Ils - et elles - sont près de 600 dans les prisons françaises. Ils ont pris « perpète » aux assises. Anne-Marie Marchetti, sociologue, en a rencontré 27, pour comprendre « ce qui aidait à donner du sens à une [telle] sanction [...] ou empêchait qu'il y en ait ». En pleine préparation de la future loi pénitentiaire, le résultat de ses travaux - conduits avec « empathie » pour ces détenus mais sans « complaisance », souligne-t-elle - est à lire de toute urgence. Car, en nous faisant pénétrer dans l'intimité de ces « monstres » - tels que les a souvent présentés leur procès -, c'est aussi la part de monstruosité de notre système carcéral qu'elle montre du doigt.
Avant le procès, il faut d'abord, dans les maisons d'arrêt, « survivre à l'insupportable » : promiscuité, agressivité, inactivité... Sans compter les fréquents rejets de l'entourage, consécutifs au crime, les rencontres avec les juges d'instruction... Pour endurer cette souffrance, on vit souvent sous anesthésie, grâce à la fiole, cocktail médicamenteux « facilement proposé par les services pénitentiaires et médicaux ». Après le « choc » des assises et du verdict, puis le transfert dans un établissement pour peine- où l'autonomie, la circulation, l'accès aux diverses activités sont plus faciles qu'en maison d'arrêt -, il s'agit de « recomposer sa vie », de « tenir dans la durée ». « Végétatif », « hyperactif », à chacun sa stratégie. Certains, ainsi, se mobilisent pour obtenir la révision de leur procès, ce qui permet de rester « combatif et vivant » ; d'autres trouvent le soutien de la spiritualité... Anne-Marie Marchetti décrit aussi les astuces quotidiennes pour maintenir un lien avec la temporalité en vigueur extra-muros, comme le dessert qu'on garde pour la fin du journal télévisé pour compenser un dîner servi à 17 h 30... Ainsi que les moments de plaisir- revoir une pelouse ! - et les menus actes de résistance : dire « studio » au lieu de « cellule »... La sociologue ne tait rien non plus des drogues qui circulent abondamment, des tentatives de suicide, du caïdat, de la privation sexuelle ou de l'homosexualité, sexualité « de substitution » pour beaucoup, « de protection et de dépendance » pour ceux qui trouvent un soutien moral et financier auprès d'ancien (ne) s plus aguerri (e) s, « de soumission et de dégradation » pour tous ceux qui sont violés.
Au terme de son enquête, et avec l'appui des professionnels de terrain qu'elle a aussi rencontrés (chefs d'établissements, juges d'application des peines, psychiatres...), l'auteur met en doute l'utilité de ces si longues peines, à la fois pour la société et pour les détenus. « Que nous soyons victimes, proches de victimes ou simples citoyens, des sentences plus intelligentes et plus respectueuses de l'homme nous aideraient tous à nous dépasser et à gagner en humanité. Quant aux condamnés [...], il est vraisemblable [...] qu'ils se montreraient d'autant moins réticents à se remettre en question qu'ils ne se sentiraient plus assommés par une lourde sentence [...] et que leurs besoins et leur évolution seraient mieux pris en compte. »
Et pourtant... Le nombre de condamnés à perpétuité a doublé en 30 ans en France, les jurys d'assises rendant des verdicts de plus en plus lourds. Mais, concomitante de la diminution du nombre de détenus astreints à de courtes peines, cette hausse des enfermements de longue durée « passe facilement inaperçue », constate le sociologue Philippe Combessie, dans un ouvrage bref mais dense sur La sociologie de la prison. Il y fait la synthèse des principaux travaux occidentaux sur les détenus, les divers intervenants en milieu carcéral, la prison elle-même, les politiques pénitentiaires et pénales... Un utile complément à l'ouvrage d'Anne-Marie Marchetti.
C.G. Perpétuités. Le temps infini des longues peines - Anne-Marie Marchetti -Ed. Plon - 149 F (22,71 € ) ; Sociologie de la prison - Philippe Combessie - Ed. La Découverte - 52 F (7,93 € ).