qui risque, toutefois, de ne pas améliorer le traitement des usagers, surtout les plus démunis. Quoi qu'il en soit, il faudra, « au terme de la décennie », avoir réaménagé ces juridictions, estime l'IGAS. Et d'ores et déjà, il faut renforcer leurs moyens, notamment en créant des postes de magistrats en nombre significatif. Elisabeth Guigou, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, a affirmé, lors de la présentation du rapport, avoir des contacts avec son homologue de la Justice pour étudier la manière de donner suite à ces propositions concernant les juridictions.

Céline Gargoly

Notes

(1)  Les institutions sociales face aux usagers - IGAS - Rapport annuel 2001 - La Documentation française - 150,87 F (23  €).

(2)  Ainsi, chaque Assedic doit, par convention avec l'Unedic, assurer à chaque demandeur d'emploi un délai d'attente maximal de 30 minutes et 90 % d'entre eux doivent être reçus en accueil premier niveau (traitement rapide) dans un délai maximal de 10 minutes. Par ailleurs, toutes les réclamations, quelle que soit leur forme, doivent recevoir une réponse dans les 14 jours.

(3)  12 derniers mois pour la CMU, dernier trimestre pour le RMI ou l'API, année civile précédente pour l'allocation logement...

(4)  Voir ASH n° 2093 du 13-11-98.

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